Observer les rapports entre les pouvoirs publics et le secteur non-marchand , tenter de décoder les grandes déclarations univoques d’amour comme le pacte associatif, être attentif aux dérives de la marchandisation ou à l’instrumentalisation des associations , suivre de près les effets des modifications législatives, lutter sans relâche pour une autonomie associative tout en reconnaissant l’importance et la nécessité des services publics, suivre de près l’actualité politique, être à l’écoute et faire résonance à de nouvelles formes d’expression, voici diverses approches que nous développons dans nos analyses.
Par Laurence Baud’huin
Alors que l’épidémie de ces derniers mois a mis en lumière la grande fragilité du monde culturel belge, à l’heure où certains partis parmi les plus nationalistes entravent les leviers d’aide apportée au secteur, trois acteurs culturels rencontrés avant la crise s’expriment sur les relations entre art et politique. Autour de deux questions principales, celle du rôle politique de l’art et celle de l’influence de la politique sur le secteur artistique, Jean-Pierre Winberg, créateur et directeur du festival Ramdam de Tournai, Gwen Breës, pilier du Cinéma Nova de Bruxelles et Bart Goeteyn, programmateur au centre culturel flamand Ten Weyngaert, à Forest vont tour à tour se positionner.
Le Ramdam, festival du film qui dérange
« Une des fonctions de l’artiste est de montrer le monde tel qu’on n’a pas encore su le regarder ».
C’est par cette citation que Jean-Pierre Winberg, fondateur et directeur du Ramdam, festival du film qui dérange, se plaît à présenter le concept d’un événement qui, depuis bientôt onze ans, fait souffler sur la ville de Tournai un vent qui décoiffe.
Porté par le souffle d’une tradition de plus de quarante années de programmation de films d’Art & Essai et par l’envie d’aspirer la bouffée d’air frais menée par l’émergence des festivals de la décennie post 2000, la Maison de la Culture de Tournai, No-Télé, la ville de Tournai, Imagix Tournai et le Conseil de développement de la Wallonie Picarde décident en 2011 de créer cet événement avec pour but de remuer, de questionner, d’interpeller, d’émouvoir, de troubler, de gêner, de choquer, d’importuner, de transgresser…Bref, de faire du vacarme2 dans la cité aux cinq clochers.
Déranger, dira Jean-Pierre Winberg, c’est créer des déclics. Des déclics et des débats. Le cinéma est l’art le plus subjectif qui soit ajoute-t-il. Deux spectateurs peuvent ressentir des émotions extrêmement différentes devant un même film. Ainsi naît la confrontation, la mise en perspective, le non-consensuel. Au Ramdam, les certitudes sont remises en cause par un public toujours plus nombreux et sans doute pas toujours acquis d’emblée. Jean-Pierre Winberg dira en souriant qu’avec une jauge passée de 4.000 spectateurs la première année à 30.000 aujourd’hui, il y a fort à parier que les visiteurs ne sont pas tous gauchistes…
C’est là tout l’intérêt : mélanger les gens et les genres et faciliter tant que possible l’accès au festival aux publics les plus divers. Comment ? En programmant, en plus des films, quantité d’autres événements : rencontres, expositions, workshops, concours, concerts ; en pratiquant des tarifs très démocratiques et en laissant une place à la réflexion sur ce qui peut cliver, mettre à l’écart. La question des sous-titres, par exemple, est l’une des préoccupations du directeur du Ramdam. Sans doute bien plus fidèles aux créations originales que les versions doublées, les versions sous-titrées excluent néanmoins les personnes partiellement ou totalement illettrées. Et bien que la solution ne soit pas toute trouvée, le débat est néanmoins ouvert.
Pourtant, si le Ramdam festival possède une conscience politique forte, laquelle fait en permanence virevolter les réflexions de Jean-Pierre Winberg et de son équipe sur le fond comme sur la forme, si par ailleurs les pouvoirs publics – communaux et communautaires en tête – soutiennent le festival par leurs subventions sans jamais entraver sa liberté de choix, le directeur du festival déplore tout de même l’absence systématique de nos élus aux projections. Une réalité regrettable car le festival est sans conteste un puissant baromètre des questions de société actuelle, mondiales comme nationales. Le cinéma belge actuel est un cinéma très courageux et sans complaisance ajoute Jean-Pierre Winberg, qui dans la foulée, raconte avec un enthousiasme contagieux l’histoire de Muidhond de la réalisatrice gantoise Patrice Toye3, qui plonge dans le conflit intérieur d’un pédophile ; celle de Lola vers la mer du réalisateur bruxellois Laurent Micheli4 qui aborde la question de la transidentité ou encore celle de Niet Schieten du flamand Stijn Coninx5 qui questionne l’histoire contemporaine de la Belgique en mettant en scène une des victimes des tueurs du Brabant Wallon.
L’Expérimental cinéma Nova
Tandis que les films programmés au Ramdam Festival questionnent la société, posant par là un acte politique, à Bruxelles, le cinéma Nova privilégie plutôt dans sa programmation l’existence, la présence d’une recherche artistique formelle. Pour Gwen Breës, l’un de ses fondateurs, l’art est par essence politique et dissocier une approche artistique d’une approche politique est un leurre. Ceci est particulièrement pertinent dans le cas du Nova dont le projet de départ est de programmer des films indépendants, non-commerciaux donc, et qui, de ce fait, ne seront jamais distribués en Belgique. Leur liberté, leur existence en dehors des circuits ronronnants et formatés du cinéma commercial est en soi une forme de militance et l’action politique du Nova tient alors à ce qu’il donne une visibilité à ce droit de créer librement, d’expérimenter des formes qui ne rapportent ni argent, ni gloire.
Dans les périodes difficiles émergent toujours, selon Gwen Breës, des formes intéressantes d’expression artistique. Néanmoins ajoute-t-il, la logique actuelle, l’état du monde même, veut que ce qui ne rapporte pas soit voué à disparaître, tué dans l’œuf. Selon lui, les baisses de subventions n’ont pas pour objectif de museler la création. Elles suivent simplement l’air du temps. Ainsi, un petit espace dont les journaux ne parlent pas beaucoup et dont la programmation est expérimentale ne participe que trop peu au rayonnement de la Belgique pour recevoir une aide conséquente. De là à sous-entendre qu’il ne sert à rien… il n’y a qu’un pas ! Pourtant, si on effectue une recherche sur Kino-Climate, le réseau européen des lieux qui programment du cinéma libre et indépendant, on constate que le Nova est le seul exemple du genre dans lequel on trouve à la fois une vraie salle de cinéma, de vrais projecteurs (pour les formats originaux) et une programmation à ce point variée, en terme de films bien sûr, mais également d’expositions aux thématiques liées, de concerts et de projets socioculturels. Rien n’y fait, en 2018, le couperet tombe. Le Nova subit une perte sèche de 20.000 € dans ses subsides annuels accordés par la fédération Wallonie-Bruxelles.
Pourtant, le cinéma résiste. L’histoire est belle : au départ sans argent, le Nova s’est bâti autour de l’engagement d’une équipe de bénévoles. Peu à peu, le collectif s’est mis en place, pensé comme un projet en soi, comme un objet social. Au Nova, pas de hiérarchie mais un système de responsabilités en rotation qui permet la transmission des savoirs tout en évitant la spécialisation, l’expertise bref, le pouvoir. Bien qu’au départ il ait été très difficile de faire reconnaitre et donc subventionner cette réalité – Gwen dira que le système n’est absolument pas pensé pour ça – certains inspecteurs de la Culture comme de l’Education Permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles ont fini par trouver l’expérience intéressante, considérant le lieu comme « situationniste ». Aujourd’hui, le mode de fonctionnement du Nova, son processus collaboratif et le fait même de questionner en quoi le fait de ne pas entrer dans les cases pose des problèmes de fonctionnement est reconnu comme recherche-action et à ce titre, soutenu par l’Education Permanente.
L’avenir du Nova est-il assuré ? Sans doute pas sans combattre. Ses défis actuels sont de pérenniser sa visibilité auprès des pouvoirs publics sans pour autant perdre son identité, et de faire face à la pression immobilière d’un quartier en pleine gentrification dans lequel libre, sauvage et indépendant, le Nova dénote un peu.
Ten Weyngaert au cœur du quartier
Bart Goeteyn est programmateur au centre culturel communautaire culturel et social Ten Weyngaert7. Ce centre culturel développe une programmation de théâtre et de cinéma jeunes publics, ainsi qu’une offre culturelle pour adultes tournée essentiellement vers les artistes locaux. Ten Weyngaert a un objectif social : œuvrer pour la diversité culturelle et le quartier dans lequel il s’implante.
Pour Bart Goeteyn, l’art est politique parce qu’il est fragile. Il prend l’exemple du théâtre et de sa pérennité dans l’histoire de la civilisation, malgré la vulnérabilité qu’il peut y avoir à se rassembler entre humains pour en regarder d’autres, malgré la fragilité de celui qui joue devant ces autres rassemblés. Ainsi, cette mise à nu, cette audace, cette liberté de dire et de faire, fait passer de par son existence un message universel, et est, à ce titre, politique. De plus, le théâtre – mais on pourrait en dire autant des arts plastiques ou de la musique – se produit bien souvent à l’aide de codes diamétralement opposés à ceux des médias actuels, lesquels séduisent à toute vitesse par des contenus fascinants, extrêmement digestes, calibrés pour susciter l’émotion. Malgré tout, il existe, il survit : en cela il est politique et partant, essentiel.
Soutenu par la Commission Communautaire flamande (VGC) qui prend à sa charge les salaires de ses employés, l’association se veut ouverte à toutes les communautés linguistiques du quartier. Ainsi, pour éviter toute discrimination et favoriser la diversité des publics, la plupart des spectacles à destination des écoles et des familles sont sans paroles. Implanté à Forest, Ten Weyngaert est soutenu localement par la commune et a développé des partenariats avec différents acteurs culturels locaux tels que le Brass, la zinode de Forest ou le festival familial « humain et durable » Supervlieg-Supermouche dont Bart est également l’un des programmateurs.
Tout irait donc pour le mieux sans les économies liées à l’austérité qui, dernièrement, ont touché de plein fouet le secteur culturel flamand et plus particulièrement la jeune création, laquelle a perdu 60% de ses subventions. Pour Bart Goeteyns le fait qu’il soit de plus en plus difficile pour les artistes émergents d’obtenir une reconnaissance suit une logique de rentabilité : en asseyant les artistes reconnus, on aide ce qui rapporte déjà. Aider les acteurs culturels locaux en péril devient alors, pour Ten Weyngaert, une part importante des sollicitations auxquelles il doit répondre. De nombreuses jeunes compagnies désormais sans le sou viennent demander un soutien à l’association, laquelle y accède dans la mesure de ses moyens : en proposant quelques résidences qui entrent en résonnance avec sa programmation. Ces résidences, jamais assez nombreuses selon Bart, mettent à disposition des compagnies une infrastructure mais ne peuvent pas allouer d’argent. En conséquence, certaines annulent, voire disparaissent, faute de soutien suffisant…
Si Bart Goeteyns ne se sent pas directement en danger, s’il soutient entre autres que la NVA n’a finalement que peu d’impact à Bruxelles, il dit néanmoins rester vigilant face aux possibles stratégies de pourrissement, lesquelles consistent à donner de moins en moins de moyens pour une action sur le terrain de moins en moins efficace, ce qui à la longue justifie l’arrêt des subsides. Moins que la politisation de l’art, c’est donc bien sa marchandisation qui à terme, pourrait le condamner…
Par Patrice Lombard, le Miroir Vagabond
Par Nathalie TOUSSAINT et Emilie PUITS
Depuis trois ans, un groupe de citoyens sambrevillois soutenu par le Gabs, une association locale, milite pour un logement digne et accessible à tous. A l’issue de ce parcours, quelques membres du groupe et les deux animatrices qui le suivent, tentent un bilan des actions menées. Quel est le poids des actions citoyennes ? Quel est le rôle de l’associatif face au découragement des militants, à la pesanteur des procédures, à la lenteur administrative ? Autour de l’expérience de ce groupe, ce sont des questions de fond sur la citoyenneté, les rêves de changements, et les attentes des militants qui émergent.
« Trankiliz’toit : un toit, un droit ! »
Nous travaillons comme animatrices au GABS, une ASBL luttant contre les inégalités sociales, essentiellement sur le territoire de la Basse-Sambre, c’est-à-dire les communes de Jemeppe-sur-Sambre et Sambreville. Parmi nos services, nous avons une APL, Association de Promotion du Logement. Au départ de cette APL, les travailleurs font un constat récurrent : pour une personne à faibles revenus, pour un bénéficiaire d’allocations sociales, trouver un logement, et encore plus un logement digne, décent, est un véritable parcours du combattant à Sambreville comme ailleurs. Nous entendons quotidiennement ou presque des témoignages découragés : les logements sociaux sont engorgés. Certains propriétaires et agences immobilières refusent tout net de faire visiter un logement à une personne au chômage, au CPAS ou à la mutuelle. Les cautions locatives du CPAS sont rédhibitoires. Les logements d’urgence sont toujours occupés et les marchands de sommeil ont de beaux jours devant eux. Les loyers sont exorbitants.
Au départ, fin 2015, nous avions imaginé une action symbolique, ponctuelle, pour attirer l’attention du public sur la situation.
Nous avons donc rassemblé une dizaine de personnes, vivant pour la plupart des situations de logement trèsNous avons donc rassemblé une dizaine de personnes, vivant pour la plupart des situations de logement très compliquées, voire dramatiques, et nous avons réfléchicompliquées, voire dramatiques, et nous avons réfléchisur l’action à mettre en place. Or, il s’est avéré que les membres du groupe n’avaient pas envie de mener une action symbolique à court terme. Ils nous ont proposé une série d’autres idées…
Trankiliz’toit, groupe d’action citoyen, a donc vu le jour en janvier 2016. Il lutte depuis contre les discriminations dans l’accès au logement. Trankiliz’toit, groupe d’action citoyen, a donc vu le jour en janvier 2016. Il lutte depuis contre les discriminations dans l’accès au logement.
Quelques étapes :
– Création d’un jeu de société de sensibilisation aux problématiques du logement
– Interpellation au Conseil Communal de Sambreville sur la situation de logement dans la Commune
– Rencontre de quelques élus communaux autour de la question du logement avec proposition de pistes de solutions
– Rédaction et envoi d’un courrier, également signé par la commune de Sambreville, le RWLP1 et le RWDH2, à l’attention des agences immobilières de Sambreville, pour leur rappeler leurs devoirs en matière de discrimination
– Rencontre des agences immobilières ayant accepté l’invitation- Mise en place d’un testing téléphonique pour confronter les dires des agences avec des faits concrets
– Dans l’idée de faire converger les combats, participation au regroupement de plusieurs petits groupes de citoyens qui travaillent sur la question du logement en Wallonie.
Échange autour de différentes formes de militances (mars 2019)
Mario et Brigitte sont deux militants du groupe « Trankiliz’ toit ». Ils nous livrent par ce témoignage leur point de vue sur leur combat pour un logement pour tout le monde.
Mario : C’est en venant à la Ruche que j’ai rencontré les premiers membres de Trankiliz’Toit. Ils avaient formé ce groupe pour s’occuper de la problématique des logements. A l’époque, l’un d’eux avait créé une maquette qui représentait sa maison idéale.
Par Julien CHARLES
Les décrets séparent éducation à l’environnement et Education permanente. L’étanchéité des attributions minis-térielles distingue aide au développement et lutte contre la pauvreté. Les habitudes militantes isolent syndicats et expérimentations démocratiques. Les enjeux socio-économiques, écologiques et démocratiques sont dissociés alors qu’ils devraient être associés. Pour parvenir à les tenir ensemble, il faut transgresser ces frontières dans nos pratiques (d’animation, de formation, d’accompagnement, de sensibilisation, d’écriture…) et les ancrer dans la réalité du présent.
Gilets jaunes et jeunes pour le climat
Gilets jaunes et jeunes pour le climat ont occupé le devant de la scène médiatique ces derniers mois. Les premiers peinent à boucler leurs fins de mois et à nourrir leurs enfants. Les seconds craignent pour leur survie dans un écosystème menacé par un dérèglement climatique dont les conséquences seront dramatiques. En sortant dans la rue, les uns et les autres lancent à tous un appel à reprendre les choses en main, avant qu’il ne soit trop tard. L’urgence traverse leurs discours et ils reprochent aux institutions représentatives leur inaction. Mais ils ne tournent pas le dos aux principes démocratiques : ni fascisme vert, ni fascisme rouge. Ils veulent vivre dignement dans un monde égalitaire et constatent que cette égalité est incompatible avec le capitalisme.
Les chiffres qui objectivent ces revendications sont connus de longue date. Dernier rappel par Statbel, l’office belge de la statistique : en 2017, plus de 20% de la population belge était confrontée au risque de pauvreté. De son côté, l’Organisation Météorologique Mondiale indique que les quatre dernières années sont les plus chaudes jamais enregistrées, impactant à la hausse le risque de catastrophes naturelles, de famines, de maladies et d’extinction d’espèces. Ces évaluations quantitatives, qui se multiplient et s’aggravent, conduisent certains à poser des seuils d’acceptabilité de la pauvreté ou du changement climatique. Etablir un seuil, c’est dessiner une frontière qui n’est jamais neutre. Fixé un peu plus haut ou un peu plus bas, le seuil est toujours le fruit d’un arbitrage entre différentes options possibles. A moins de vouloir avancer vers une dictature des experts, ces décisions doivent donc être prises démocratiquement : nous devons nous en emparer collectivement, susciter l’expression d’intérêts et d’opinions divergeants, poser des choix justes et légitimes. L’urgence n’est pas seulement écologique et socio-économique, elle est donc aussi politique.
L’urgence, c’est précisément l’angle d’attaque de la collapsologie, cette « nouvelle science » prétendant objectiver les effondrements qui nous attendent et leurs conséquences inévitables. Ce projet emporte avec lui un risque totalitaire inacceptable. La partie suivante de cet article se présente donc comme une lettre adressée aux gourous de cette science de la fin du monde et à leurs adeptes, destinée à les informer de ce danger. Quelques expérimentations démocratiques servent à leur montrer ce qu’il est possible de faire pour relever les défis auxquels nous faisons face. La dernière section de l’article montrera comment ces expérimentations rejoignent les mouvements des gilets jaunes et des jeunes pour le climat dans une lutte anticapitaliste. Une lutte anticapitaliste qui ne dit pas toujours son nom mais qui ne transige pas avec l’exigence de relever simultanément les défis écologiques, socio-économiques et démocratiques de notre temps.
Lettre aux gourous de la collapsologie
Chers annonciateurs de la fin du monde,
Je vous lis et vous écoute depuis quelque temps. Je ne tiens pas à vous empêcher de continuer à jouer avec les chiffres et les pronostics les plus pessimistes. Je veux simplement vous faire part de mon inquiétude grandissante face à la façon dont vous utilisez les sciences de la nature pour décrire notre société, et la gouverner.
Contrairement à ce que vous laissez croire, les sociétés humaines ne sont pas régies pas des lois naturelles. Il ne fallait pas prendre Brassens au sérieux quand il chantait ironiquement que « la loi de la pesanteur est dure mais c’est la loi ». Nous ne sommes pas seulement définis par nos besoins physiologiques et nos interactions avec l’environnement naturel. Nous sommes aussi des êtres sociaux, pris par des contextes culturels et politiques variables, construits au fil des relations que nous entretenons entre nous, avec les institutions et les objets qui nous entourent.
C’est pourquoi nous défendons une société démocratique, où les lois ne sont pas seulement celles de la nécessité, dictées par la nature, mais aussi celles de la justice, définies par le peuple et ses représentants. Ces lois n’ont pas l’apparente solidité que vous donnez à vos théories : elles sont au contraire incertaines et fragiles. Lorsque vous écrivez et parlez comme si elles n’existaient pas, vous les mettez donc en danger, vous constituez une menace pour la démocratie, vous dépossédez les citoyens de leur pouvoir de décision et d’action. Vous procédez comme ces économistes qui nous enjoignent à nous conformer à l’objectivité des lois du marché. En politique, le scientisme est un totalitarisme.
Pour tourner le dos à cette ambition totalitaire, vous pourriez vous pencher sérieusement sur certaines expérimentations en cours. Elles proposent des réponses parcellaires mais concrètes aux défis sociaux, environnementaux et démocratiques du présent. Elles ne sont pas parfaites mais elles sont ouvertes aux améliorations futures.
Quand les ouvriers de chez SCOP-TI récupèrent leur usine des griffes du groupe Unilever pour la gouverner eux-mêmes, ils démocratisent l’organisation du travail et réduisent les écarts salariaux. Ils mettent fin à des dynamiques d’évasion fiscale, choisissent de soutenir la filière régionale des plantes aromatiques et le commerce équitable.
L’expérimentation française Territoires zéro chômeur de longue durée produit des effets semblables. Les entreprises créées dans ce cadre développent des activités ancrées dans la transition écologique et la cohésion sociale. En proposant un CDI à temps choisi à tous les chômeurs des territoires concernés, elles permettent d’éloigner significativement le risque de pauvreté. Elles contribuent aussi à reconstruire la confiance en soi nécessaire à l’implication dans la vie de la cité.
Les multiples projets de jardins partagés, de repair cafés et d’ateliers de fabrication de produits d’entretien qui se développent hors de l’emploi permettent pour leur part aux citoyens de récupérer un peu de pouvoir sur les objets qui les entourent et, par là, sur leur propre vie. Ils y trouvent aussi une vie collective dans laquelle leurs contributions sont reconnues à leur juste valeur.
Dans les espaces ouverts par ces expérimentations, se dessinent des horizons et des pratiques politiques, socio-économiques et écologiques qui sont à la fois justes, égalitaires et solidaires. En incarnant la possibilité de tenir ensemble ces enjeux, ces espaces nous donnent les moyens d’éviter que le ciel ne s’effondre encore un peu plus sur la tête des exclus, des exploités et des opprimés. Cet effondrement dont vous répétez sans cesse qu’il est inévitable… Ca donne à réfléchir, non ?
Julien
Que faire du capitalisme ?
Ces expérimentations, imparfaites, ouvrent une voie intéressante : elles sont fondamentalement orientées vers le triple objectif de vivre dignement, d’exercer sa citoyenneté et de préserver l’environnement. Seules, elles ne parviendront pas à renverser le capitalisme. Mais elles permettent d’éprouver comment ces trois horizons mutuellement nécessaires imposent une rupture avec le capitalisme. Elles contribuent ainsi à dessiner un rapport de force qui nous est plus favorable.
Cette articulation fait évidemment défaut aux collapsologues qui négligent les enjeux sociaux et démocratiques. Elle est aussi délaissée par le mouvement syndical qui mobilise ses militants « pour le pouvoir d’achat » et prêche pour « une meilleure répartition de fruits de la croissance ». Régler l’injustice salariale lui semble suffisant, les impacts environnementaux et politiques du capitalisme sont négligés. Le même défaut d’articulation caractérise ceux qui plaident pour un renouvellement de la démocratie, à l’occasion du Grand Débat français ou ailleurs. Ils font de la récolte des avis des citoyens leur revendication fondamentale, sans rien dire de la façon dont le capitalisme sape les conditions de cette participation, nuit à la vitalité démocratique en dépossédant les citoyens de leurs droits politiques au travail et en évitant les maigres législations écologiques et sociales existantes. Les expérimentations évoquées ci-dessus, comme les gilets jaunes et les jeunes pour le climat, témoignent de la nécessité de traiter conjointement ces trois enjeux. Très concrètement, ces configurations offrent à des citoyens qui ne se parlaient pas (ou plus) la possibilité de se retrouver autour d’activités communes et de dialoguer autour de problèmes identifiés collectivement, même si leurs réponses ne sont pas univoques. C’est là une portée colossale de ces mouvements et expérimentations : avant de formuler de grandes affirmations sur l’avenir désirable et les moyens d’y parvenir, ils s’ancrent dans l’expérience des protagonistes et la description du présent.
L’exemple des entreprises créées dans le cadre des Territoires zéro chômeur de longue durée illustre clairement cela. Elles s’enracinent dans la double identification des besoins concrets du territoire et des attentes tout aussi concrètes des chômeurs, pour les faire se rencontrer au sein d’un projet collectif. Des questions de déplacement et d’accès à une nourriture de qualité y sont par exemple énoncées, simplement mais précisément. Les acteurs rassemblés s’interrogent sur les raisons pour lesquelles ces besoins fondamentaux ne sont pris en charge ni par le marché, ni par l’Etat. Au fil de l’expérimentation, ils identifient leurs intérêts communs. Ils construisent alors leurs propres réponses face à ces constats et ces ambitions communes. Et lorsqu’ils mettent en œuvre ces propositions, ils font voir leur pouvoir d’action, leur force.Si les acteurs de cette expérimentation ne s’affirment pas franchement anticapitalistes, ils ne le sont pas moins dans les faits. Ils n’en font pas une étiquette permettant d’arranger les militants déjà convaincus. La mise à mort du capitalisme est la destination, pas le point de départ du projet. Au départ, il y a l’objectif d’éradication de la pauvreté, d’égalité de droits et de solidarité. Certes, les expérimentations et mouvements évoqués sont parcellaires et ne dessinent pas une politique générale. Mais ils n’en sont pas moins intransigeants sur leurs ambitions socio-économiques, écologiques et démocratiques. Ils construisent ainsi un rapport de force favorable aux opprimés et aux exploités.
La force de ces expérimentations et mouvements ne tient donc pas à la généralité d’une formule. Leur puissance ne s’ancre pas non plus dans des discours scientifiques définitifs sur l’état du monde et notre incapacité à déterminer ce qui va nous arriver. Ce qui leur donne sens et force, c’est le refus de la pauvreté qu’ils affirment, c’est la construction égalitaire qui les sous-tend et ce sont les principes écologiques qu’ils incarnent. Sur ces trois enjeux, ils ne sont prêts à aucun arrangement. Sur le reste, ils avancent à petits pas, s’ancrent dans la pluralité du monde qui les entoure et engrangent ainsi des victoires. C’est sans doute comme cela que se construit efficacement un rapport de force favorable à la sortie du capitalisme.
Par Laurence DELPERDANGE
Namur. Rue St Nicolas, quartier des « Arsouilles ». Au 44, dans la salle d’attente de la maison médicale, des affiches invitent à faire la fête entre voisins, à découvrir à travers le court métrage qui leur est consacré, les rêves de ses habitants1, à se retrouver autour du P’tit Kawa, à jardiner en toute convivialité, à bricoler au potager des Herbes folles… Il s’en passe des choses aux Arsouilles !
Des liens tissés pour mettre en mouvement, collectivement, corps et esprit.
C’est là que consulte Pierre Brasseur, médecin géné-raliste, co-fondateur du lieu. « Nous avons démarré la maison médicale en 2000 », explique-t-il.
Trente-deux ans après mai 68 mais dans l’esprit de cette époque qui amena à revisiter l’ordre établi de la médecine, cherchant à injecter un souffle nouveau, une dimension plus collective à une profession souvent solitaire.
P.B. : « Dans les années 70, alors que je commençais mes études de médecine, pas mal de collectifs voyaient le jour : des centres de planning familial, de santé mentale et des maisons médicales tous initiés par des gens s’inscrivant dans un courant alternatif, en réaction à la médecine libérale et soutenant une approche participative, plus à l’écoute des patients et pluridisciplinaire. Ca bousculait la vision du médecin dans sa tour d’ivoire. Il fallait inventer une nouvelle manière de travailler. C’est d’ailleurs la vision que nous avions toujours lorsque nous avons fondé notre premier cabinet médical, une amie et moi, dans les années nonante. Mon stage dans une maison médicale très ancrée dans son quartier a été déterminant. Ce modèle m’attirait d’emblée dès ma sortie des études de médecine.
On a voulu rejoindre la fédération francophone des maisons médicales laquelle était déjà bien implantée et ce modèle, bien développé : le paiement au forfait négocié avec l’INAMI, le travail en équipe pluridisciplinaire… L’accent mis sur une approche globale de la santé.
L.D. : Ce n’est sans doute pas par hasard que vous avez choisi ce quartier St Nicolas ?
P.B. : « J’ai toujours été attiré par ce quartier populaire. J’appréciais le franc parler, la bonhomie de ses habitants. Certains y étaient nés et ne l’avaient jamais quitté. Ils étaient les témoins d’une époque où le quartier était assez prospère. Ils savaient à quel bain social ils appartenaient même si, au fil du temps, le quartier changeait.
J’avais envie que mon travail s’inscrive dans les rapports humains, sociaux tels que ceux que je pouvais trouver ici.
L.D. : On peut donc dire que pour une même profession, on trouve différents profils de médecins, et donc, des lieux de « travail » plus ou moins appropriés ?
P.B. : « Je suis allé vers un public pour lequel j’avais de la sympathie et ce public m’a adopté. Effectivement, tout diplômé de la faculté de médecine n’est pas bon pour travailler n’importe où. Il faut développer sa pratique dans un lieu qui vous corresponde socialement et humainement ».
L.D. : Comment décririez-vous le rapport à la santé qu’entretiennent vos patients ?
P.B. : « Mes patients n’entretiennent pas vraiment un rapport à la santé. La notion de santé aujourd’hui recouvre l’idée qu’on doit veiller à faire des prises de sang, à vérifier certains paramètres pour préserver une sorte de capital santé… Comme si la santé était un projet en soi, une préoccupation. La tendance actuelle est de considérer qu’une partie de la vie devrait être au service de la santé. Beaucoup de gens ici n’ont pas cette approche. Pour eux, il s’agit plutôt d’un rapport
immédiat avec l’existence. La plupart vivent au jour le jour et font face à ce qui survient mais sans l’anticiper. Ici, on va chez le médecin quand on va très mal. Le médecin est celui à qui on va demander secours quand c’est vraiment trop difficile à supporter ».
L.D. : Dans ce contexte, comment envisagez-vous votre rôle ?
P.B. : « Je suis au service de mes patients. J’essaie de percevoir ce qu’ils attendent de la vie. Je considère qu’il faut d’abord soigner le mal de vivre avant de faire avaler un médicament. La relation qu’on entretient avec son corps et sa santé prend place à travers la philosophie que l’on a de la vie. Ce qui est vrai pour tout le monde. C’est de cela dont je dois m’occuper. Pas d’une manière intellectuelle mais en mettant avant tout en lumière la manière dont chacun se pose des questions sur sa propre vie.
Ma pratique se fonde sur cette vision. Il me paraît essentiel d’ouvrir un espace dans lequel le patient pourra percevoir les enjeux importants dans sa vie. Après, nous construirons ensemble un projet de se soigner. Et celui-ci varie de l’un à l’autre ; chacun étant plus ou moins prêt à avancer dans cette réflexion. Pour certains, le projet sera minimaliste, pour d’autres, plus ambitieux.
Le rôle du médecin est de donner la possibilité à chaque patient d’aller aussi loin qu’il le souhaite. Cela prend plus ou moins de temps. Et ce rapport au temps est essentiel. Il faut s’aligner sur le temps du patient ».
L.D. : On a l’impression que ce cheminement nécessite une durée assez longue, ce qui semble aller à l’encontre du courant actuel ? Vous faites la preuve que c’est possible.
P.B. : « Nous avons en moyenne un rendez-vous tous les quarts d’heure et une plage libre toutes les heures. Avec ça, on ne va pas très loin… Donc, lorsque quelqu’un consulte, je tente de percevoir son souhait : a-t-il besoin de temps pour échanger ou a-t-il une demande précise ? Il arrive que certaines personnes viennent me voir très régulièrement, prennent davantage de temps. Je dois pouvoir moduler mon temps en tenant compte de cela. Dans notre maison médicale, les rapports entre les personnes de l’équipe sont soignés, les prises de décision sont collectives, la convivialité est de mise pour rendre l’environnement professionnel soutenant pour chaque travailleur.
Des jeunes débarquent chez nous et apprécient cette ambiance de travail. La qualité de la vie d’équipe est au service d’un projet sous-tendu par une vision de la santé et de la société.
Corps objet de tous nos soins
L.D. : Aujourd’hui « être en bonne santé » semble une injonction. Comment vous situez-vous face à cette tendance ?
P.B. : « Je n’ai pas une vision du corps en tant qu’objet. Le corps, c’est la personne. Ce n’est pas la matière du corps, c’est l’être. On « n’a » pas un corps, on « est » un corps. Or, la société actuelle cultive cette vision du corps objet. Si le corps devient ainsi un objet, une marchandise avec un idéal du corps objet, c’est très compliqué lorsque ce modèle paraît inaccessible. Dans ce cas, le risque est de se désintéresser de ce corps, le combat à mener pour tendre vers cet idéal, paraissant au-dessus de ses capacités. C’est en ce sens qu’il me paraît important d’inviter mes patients à se demander : « Qui suis-je dans mon corps ? » Il faut ouvrir un espace permettant à chacun de se percevoir tel qu’il est et de mieux cerner ce qu’il désire. Il faut s’autoriser à sortir des injonctions qui disent que faire pour être en bonne santé et correspondre aux normes ‘. Cette conception normative de la santé n’a pas de sens et il est regrettable que des médecins cèdent à cette vision et installent leur pratique sur ces repères. Si les préoccupations des patients se confondent avec ces normes érigées, il y a réellement un problème. La préoccupation doit être : quelle santé pour ce que je veux vivre ? »
L.D. : Votre approche se situe donc clairement en dehors des tendances actuelles ?
P.B. : « Le patient a besoin d’un interlocuteur pour répondre à cette question concernant sa santé, telle qu’il l’envisage. Il s’agit avant tout d’être attentif à soi : une attention à soi par le détour d’une relation à l’autre. Je prends soin de moi en me confiant à l’autre. La maison médicale est comme une caisse de résonnance. On y accueille chacun pour ce qu’il est et pas pour le formater comme un modèle de santé. Ici, on peut trouver quelqu’un avec qui parler de ce qui inquiète. Dans notre équipe, il y a le kinésithérapeute qui soigne avec les mains ou qui guide les gestes ; c’est une forme de parole aussi, non verbale mais aussi essentielle. A nos côtés, il y a aussi une infirmière qui prend soin du corps. Il s’agit juste d’offrir à la personne la proposition de prendre soin de soi et d’être aidée en cela par quelqu’un qui accueille. Parfois aider à prendre soin de soi consiste en des choses simples.
On n’existe pas sans lien à l’autre. Ce lien est constitutif de soi. La médecine ouvre la question du rapport à soi et du lien aux autres. Et lorsqu’on est capable d’attention à soi, on est aussi capable d’attention aux autres et inversement.
Corps et nouvelles technologies
LD. : Et comment dans votre approche considérez-vous l’intrusion ou l’apport des nouvelles technologies ?
P.B. : « Dans le contexte actuel, les nouvelles technologies de la communication représentent à la fois un espoir et, dans le même temps, suscitent des craintes…
Sur le plan de la santé, la technologie pousse de plus en plus vers une vision individualiste, une vision où le corps est objectivé. On tend à détacher la personne de la matière de son corps et on s’intéresse principalement au fonctionnement du corps-matière. Le corps devient l’objet de soi-même. On le regarde comme un objet à observer avec attention. On s’écarte d’une vision humaniste de la santé. On se doit d’être en santé pour soi, coupé des autres alentours…
On mise tout sur la performance du corps qui en devient presque virtuel. On n’est plus du tout dans un corps au service de la vie mais l’inverse. Vers quoi va-t-on aller ? »
Lutter contre les déterminants sociaux de la santé
L.D. : Et à l’opposé, la précarité gagne du terrain et rend de plus en plus difficile l’accès aux soins…
P.B. : « Dans le contexte actuel d’état social actif, on sent un mouvement vers une société qui se débarrasse de ses responsabilités par rapport au devenir des gens. Cela contribue à creuser les inégalités sociales dans le domaine de la santé, entre autres.
Il y a aussi des questions de priorité. L’état accepte de rembourser des interventions très coûteuses qui vont prolonger la vie de personnes qui ont (mais pas forcément) de bons moyens alors que les traitements de base deviennent de plus en plus chers et donc difficiles d’accès. Pour les familles à faibles revenus, il est de plus en plus difficile de donner à ses enfants, lorsque cela est pourtant nécessaire, des antibiotiques de base ou des antidouleurs. Où met-on les priorités ? Cela pose réellement question. La société ne prend décidément plus soin des gens. On en voit des signes partout.
Maison médicale: un modèle qui a… malgré tout… le vent en poupe
Un audit a montré que les maisons médicales ont le même coût que les médecines classiques libérales. Qualitativement, ce ne sont pas les mêmes soins : les maisons médicales ont des moyens pluridisciplinaires qui permettent d’envisager la santé des personnes de manière plus globale (mentale, physique, sociale) et aussi de manière intégrée, en tenant compte du milieu social et environnemental dans lequel vivent les gens. Il y a donc surtout une grande différence de vision politique.
Il existe deux fédérations de maisons médicales en Fédération Wallonie Bruxelles. Elles poursuivent des missions identiques en matière de soins de santé primaire: la Fédération des maisons médicales et des collectifs de santé francophones qui regroupe plus de 110 maisons médicales et la Fédération Médecine pour le peuple qui regroupe les maisons médicales associées au PTB). Il existe aussi une fédération flamande. Le nombre de maisons médicales est en augmentation.
En 2015, 336.247 patients étaient inscrits dans une maison médicale, soit 3% de la population, selon les statistiques de l’Inami.
Depuis 20 ans, on voit cependant une évolution par rapport au modèle. Des médecins trouvent intéressant de s’associer car cela leur permet d’avoir un meilleur confort de vie. Deux modèles coexistent aujourd’hui, sous-tendus par deux visions : un modèle qui se veut alternatif à la médecine libérale et un autre dont l’objectif est aussi de pouvoir mieux gérer le temps consacré à sa profession. Ce modèle attire de plus en plus de jeunes médecins qui souhaitent mieux concilier vie de famille et vie professionnelle.
1. Le Quartier St Nicolas (vu par ses habitants) est un quartier animé où différentes associations organisent activités et événements. S’y côtoient des nationalités des quatre coins du monde ; ce qui lui donne des couleurs et des diversités pleines de richesse. Ce quartier est considéré parmi les plus populaires du centre-ville.
Par Paul HERMANT et Pascale WILMS
Le corps, quand il travaille, est soumis au stress de l’exigence des résultats et de l’excellence de l’entreprise. Quand il se révolte, il peut goûter à la matraque voire au flashball. Et même quand il ne fait rien, il est assailli par des pollutions invisibles qui diminuent son espérance de vie. Peut-être que ce que le système productiviste sait faire de mieux, après tout, c’est encore de fabriquer des invalides. Chaque année, en Belgique, c’est environ un million de personnes qui se retrouvent ainsi en incapacité de travailler. Rencontre avec François Perl, directeur du Service des indemnités de l’Inami.
P.H. : Nous nous sommes souvenus d’un article que vous avez écrit pour la revue Politique, il y a 4 ans. Vous y traitiez de la santé au travail comme d’une nouvelle question sociale et cet article se terminait comme ceci : « A l’heure qu’il est, il y a en Belgique plus de personnes qui sortent du marché du travail pour des raisons médicales que de demandeurs d’emploi. Si on intègre l’ensemble des situations d’incapacités de travail, cela fait plus de 950 000 personnes qui sur une année auront ainsi quitté leur poste de travail ». C’est ce chiffre hallucinant de 950.000 personnes en incapacité de travailler qui nous vaut de nous rencontrer. Vous le confirmez aujourd’hui ?
F.P. : Tout à fait. Il s’agit du chiffre global que je cite souvent afin de bien situer le problème. Je précise qu’à l’époque où cet article a été écrit, il y avait moins d’invalides qu’aujourd’hui. Ce terme d’invalides est un héritage de la guerre 14-18 et la notion a servi par la suite à caractériser les maladies liées au monde du travail. Mais aujourd’hui que le paradigme a changé, cette terminologie englobe aussi ce qui appartient aux risques d’ordre privé. La santé ne s’arrête pas aux portes du travail. C’est pourquoi ce dont nous parlons, ce n’est pas d’invalides du travail mais d’invalides de la vie, ce qui est beaucoup plus complexe. Et c’est tout cela qui donne environ un million de personnes en incapacité de travailler pour des raisons diverses : maladies de courte durée d’un mois à un an qui sont souvent le signe d’une absence plus longue, handicaps, maladies pour causes professionnelles, chômeurs en incapacité médicale de reprendre le travail, etc. Si on prend bout à bout, on a deux fois plus de personnes qui sont hors du marché du travail pour des raisons médicales que pour des raisons économiques. Et parmi ces personnes absentes du marché du travail pour des raisons médicales, le nombre d’invalides est stricto sensu de 415.000 personnes.
P.H. : Et on devient invalide pour quels types de raisons ?
F.P. : On est déclaré invalide par un calcul d’évaluation de la perte de la capacité de travail. On le devient au moment précis où le diagnostic d’un médecin conseil de la Mutuelle, confirmé par un médecin de l’INAMI, indique qu’on a perdu plus de 66% de son aptitude à exercer un métier. Mais quand on a dit ça, on n’a rien dit. Il faut voir ce qui se cache derrière ce calcul et ce pourcentage. Viennent d’abord des maladies liées à des problèmes psychologiques et mentaux qui concernent 40 à 45% des personnes indemnisées, viennent ensuite un bon nombre de maladies musculo-squelettiques et d’atteintes à l’appareil locomoteur : maux de dos, rhumatismes, tendinites,… soit environ trente autres pourcents. Le reste est constitué notamment de cancers, de pathologies cardio-vasculaires, d’accidents domestiques ou de la route et de toute une série d’autres maladies comme les maladies pulmonaires… Mais ce n’est pas la maladie qui rend invalide en soi. On connait des gens qui ont un cancer et qui continuent à aller au travail. C’est pourquoi il est essentiel de juger l’état de santé dans son ensemble. L’important dans ce diagnostic est de déceler la capacité à pouvoir retravailler à terme.
P.H. : Et tout ce qui concerne à la souffrance au travail ? Le burn-out, le bore-out et tous ces mots en « out » sont-ils pris en compte dans cette approche de l’invalidité ?
F.P. : Là on est dans une zone assez grise. En théorie cela devrait être reconnu comme maladie professionnelle, mais ça ne l’est pas. C’est porté au quota des problèmes mentaux que j’ai évoqués. Mais en soi, le burn-out pose un autre type de problème. Quand on regarde les statistiques, il y a deux fois plus de personnes qui souffrent de dépression que de burn-out. Le burn-out passe pour la maladie des gagnants, de gens investis qui ont tout donné à leur travail, tandis que la dépression continue à ressembler à une maladie imaginaire qui concernerait des gens qui auraient juste besoin d’un grand coup de pied au cul. Or la dépression est bel et bien une maladie physiologique, ce n’est pas un état de choses. Et si, effectivement, la souffrance au travail peut en être un des déclencheurs, il faut également faire un sort, par la même occasion, à l’idée qui voudrait qu’aujourd’hui il n’y a de souffrance au travail que mentale. Car bien sûr, la souffrance physique existe toujours. C’est la raison pour laquelle je me refuse à séparer souffrance physique et mentale, je préfère dire que la souffrance est globale.
P.H. : Qu’est-ce qu’elle nous dit du travail, cette souffrance ?
F.P. : Que nous sommes assez loin d’avoir basculé dans une ère du bien-être au travail… Nous sommes pourtant traversés de plein d’assignations nous vantant le bonheur au boulot et nous avons à notre disposition un tas de possibilités pour décompresser, des happiness managers aux cours de yoga ou aux massages assis. Un monde parfait. Or, ce n’est pas vraiment ça le tableau. Le travail tue plus de deux millions de personnes chaque année dans le monde d’après les statistiques incomplètes dont nous disposons. Dire qu’aujourd’hui « on ne meurt plus du travail ou au travail » est complètement faux. On a cru que le passage vers une industrie de service allait régler les problèmes de souffrance au travail, mais il n’est est rien. Nous sommes entrés dans une ère fantastique où l’on est exploité, mais avec le sourire…
P.H. : D’où ces vagues de dépressions et de burn-out, de suicides aussi.
F.P. : Le problème sous-jacent au travail, c’est le stress professionnel. Un stress systémique qui procède de l’environnement au travail : il est produit par les interactions avec la chaîne hiérarchique, les injonctions de productivité, la communication des résultats,… C’est une situation que le burn-out est venu troubler en apportant le récit de ceux qui ne parvenaient plus à rencontrer cette excellence et à correspondre à cette exigence. Pourtant, la vraie maladie là-dedans, c’est le stress professionnel. Lorsque l’on mesure ce stress, on voit que la courbe ne cesse de monter depuis les années 80 avec des pics qui correspondent aux crises économiques. Celle de 2008, par exemple, a mis beaucoup de gens sur le côté.
P.H. : Et tout cela dans un souci de productivisme qui reste inchangé…
F.P. : Tant que l’on sera dans un système qui sacralise la productivité, le corps sera soumis aux conditions de cette productivité, c’est clair… Pour autant, je ne fais pas partie de celles et ceux qui souhaitent ou prophétisent la fin du travail. Je pense au contraire que le travail continue d’avoir un sens très important pour un nombre considérable de gens. En revanche, je crois qu’il est essentiel de déconnecter le travail du dogme productiviste. La vraie question me semble être de savoir comment on peut faire évoluer un monde du travail moins lié au productivisme. Et comment imaginer un mécanisme de productivité qui ne s’appuie pas que sur des paramètres commerciaux ou économiques, mais qui tienne compte du paramètre humain. C’est-à-dire un système productif qui n’oblige pas les gens à aller au-delà de leur corps pour pouvoir gagner leur vie.
P.H. : Est-ce qu’un mouvement comme les gilets jaunes ne répond pas en partie à cela ? A cette assignation qui est faite au corps de se mettre en danger pour des raisons entrepreneuriales ou économiques ?
F.P. : Même si le mouvement reste compliqué à décrypter, il semble en effet que la plupart de ces personnes proviennent surtout de professions pressurisées, des professions de santé, des ouvriers, des chauffeurs-livreurs…
P.H. : Et en retour, ce corps pressuré au travail est aussi meurtri par la révolte. A l’heure où nous parlons : 23 éborgnés, 5 mains arrachées et plusieurs centaines de blessures diverses… C’est le retour du corps dans le conflit social ?
F.P. : On peut voir ça. Je me méfie des références historiques, mais dans la répression des gilets jaunes il y a quelque chose qui rappelle celle des jacqueries paysannes ou des grèves de mineurs… Avec, à l’époque, des rapports de force certes très difficiles, mais qui étaient sans doute paradoxalement plus favorables aux ouvriers dans la mesure où ils étaient beaucoup moins interchangeables qu’aujourd’hui et que la grève et les blocages des outils de production étaient moins problématiques que maintenant… Cette répression est aussi un phénomène français avec une politique de maintien de l’ordre très différente de la nôtre ou du nord de l’Europe. Le sud de l’Europe en est peut-être plus coutumier : rappelons-nous Gênes et le G8 en 2001. Alors, c’est de façon industrielle que la répression répond à une contestation tout aussi industrielle…
P.H. : On vient de parler du corps soumis au travail et qui en subit les conséquences, on vient d’évoquer le corps qui ne veut pas se soumettre et qui en subit aussi les conséquences… Mais il y a aussi des situations dans lesquelles le corps ne peut simplement pas réagir aux conséquences qu’il subit. Je pense à des choses non contrôlables comme aujourd’hui la pollution atmosphérique ou demain la 5G…
F.P. : Le corps est malheureusement soumis, en effet. La pollution de l’atmosphère est une chose sur laquelle je tente de penser et d’écrire beaucoup. Car comme pour les accidents du travail, il y a quelque chose d’invisibilisé : les gens qui meurent à cause de la pollution de l’air, on ne les voit pas. A Bruxelles, on parle de 800 personnes par an, en Belgique d’environ 15.000. Ce sont des morts pour lesquels il n’existe aucune considération. Si demain, on constatait que le football génère 15.000 morts par an, on interdirait le football. Est-ce qu’on va arrêter de venir à Bruxelles en voiture pour préserver les enfants de l’asthme ? Est-ce qu’on va empêcher les bateaux d’entrer dans le port d’Anvers car le fioul lourd provoque des terribles dégâts sur la santé des petits Anversois ? Non, on ne le fera pas. Pour la simple raison que ça remet en question ce qui est au centre du problème : le dogme productiviste. On y revient.
P.H. : Et c’est avec ce corps là que nous retournons au boulot, pourtant.
F.P. : Cela montre bien que la souffrance au travail n’est pas due qu’au travail et c’est encore plus pernicieux que la souffrance au travail… On peut se dire : le boulot, c’est de 9 à 17 heures, tâchons d’améliorer les choses entre 9 et 17 heures et le problème sera réglé. Mais avec la pollution de l’air, ça ne marche pas, elle ne s’arrête pas aux frontières du travail. C’est comme la dépression, elle ne fait pas juste ses heures… Avant 9 heures elle est là, après 17 heures elle est toujours là.
P.H. : D’après vous, ce chiffre de 950 000 que nous avons pris comme point de départ il va diminuer ou augmenter dans les temps qui viennent ?
F.P. : Pour des raisons démographiques liées aux baby-boomeurs, nous allons vers une diminution progressive du nombre de personnes en âge de travailler et donc, par effet rebond, du nombre de maladies liées au travail. Mais je ne pense pas que le nombre s’en trouvera grandement affecté. Les nouvelles formes de travail, comme l’ubérisation, entraînent de nouveaux risques professionnels et sociaux. Nous aurons toujours besoin d’une sécurité sociale pour les indemniser et de négociations collectives pour tenter de trouver un équilibre entre les intérêts de ceux qui détiennent l’appareil productif et les intérêts des travailleurs…
Par Myriam van der BREMPT
On a l’habitude de considérer que le domaine du care (en français soin ou sollicitude) se soucie du bien-être des plus faibles et revendique, sur fond de féminisme, plus de reconnaissance de celles qui s’y (dé)vouent. Or, les recherches contemporaines sur le care sont aussi de plus en plus clairement politiques : elles posent radicalement la question d’une place pour le corps en démocratie.
Dénoncer le corps asservi
Être respecté.e dans son droit et sa liberté d’être qui on est, y compris dans son corps, c’est un des droits humains fondamentaux et une des formulations primordiales du principe d’égalité à la base de la démocratie. Pourtant, nous sommes bien loin de sa concrétisation pour tous. Il s’agit d’un combat.
Milady R. (voir dans ce numéro, p.16) s’y livre dans sa « F(r)iction d’enfance » qui fait semblant d’être descriptive, avec sa révolte qui fait semblant d’être contenue et son écriture juste assez structurée pour laisser entrer le lecteur : le texte se met au service de la Web Serie ExtraNostro, où le corps est exposé à tous les verdicts de rejet et de condamnation puisqu’il s’y agit de la communauté LGBT+ africaine et afropéenne. Le tout s’abat en coup de poing… sur la table du lecteur.
Quoi qu’il y paraisse dans cet autre texte en apparence moins dérangeant à lire (p.19), on découvre la même loyauté et le même combat chez le Dr Pierre Brasseur, qui raconte son métier de médecin généraliste en maison médicale depuis presque vingt ans. Sous la plume de Laurence D., mine de rien, nous lisons comment ce médecin est autre chose qu’un exécutant des normes de santé publique, autre chose qu’un agent de formatage de la santé et de la beauté des corps. Pour le Dr Brasseur, le patient n’est pas un corps-objet, mais une personne qu’il respecte a priori dans sa globalité. Et une question se fait jour entre les lignes : faut-il se trouver dans un quartier populaire comme Saint-Nicolas à Namur et dans le cadre d’une maison médicale au sens politique du terme, c’est-à-dire par définition non soumise, pour rencontrer cette médecine-là ? Est-elle vraiment impossible ailleurs ?
Je m’incline : l’engagement de ceux et celles qui dénoncent toutes les soumissions forcées des corps aux normes, aux interdits et aux diktats appelle respect et questionnement.
Dénoncer le corps inexistant
Mais comment travailler sur ce déni encore plus radical du corps, au sens où il s’est noué à la racine de notre culture occidentale, qui consiste à l’invisibiliser, à le faire disparaitre, ne pas exister, ne pas se rappeler au souvenir… Sans notre corps, nous sommes… morts !
Et pourtant, bien souvent tout se passe comme s’il y avait, sans lui, plus important à faire : travailler, militer, penser, analyser, revendiquer, argumenter, décider, inventer (on dit innover aujourd’hui), sans parler de produire et de rentabiliser, toujours plus et plus efficacement.
Formatrice en éducation permanente, Suzanne (p.6) est familière de toutes ces opérations mentales. Mais voilà qu’elle se demande, dans les pages de ce journal même, comment elle pourrait bien fonder une place pour le corps dans tout cela…
Comment intégrer politiquement une vision de l’être humain comme un tout, corps compris, avec notamment ses besoins et ses limites ? Ou poser comme politique la démarche d’accueillir un groupe de façon juste et harmonieuse, dimension esthétique comprise ? Ou prendre l’habitude de s’arrêter pour analyser ses émotions et compter avec l’information qu’elles fournissent pour se positionner politiquement ici et maintenant ? Pour l’éducation permanente, par exemple, n’est-ce pas déjà se ramollir douteusement, verser dans le frivole ou le développement personnel, bref, lâcher la priorité donnée à l’émancipation collective et à l’engagement politique ?
Peut-on être citoyen et avoir un corps ? La question parait étrange. Pourtant, elle n’est pas tout à fait farfelue.
Petit préalable sur la citoyenneté
Rappelons qu’être citoyen, ce n’est pas trier ses déchets ni aller s’amuser entre soi à la fête des voisins. La citoyenneté est un statut politique accordé aux gens en démocratie. Rappelons aussi que le terme « politique » ne désigne ni la corruption ni le souci de son avancement personnel. La dimension politique est celle qui concerne les choix de société. Exercer sa citoyenneté, c’est donc participer, activement, aux choix de société.
Pour rendre possible cet idéal du pouvoir politique exercé par tous, la démocratie se définit comme universaliste : les citoyens, c’est tout le monde. Inclusivement1. Sans identité particulière requise, sans caractéristique spécifique à attester, sans examen d’admission à réussir. Du point de vue de la démocratie, ce fondement universaliste a bien sûr tout son sens, puisqu’il est garant du principe d’égalité entre tous les citoyens sur lequel la démocratie peut s’instaurer. Mais si c’est cela être citoyen, comment donc parvient-on à être sans identité particulière ? Eh bien, à partir des fondements philosophiques de notre culture occidentale, ce n’est pas un problème !
Citoyen : avec ou sans corps ?
De Platon aux philosophes des Lumières (et jusqu’aujourd’hui?), en passant par Descartes (« Je pense, donc je suis » – pas besoin du corps pour cela), la conception de l’humain est restée dualiste : esprit/âme/pensée/raison d’une part, dimension supérieure et autosuffisante, corps d’autre part, inférieur et limité, bassement matériel, soumis à la dégradation.
Les mêmes philosophes n’ont eu aucun mal à définir la citoyenneté sur la base de la même abstraction :
le citoyen est un être rationnel, qui s’exprime dans l’espace public de façon désintéressée et a pour objectif le bien commun. Rien de personnel ! Les théoriciens insistent : intérêts individuels, préoccupations d’ordre privé et revendications identitaires n’ont pas leur place dans l’espace public citoyen.
C’est ici que revient la question du corps : par mon corps se marque, sans doute possible, ma singularité. Pas seulement par mon corps. Aussi par ma culture, mon éducation, ma famille, mes goûts, ma personnalité, etc. Mais aussi par mon corps. Est-ce donc compatible, sans schizophrénie, avec ma citoyenneté ? Le développement précédent sur les fondements de la démocratie me pousse à répondre… non.
Suzanne a des raisons d’être perplexe. L’éducation permanente, dont l’objet est la citoyenneté, ne pourrait donc pas faire place au corps. En tout cas pas sans se mettre en question.
Et pour se mettre en question là-dessus, il y a peut-être la pensée contemporaine sur le care. Étonnant, a priori. Le care, n’est-ce pas tout le domaine de la prise en charge des bébés et des jeunes enfants, des personnes âgées, handicapées, malades ? N’est-ce pas un domaine strictement lié aux professionnels du soin ou à la vie privée, à la limite de ce qu’on nomme aujourd’hui le bien-être, avec ses incursions dans le monde du travail, mais sûrement pas dans le domaine politique ? Et si cette image-là du care était déjà une caricature marquée par le même dualisme corps-esprit ? Une pensée politique du care se développe aujourd’hui et nous permet d’aller un peu plus loin.
Une pensée politique du care
L’éthique du care est née aux États-Unis dans les années 80. Le nom de la psychologue Carol Gilligan et son ouvrage Une voix différente (1982) en constituent les références initiales. Féministe, cet auteure a cherché à sortir de l’invisibilité et de l’indifférence méprisante tout ce domaine de la prise en charge et du souci, assumé presque exclusivement par des femmes, à l’égard des personnes fragiles placées en marge de la vie sociale dans les hôpitaux, les maisons de retraite ou la sphère privée.
Mais sous le nom d’éthique du care, ses recherches et celles qui ont suivi n’ont jamais visé une simple reconnaissance compensatoire de ce travail féminin de l’ombre. Il s’est agi d’emblée pour les chercheur.e.s d’interpeller les théories morales et politiques dominantes, en particulier celles sur la justice.
Ainsi, les théoricien.ne.s du care dénoncent qu’à l’origine de ce qui nous paraît juste aujourd’hui, il y a, en particulier depuis le XVIIIe siècle, « la fiction d’une autonomie primordiale2», qui permettrait l’avènement de la liberté et de l’égalité de tous. Le monde idéal serait celui où personne ne dépendrait de qui que ce soit pour se réaliser, chacun serait fort, à même de combler tous ses besoins et complètement responsable. Pour crédibiliser cette idéologie, notre société s’est employée à invisibiliser au maximum les fragilités humaines. Des catégories de personnes ont été mises hors circuit (bébés, vieillards, malades, handicapés, chômeurs…), celles qui les prennent en charge ont été infériorisées : leur service se voit « rejeté, selon les circonstances, dans la ‘moralité des femmes’, les histoires de bons sentiments, les solidarités familiales ou de voisinage, voire (…) les ‘nunucheries’ » et renvoyé « dans les coulisses de la performance, qui veut les ignorer ». Dénonçant tout cela, le care se présente donc comme « un concept critique, qui révèle des positions de pouvoir3».
En affirmant au contraire que la vulnérabilité constitue aussi notre humanité – c’est tellement évident que je me demande tout à coup comment on a pu le nier à ce point –, les tenants du care proposent une autre vision de l’humain : autonome et puissant certes, mais aussi toujours en même temps fragile et dépendant des autres, tout au long de sa vie. Il s’agit de passer d’une éthique de l’autonomie primordiale à une éthique de la relation primordiale. « Les plus performants sont aussi ceux qui parviennent trop bien à ne pas voir en quoi leur succès et l’extension de leurs capacités d’action dépendent de qui les sert4», c’est-à-dire de qui vient faire leur ménage, lave leur linge et repasse leurs chemises, s’occupe de leurs vieux parents et garde leurs enfants, etc.
Un citoyen avec un corps
Mais il est temps de revenir à notre question de départ. Y a-t-il une place politique pour le corps en démocratie ? L’enjeu éclairé par la pensée du care est précisément de sortir du dualisme corps/raison, où le corps est nié, pour délégitimer les rapports de domination qui s’ensuivent : performance productiviste de l’humain autonome (sans corps) d’un côté, qui devient l’apanage de certains (riches, en bonne santé et… pas encore en bur-nout), et faiblesse des autres, chairs fragiles et corps dépendants, mis à l’écart, de même que ceux.celles qui se soucient d’eux, subalternes et disqualifiés.
A partir de l’analyse du care, s’ouvre la perspective de redéfinir la démocratie, et donc la citoyenneté, à partir d’une prise en compte de l’humain dans sa globalité. N’est-ce pas, du coup, l’occasion pour Suzanne de faire évoluer l’éducation permanente ? Et voir le patient dans sa globalité, n’était-ce pas précisément l’approche médicale et politique du Dr Pierre Brasseur ?
A partir de son expertise de Directeur général du service des indemnités de l’INAMI, François Perl, rencontré par Paul H., vient compléter le présent dossier (p.22) : « Tant que l’on sera dans un système qui sacralise la productivité », dit-il, « le corps sera soumis aux conditions de cette productivité » et les gens devront « aller au-delà de leur corps pour pouvoir gagner leur vie ». La pensée politique du care n’indique-t-elle pas également la possibilité d’opposer quelque chose au rouleau compresseur du productivisme et donc de répondre quelque chose à François Perl pour nous éviter d’aller vers la perspective qu’il décrit comme on irait dans le mur ? Le chantier est ouvert…
1. Ici aussi, les conditions réelles de vie dans notre société indiquent que nous-sommes loin du compte et que le combat n’est pas terminé…
2. Eric DELASSUS, « Pour une politique du care », 23 janvier 2014, http://iphilo.fr
3. Sandra LAUGIER, Pascale MOLINIER et Patricia PAPERMAN, « Politique du care contre société du soin », 21 avril 2010, https://www.scienceshumaines.com/le-souci-des-autres-ethique-et-politique-du-care_fr_14756.html
4. Ibid.
Les asbl aux prises avec le projet de code des sociétés et des associations. Un lifting ou une atteinte aux fondements de la vie associative ?
Par Michel DAVAGLE
Préambule
Le ministre Koen Geens vient de déposer au Parlement le projet de Code des sociétés et des associations. Mais, ce n’est pas la seule initiative qui a été prise envers les ASBL puisque des dispositions ont modifié le Code de droit économique confirmant que les ASBL doivent être considérées comme des entreprises.
Pour comprendre tout ce remue-ménage, il convient de savoir que, depuis plus de vingt ans, la plupart des ASBL sont considérées comme des entreprises. La loi du 6 avril 2010 relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur (aujourd’hui intégrée dans le Code de droit économique sous le titre IV) définissait déjà l’entreprise comme étant « toute personne physique ou personne morale poursuivant de manière durable un but économique, y compris ses associations ». S’il est vrai que des grandes ASBL se gèrent comme des entreprises, il n’en reste pas moins qu’elles sont (et restent) des entreprises dont l’humain est au centre des préoccupations, non seulement du fait que l’activité est déployée au profit des bénéficiaires mais aussi que le « capital » humain est essentiel pour poursuivre le but désintéressé qu’elle s’est fixé.
Les ASBL vont-elles devenir des sociétés comme certains ont osé l’affirmer ? Que nenni ! Certes les ASBL sont appréhendées de plus en plus comme des entreprises mais en quoi est-ce un « mal » ? Autrement dit, ce n’est pas parce qu’on améliore l’efficience d’une ASBL que celle-ci perd son âme. Au secteur associatif de continuer à valoriser leurs actions en démontrant qu’elles sont réalisées dans la poursuite d’un but désintéressé !
Et peut-on affirmer que les initiatives du ministre Geens ont pour objectif d’asservir les ASBL au profit du dieu « fric ». C’est à notre avis un procès d’intention. Néanmoins, chacun fera son analyse politique, ce qui ne nous empêchera pas d’être vigilants.
Ceci étant, nous allons aborder dans cet article les principales modifications qui se profilent pour les ASBL.
Précisons que le projet de Code des sociétés et des associations est au stade de projet et que des amendements pourront être apportés lors du vote à la Chambre !
L’instauration d’un Code des sociétés et des associations
Plusieurs raisons président à la rédaction d’un Code mais nous en retenons une « essentielle » pour les ASBL : à savoir la suppression de la différence entre acte commercial et acte civil.
La définition de l’ASBL édictée par la loi du 27 juin 1921 précisait qu’une ASBL ne pouvait réaliser des activités commerciales, c’est-à-dire des activités reprises dans le Code de commerce et ce, même si elles étaient poursuivies sans but lucratif (autrement dit, sans but d’enrichissement des membres). C’était une lecture qui était préconisée par la doctrine dont certains de ses partisans allaient même bien plus loin puisqu’ils soutenaient qu’une ASBL ne pouvait dégager des bénéfices. Sachez que, par exemple, diffuser des spectacles, exploiter un centre sportif ou héberger des personnes sont des activités à caractère commercial.
En référence à l’intention du législateur de 1921, j’ai soutenu la thèse « dite libérale » défendue depuis 1985 par le professeur Michel Coipel. Cette position consistait à affirmer : peu importe l’activité, l’essentiel est que les bénéfices soient affectés exclusivement à la réalisation d’un but désintéressé. Et c’est en fait cette thèse que consacre le projet de Koen Geens : il donne une nouvelle définition de l’association qui devrait, selon nous, être encore améliorée en vue de corriger quelques imperfections.
Un texte illisible
Mais le grand reproche à formuler envers ce projet de Code est que le gestionnaire d’ASBL doit voyager dans différents livres du Code (livres 1, 2, 9, 12, 13 et 14) pour « picorer » dans ce fatras de règles ce qui l’intéresse vraiment. Autrement dit, en termes de lisibilité : le pari est complètement raté.
L’inconvénient qui est lié à cette volonté de rassembler les règles qui régissent les personnes morales de droit privé dans un seul Code est que la différence entre la société et l’association paraît plus ténue. A notre avis, c’est dû au fait que les rédacteurs du texte ne mettent pas suffisamment en valeur l’importance de la poursuite d’un but désintéressé. Autrement dit, ce n’est pas parce que des règles de fonctionnement sont identiques ou semblables que l’ASBL ne doit pas se différencier nettement de la société. Certains craignent, à tort ou à raison, que cette situation risque d’augmenter les contentieux entre ASBL et sociétés sur le terrain de la concurrence déloyale. Précisons à ce sujet que ce n’est pas un problème que ces structures soient en concurrence (on est dans une économie capitaliste !) mais bien que les pratiques utilisées soient déloyales.
Les membres
A ce sujet, on regrettera qu’une ASBL puisse dorénavant être constituée par deux membres (au lieu de trois actuellement) et que son conseil d’administration puisse être composé de ces deux mêmes personnes qui se sont auto-désignées comme « administrateurs ». Est aussi supprimée l’obligation qui exigeait que l’AG soit composée d’un nombre de membres supérieur au moins d’une unité du nombre d’administrateurs.
Dans le cas de figure envisagé (deux membres qui sont aussi administrateurs), les membres se donneront, à eux-mêmes, décharge. On ne peut pas dire que l’on a fait un bond significatif sur ce point en matière de bonne gouvernance. Mais rien n’empêche les ASBL d’édicter des règles de bonne gouvernance dans les statuts !
Notons qu’au passage, on rabote le droit des membres puisqu’ils ne sont plus autorisés à consulter que le registre des membres. Auparavant, ils pouvaient exiger la consultation de certains documents (ex. : les PV des A.G. ou des CA) ou accéder, en l’absence d’un commissaire, aux comptes.
L’assemblée générale
Pour l’essentiel, l’AG garde les mêmes compétences. Certes, on en a ajouté formellement d’autres mais elles étaient déjà sous-entendues. Au niveau formel, signalons que la convocation à l’AG devra être envoyée au moins quinze jours à l’avance et qu’elle pourra être envoyée par courriel (sauf si le membre demande à recevoir la convocation par lettre ordinaire).
Le conseil d’administration
Le conseil d’administration est conforté dans sa mission de gestion et de représentation de l’ASBL. Il peut, sous sa responsabilité, déléguer des pouvoirs à des organes institués par les statuts (organe de représentation générale ou organe de gestion journalière) ou à des mandataires.
Le projet instaure trois nouvelles dispositions importantes :
• il édicte des règles en matière de conflit d’intérêt patrimonial (direct ou indirect) qui exigent que l’administrateur déclare la situation à propos de laquelle il a un intérêt différent de celui de l’ASBL, le procès-verbal du CA devant reprendre la déclaration et les explications relatives à cetintérêt opposé.
Notons aussi que dans les grandes associations (c’est-à dire celles qui sont contraintes à tenir une comptabilité en partie double), cette partie du procès-verbal du CA sera reprise, dans son intégralité, dans le rapport de gestion adressé à l’AG ;
• il stipule que, quand une personne morale (ex. une ASBL) est administratrice d’une ASBL, elle devra obligatoirement désigner un représentant permanent, celui-ci ne pouvant alors siéger soit à titre personnel, soit de représentant d’une autre personne morale administratrice ;
• il affirme que les administrateurs encourent une responsabilité solidaire c’est-à-dire que les administrateurs négligents ou insouciants ne peuvent opposer leur négligence ou leur insouciance car ils restent, avec les autres administrateurs, responsables des décisions prises. En fait, les ASBL ont plus besoin d’administrateurs responsables qu’irresponsables ! Pas de panique à ce sujet, il existe des moyens pour se protéger dont la possibilité que l’ASBL souscrive à une RC administrateurs.
D’autres modifications
Des modifications sont apportées dans les réglementations concernant la dissolution. Et, il est instauré un mécanisme de fusion et de scission pour les ASBL ainsi qu’une possibilité de pouvoir se transformer en association internationale sans but lucratif (AISBL) ou en société coopérative agréée comme entreprise sociale. Il est également prévu un processus de transformation d’une AISBL ou d’une société en ASBL.
L’insolvabilité des ASBL
Depuis le 1er mai 2018, les ASBL sont concernées par le livre XX du Code de droit économique qui met en place différents instruments pour éviter la faillite des ASBL. Il n’en reste pas moins que, quand tout est « déglingué », il faudra prononcer la faillite avec une responsabilité aggravée pour les administrateurs dont les comportements peuvent être qualifiés de très gravement fautifs. Une ASBL qui est gravement déficitaire ne démontre pas, de ce fait, que les administrateurs sont gravement fautifs car ils ne sont peut-être même pas fautifs. Par ailleurs une erreur de gestion ne constitue pas une faute si le choix opéré résulte d’une analyse des possibilités offertes, choix qui s’avère a posteriori un mauvais choix !
L’entrée en vigueur
Le Code entrera en vigueur pour les ASBL existantes le 1er janvier 2020. Mais ces ASBL peuvent décider d’en appliquer les dispositions avant cette date en modifiant leurs statuts et ce, en les mettant en conformité avec les dispositions du Code. Dans cette hypothèse, les ASBL sont soumises aux dispositions du Code à dater de la publication des modifications aux Annexes du Moniteur belge. Dès ce moment, ces ASBL se doivent alors de respecter les règles impératives édictées par le Code.
Après le 1er janvier 2020, les ASBL existantes actuellement et qui n’ont pas anticipé la mise en application des dispositions du Code devront mettre leurs statuts en conformité à l’occasion de la première modification de leurs statuts et ce, quoi qu’il arrive, avant le 1er janvier 2024. Faute de ne pas avoir respecté ce prescrit, les administrateurs seront alors personnellement et solidairement responsables des dommages subis par l’ASBL ou par des tiers résultant du non-respect de cette obligation d’être en conformité avec le Code.
Les statuts
Que faudra-t-il faire modifier dans les statuts ? Il faudra à tout le moins vérifier si le but désintéressé ET l’objet (c’est-à-dire la détermination des activités que l’ASBL se propose de réaliser) sont bien précisés dans les statuts. Il faudra aussi déterminer la région linguistique (et non plus l’arrondissement judiciaire). Pour le reste, il conviendra d’adapter les règles au prescrit légal (ex. : un délai de quinze jours pour convoquer l’AG), en sachant que si cela n’est pas fait, les règles impératives du Code trouvent à s’appliquer.
Deux conseils
Il faut veiller à ne jamais insérer l’identité des administrateurs, des représentants généraux et des délégués à la gestion journalière dans les statuts mais dans les dispositions transitoires.
Il est conseillé de ne plus mettre l’adresse exacte du siège social dans les statuts (mais uniquement la région linguis-tique) mais bien dans les dispositions transitoires publiées aux Annexes du Moniteur belge. Cette manière d’opérer permettra au CA de modifier l’adresse du siège social sans, comme c’est le cas actuellement, devoir opérer une modification statutaire.
Conclusions
Les ASBL sont astreintes à plus de règles explicites, ce qui clarifie certaines situations mais le grand problème est la compréhension et la lisibilité (on l’a déjà dit) de tout ce « machin ». La responsabilité des administrateurs ne me semble pas alourdie mais le Code souligne l’existence de cette responsabilité, ce qui risque d’augmenter les contentieux. Certes, envers les « mauvais » administrateurs, le Code se montre plus sévère.
Et pour en revenir à la question de départ, il s’agit d’un lifting mais qui pourrait, si on n’y prend pas garde, altérer l’esprit associatif. En aucun cas, redevenir une association de fait n’est un bon choix car la responsabilité des dirigeants est directement mise en cause sur leur patrimoine personnel.
De la coopération contrainte à la coopération durable
Par Sophie WIEDEMANN
La coopération contrainte et ses paradoxes
Visant la réduction de dépenses publiques, la rentabilité et la mise en concurrence généralisée, le contexte néolibéral favorise ce paradigme en créant des financements publics limités. Le paradigme de coopération contrainte ne résulte pas d’un choix concerté entre acteur.trice.s mais d’une injonction institutionnelle. Le décret Centres culturels notamment conditionne les financements à une coopération avec de nombreux autres acteur.trice.s. Il s’inscrit en général dans un contexte de continuité des actions en cours et entraine une obligation de réussite, qui n’invite pas à l’action collective : la coopération est alors un risque et est envisagée à titre provisoire, avec l’idée de pouvoir changer de partenaire si elle ne fonctionne pas. Plus les partenaires sont nombreux, plus la coopération est considérée comme un empilement de risques. Dans ce cadre, les prétentions d’action collective se réduisent à une action relativement minimale.
Outre les contraintes institutionnelles, le paradigme de la coopération contrainte se retrouve en chacun.e de nous : nous coopérons en considérant le plus petit dénominateur commun entre parties prenantes, avec une logique comptable du type « Je dois en retirer plus que ce que j’y mets ». Par exemple, chaque partenaire énonce sa spécialité dans une recherche de complémentarité. Il coopère en restant dans son cadre d’action prédéfini individuellement, où les risques et les effets sont maitrisés. Enfin, les acteur.trice.s s’impliquent à condition que les autres prennent autant de risques qu’eux.elles, avec l’idéal d’une coopération « win-win », dans laquelle chacun.e compléterait les compétences/ressources lacunaires dans leur plan d’action respectif. Le milieu associatif ressent très souvent la peur de « se faire piquer ses idées » ou « son public », ce qui produit paradoxalement une implication minimale dans la collaboration.
La coopération durable ou souhaitée et ses exigences
À côté des coopérations contraintes, existent des formes de coopération dans lesquelles le calcul coût/avantage ne semble pas prévaloir. L’hébergement des sans-papiers par des citoyen.ne.s, ou les ateliers vélo gratuits gérés bénévolement sont des formes de solidarité réelles et non de principe. Ainsi, l’action ne naît pas toujours d’un plus petit commun dénominateur identifié, ni d’un incitant à la coopération aussi puissant que le financement, mais aussi d’acteur.trice.s prêts à agir qui mettent en commun du temps et des ressources pour des fins communes. Ces finalités non-marchandes pertinentes socialement ne sont jusqu’alors pas prises en compte par l’action publique, voire associative. Les premières mutuelles et actions syndicales en sont des exemples indéniables, ainsi que les enjeux des « nouveaux mouvements sociaux » : féminisme, justice migratoire…
Ce paradigme de coopération n’est donc pas inventé ex nihilo mais s’appuie sur des pratiques solidaires existantes. Les personnes s’engagent en acceptant l’incertitude d’un processus relationnel au-delà des rôles déjà définis. Les acteur.trice.s en présence se décentrent du calcul de leur intérêt individuel au profit du but de la cause collective. Dans ce cas, se créent une confiance mutuelle et une capacité à travailler ensemble, au-delà d’un projet particulier ou d’un objectif initial. Par exemple, des habitant.e.s ayant réalisé dans leur commune le BLED, une give box2 ont suscité beaucoup d’enthousiasme. Si la give box, incendiée 6 fois, a finalement fermé, d’autres actions ont été poursuivies. Même si un projet n’a finalement pas lieu, dans ce paradigme, les parties prenantes ont pris conscience du supplément (et non du complément) de valeur lié à un niveau d’action supérieur, car les risques inhérents à l’action collective sont mutualisés et l’attitude des acteur.trice.s a suscité un désir de continuer à agir collectivement dans le temps. On parle alors de coopération souhaitée et/ou durable. Elle devient durable en ayant des effets à deux niveaux : confiance en soi, dans les partenaires et en un « nous », en tant que collectif instituant : par exemple, lors de la constitution de plateformes associatives ou mixtes autour d’enjeux dépassant les identités et pratiques de chaque membre, se constitue une identité propre. Alors, la méfiance du grand public quant à la récupération que pourrait opérer un de ses membres diminue. Ce ‘nous’ n’est cependant jamais configuré « une fois pour toutes », contrairement à une institution plus « identifiable » dans le temps.
Trois conditions méthodologiques permettent de l’instaurer :
– un processus de gestion des risques en commun : déterminer qui assurera le nettoyage des déchets dans la give box, par ex.
– un processus de gestion des conflits –inévitables : nommer et traiter les conflits le plus vite possible.
– un processus d’animation : là réside le métier d’animateur.trice : revenir au désir des gens de « travailler » une question ; amener une manière de traiter les questions, de garantir la participation de tou.te.s. et l’intérêt du collectif, avec une attention à l’intérêt de chacun.e, en étant capable par exemple de piloter un groupe fluctuant ; en intégrant l’anticipation des risques et la gestion des conflits. Les « intelligences citoyennes »3 peuvent être mobilisées.
Dans une société qui nie l’espace et le temps, ce métier de relations objectives sur des enjeux locaux est non délocalisable.
En réalité, les deux paradigmes coexistent et une injonction institutionnelle à la coopération peut être transformée en coopération désirée : selon Maesschalck, « il y a donc une incertitude du désir de coopération, mais celle-ci ne peut être « traversée » que par un travail sur les croyances relationnelles. Soit je n’attends rien de mon environnement relationnel, je le préfère figé ; soit je suis ambivalent par rapport à ses apports possibles (…). Tout va dépendre de la manière dont je vais tenter d’investir ce processus instituant [ici, une injonction institutionnelle à la coopération] et à le maintenir dans la durée avec l’ensemble des concernés. À tous les coups, il ouvre la possibilité de sortir d’une fiction de complémentarité (…), pour envisager une forme supplémentaire, une réélaboration des rôles et de leur interaction. Si cet engagement est recherché et favorisé, alors une coopération désirée peut prendre corps »4.
Réactions des participant.e.s de l’atelier
En nommant ces compétences, les animateur.trice.s professionnel.le.s affirment leur rôle dans ces actions citoyennes mêlant bénévoles et professionnel.le.s : ne risque-t-on pas alors de renforcer le paradigme de la coopération contrainte en institutionnalisant davantage ce rôle ? Pour les BAGICien.ne.s, en présence de certains membres de collectifs peu militant.e.s, ils.elles ont tendance à adopter un comportement un peu directif. Militante dans un projet d’aménagement public dans sa commune, une BAGICienne se demande si le désir d’individus participant à titre personnel à des collectifs ne porte pas davantage une cause, que celui des travailleur.euse.s représentant.e.s des institutions dans ces mêmes collectifs (difficulté d’y agir).
Pour les coordinateur.trice.s d’asbl, l’emploi reste un nœud, amenant des réalités autres que celles du bénévolat et des besoins d’une cause citoyenne, qui renforcerait le paradigme de coopération contrainte. L’exemple de certains collectifs qui se vident suite à l’obligation d’avoir des coordinateur.trice.s montre les effets négatifs de cette coopération. Certain.e.s sont notamment confronté.e.s à la difficulté d’instituer une identité collective indépendamment des porteur.euse.s de projet ; d’autres à la starification des animateur.trice.s dans les maisons de jeunes.
Se pose ainsi la question plus globale des cadres administratifs vis-à-vis de l’action associative : il est donc nécessaire d’être toujours vigilant aux désirs citoyens, à ne pas réduire l’identité et champ d’action aux dispositifs publics-financés. Une attention aux modes d’action mixtes bénévoles/salariés et une place pour l’auto-évaluation doivent être prévues. La tendance à cacher la tension professionnel/bénévole dansles projets est souvent problématique. Pour cet aspect, il s’agit de nommer le cadre professionnel/subsidié, de le considérer collectivement comme des paramètres, des éventuels antagonismes à prendre en compte dans la gestion des conflits. Pour C. Boucq, les bénévoles sont bien conscients du supplément lié au salarié. Il est important de ne pas se positionner comme interface avec les pouvoirs publics. Dans le cas d’un échec d’un projet, imputable à la commune, comment rebondir avec les habitant.e.s mobilisé.e.s ? Un risque est de se positionner comme interface d’où, souvent, la méfiance de la part des habitant.e.s envers les animateur.trices. La rencontre avec les habitant.e.s est plus importante que l’échec. Si, par la suite d’autres projets naissent avec certain.e.s, « alors c’est gagné ».
C. Boucq attire aussi l’attention sur la capacité des collectifs à revendiquer et sur celle des politiques à être interpellé.e.s. Lorsque la coopération mûrit, le collectif devient un interlocuteur valable auprès des pouvoirs publics, auprès de qui tout devient négocié et négociable –jusqu’à se dire parfois « on fait sans subsides ! », comme à la Bergerie des 100 noms (ZAD de Notre-Dame des Landes, France), projet agricole collectif qui s’oppose explicitement à la politique publique menée (construction d’un aéroport et obligation d’identifier individuellement un porteur de projet).
L’emploi, la pérennité de l’action associative et l’équilibre dans les relations avec les pouvoirs publics sont à considérer sur un temps long, dans une perspective de coopération conflictuelle, de mouvement social et de commun ; en se demandant éventuellement « Comment les acteur.trice.s publics peuvent participer à notre action ? » – plutôt que de chercher le dispositif de financement adéquat pour se lancer. Au bout d’un an d’existence, l’atelier vélo-cité a notamment reçu des financements pour les outils.
1. Marc MAESSCHALCK, « L’impératif de coopération au travail : utopie ou réalité qui nous lie ? ». Conférence au Printemps de l’éthique : Un travail qui nous relie : utopie ou réalité ?, Libramont 4 mai 2018, Weyrich, 2018.
2. www.consoglobe.com/givebox-boite-don-cg
3. Majo HANSOTTE, Les intelligences citoyennes, Comment se prend et s’invente la parole collective, De Boeck, 2005 ; Sophie WIEDEMANN, Les outils d’intelligence collective pour une démocratie augmentée, Bruxelles, CIEP, 2018 (www.ciep.be)
4. M. MAESSCHALCK, op.cit.
Par Alexandre ANSAY
Avant d’apporter une proposition de réponse aux questions contenues dans l’intitulé de cet atelier, je souhaiterais développer mon propos en déconstruisant une des expressions utilisées : il s’agit de l’association du terme « diversité » auquel est ajouté l’adjectif « interculturelle ».
Cette expression me semble problématique car elle pourrait laisser entendre que le fait de la diversité implique nécessairement le déploiement d’une dynamique de nature interculturelle. Ce n’est pas parce que des individus issus d’univers culturels différents se retrouvent au sein d’un espace social déterminé, à l’exemple du huis clos lors d’un trajet de métro, que les individus en présence vont interagir de telle sorte qu’il résulte de cette interaction, une forme particulière de rencontre : une rencontre entre des sujets, certes, mais qui va mobiliser ce qui fait culture en eux : une rencontre interculturelle.
La diversité n’implique pas nécessairement l’interculturalité. Beaucoup de situations de mixité ne donnent pas lieu à la rencontre interculturelle. Tantôt, les individus glissent, oeuvrant à la poursuite de leurs intérêts individuels. Ils se meuvent, dans l’espace social, dans une relative indifférence, sans se rencontrer. Tantôt, il existe des situations de chocs culturels caractérisées par des frottements conflictuels : des protagonistes se heurtent et au travers de cette conflictualité, ce sont des représentations tenues pour évidentes qui vont s’opposer sans se reconnaître comme légitimes.
Selon un observateur très au fait des politiques de la ville, Jacques Donzelot, le devenir de nos sociétés contemporaines, caractérisées par le pluralisme des patrimoines et des conceptions de la vie bonne, serait bien plutôt gouverné par des phénomènes d’évitement de l’autre, l’autre qui est du côté de l’inquiétante étrangeté, l’autre dont nous pressentons que si nous allons à son devant, c’est à son altérité que nous allons avoir affaire, laquelle va nous entraîner sur des rivages incertains : que va-t-on y perdre ou gagner si nous y allons ?
Il faut souligner que le contexte politique ambiant se révèle de plus en plus hostile à l’émergence des situations de rencontre interculturelle … Je considère pour ma part qu’il existe aujourd’hui un imaginaire politique dominant qui tout à la fois produit de l’insécurité sur les versants matériels et culturels de l’existence, et qui alimente le feu des peurs identitaires (celles des majorités inquiètes de leur devenir) et qui dans le même temps propose un remède de fermeté politique aux situations qu’il provoque directement ou qu’il contribue à aggraver. Cet imaginaire dépeint sous les traits d’une figure menaçante, certains des autrui qui habitent notre monde, ceux-là mêmes qui constitueraient un danger pour nos modes de vie, nos libertés, nos valeurs.
C’est cette même stratégie qui préside à la mise en place de décisions politiques adoptées par le gouvernement fédéral qui prennent les associations et les publics qu’elles reçoivent pour points d’application. Il s’agit clairement d’une stratégie délibérée visant à déstabiliser et affaiblir tout ce que la société civile peut apporter au corps social pour lui permettre de « faire société », et de mettre en place les conditions nécessaires au déploiement de l’action interculturelle.
Alors, venons-en à l’action interculturelle.
Les pratiques associatives qui se réfèrent à la démarche interculturelle renvoient à des interactions complexes qui ne peuvent se déployer que sous certaines conditions.
Tout d’abord, elles reposent sur une présomption de légitimité en vertu de laquelle il est donné à celles et ceux qui y participent, de pouvoir se définir en mobilisant les composantes culturelles de leur identité. C’est ici qu’il faut effectuer un petit détour par la notion de culture.
Il faut en effet s’entendre sur cette culturalité qui est invitée dans le lieu de l’ « inter ». Elle renvoie à la question de ce qui fait culture dans le sujet : quelles sont les appartenances qu’il revendique ? quels sont les éléments qui ont contribué à faire de lui un être de culture, c’est à dire, un être qui a été fabriqué culturellement, par un groupe social déterminé. C’est la question de l’humanisation laquelle renvoie au fait que les peuples produisent, à l’aide de rituels et de traditions et selon leurs propres procédés, l’humanisation des êtres humains. C’est toute cette dimension de la subjectivité qui est autorisée à être, à se manifester pour autant que le participant le choisisse évidemment.
L’action interculturelle suppose donc un ensemble de dispositions qui ont fort avoir avec l’hospitalité : ne pas envisager les participants comme des êtres définis par leur manque ou par le fait d’être insuffisamment dotés, mais plutôt comme des héritiers auxquels les travailleurs sociaux vont destiner une proposition dont nous allons voir qu’elle vise à stimuler une perturbation : les pratiques associatives gagnent en effet à être envisagées en tant que déploiement – pas toujours conscient – d’une perturbation qui va produire des effets non seulement sur les participants mais également sur celles et ceux qui activent le dispositif. C’est pourquoi il faut toujours interroger les intentions qui président à la mise en place d’un dispositif : quels sont les effets qu’il cherche à provoquer ? l’espace de supervision est à ce titre essentiel : se pencher sur les effets qui affectent les uns et les autres. Comment sommes-nous parfois perturbés par les effets induits par le dispositif que nous activons ?
La méthodologie interculturelle se réfère donc à une approche anthropologique de la culture. C’est un des mérites de la clinique de l’ethnopsychiatrie mise en oeuvre par Tobie Nathan que d’avoir montré que la culture a aussi une fonc-tion psychologique dans la clôture de l’appareil psychique. Une des fonctions de la culture c’est par exemple de permettre au sujet de percevoir son environnement sur le mode de l’évidence, de pouvoir attribuer de la signification aux événements fortuits mais également aux séquences centrales de l’existence (naître/accueillir le nouveau né, mourir/faire le travail de deuil, s’unir/les tensions ‘individus >< groupes’, faire face aux négativités inéluctables de l’existence / les maladies et les désordres psychiques, élever les enfants/que leur transmettre ?), en tout cas d’éviter au sujet, « frayeur et perplexité ».
Si la démarche interculturelle n’est pas un « angélisme de l’autre », aussi naïf que niais, elle ne procède pas non plus d’une forclusion des composantes matérielles, politiques, juridiques de la dignité humaine. C’est pourquoi nous considérons qu’il faut prendre en considération les deux versants de la dignité, celle qui a trait aux appartenances culturelles que revendique le sujet et celle qui a trait aux conditions juridiques, socio économiques de sa citoyenneté politique. S’ouvrir à cette dimension politique de la dignité, c’est aussi accepter et prendre acte que les subjectivités choisissent de se définir par rapport à des formes de domination qu’elles perçoivent comme des violences de société.
Que serait l’approche interculturelle si les interactions qu’elle suppose étaient excluantes, c-a-d, si certaines des composantes identitaires des protagonistes n’y avaient pas droit de séjour ? si les sujets qui y sont invités devaient se présenter amputés d’une partie d’eux-mêmes ?
Si la curiosité est une des dispositions nécessaires au déploiement de l’action interculturelle, elle ne doit pas se révéler intrusive : c’est pourquoi l’action interculturelle ne se borne pas au fait d’adopter la perspective anthropologique de la culture : pas que … en tout cas. Il y aussi ces autres cultures, celles dans lesquelles des sujets se retrouvent en ayant fait un « pas de côté » par rapport aux sillons de la normalité attendue par le groupe social dont ils sont issus.
L’action interculturelle s’intéresse aussi à ces cultures que certains qualifient de ‘en marge’ en tant qu’elles renvoient à des formes de vie qui impliquent des sujets en rupture et qui ressentent le besoin de se projeter dans des « en dehors », dans des « ailleurs » pour s’y redéfinir. Quels sont les êtres auxquels ces sujets se connectent ? Quelles sont les réseaux qu’ils mettent en place ? Quelles sont les communautés auxquels ils prennent part ? Quelles sont les images du monde et d’eux-mêmes qu’elles vont élaborer ?
Il n’y a donc pas d’action interculturelle, sans cultures, c’est une banalité de le dire mais c’est plus difficile à faire. Il faut se mettre dans des dispositions : présomption de légitimité, curiosité, hospitalité, vigilance aussi par rapport à certaines utilisations réifiantes, essentialistes des notions de culture ou d’identité. J’ajouterais également le fait de s’appuyer sur des outils méthodologiques éprouvés lesquels ont été forgés dans le champ de la psychologie sociale, de l’anthropologie symétrique.
Pour ma part, je considère que l’action interculturelle est une prise de risque, notamment lorsqu’on se situe dans quelque chose pour lequel moi et mes collègues du CRAcs, nous ressentons beaucoup d’intérêt : je veux parler des pratiques associatives.
Ces dernières donnent lieu à des interactions complexes qui reposent sur l’activation de plusieurs éléments : dispositif, intention, institution, travailleurs sociaux, participants, images du monde, conflictualités, ressources réflexives et budgétaires, cultures liées à des métiers, outils méthodologiques, cadres administratifs plus ou moins contraignants, attachements de nature idéologique, rapports de force, stratégies, ruses, affects de différentes natures, tous ces éléments vont s’imbriquer pour donner lieu à ce que nous proposons d’identifier comme une perturbation : l’action interculturelle, ça perturbe ! Ca perturbe, cela signifie qu’elle produit des modifications des cadres de perception, elle affecte le regard qu’on pose sur le monde et les façons de percevoir celles et ceux avec lesquels nous sommes appelés à interagir ; ça provoque des affects insoupçonnés, tantôt des émerveillements, tantôt de la déception et des attentes déçues.
C’est pourquoi je pense qu’il est absolument nécessaire d’ajouter que ces dispositions bienveillantes que j’ai identifiées – si elles rendent possible la mise en place d’une confiance fondamentale – ont pour fonction de perturber les participants qui acceptent l’aventure qui leur est proposée : introduire de la complexité là où régnaient des représentations simplificatrices, provoquer de la surprise, le surgissement d’un inattendu là où tout devait se passer comme prévu. Ca perturbe parce qu’il y a des êtres auxquels on n’est pas nécessairement habitués et qui arrivent par le témoignage des autres participants (ainsi quelle ne fut pas ma surprise quand un des camarades stagiaires originaires du Bénin m’a raconté le rituel des secondes funérailles qui est pratiqué par sa famille « au pays »). En fait, ça perturbe parce que si nous partageons effectivement un monde que nous avons en commun, nous ne soupçonnons pas les univers culturels que chaque humain transporte avec lui, comme une ombre qui le suit.
Je terminerai en disant ceci. Dans certaines civilisations, comme chez les mandingues1, on considère qu’un homme ne peut marcher et se tenir debout, s’il n’est pas autorisé à exister avec son ombre. Pour nous qui travaillons à activer des dispositifs d’éducation permanente, ou des projets destinés à des jeunes aux prises avec la question de leur devenir, l’action interculturelle ne signifie en aucune manière qu’il faille laisser à cette ombre prendre toute la place. Au contraire, un des concepts centraux dans la méthodologie interculturelle repose sur des procédures de négociations lesquels ont trait à des enjeux relatifs à la coopération proposée. L’action interculturelle avec ses hauts et ses bas, quand elle s’appuie sur certaines des dispositions que j’ai
tenté de mettre en lumière, peut donner lieu à un processus d’enrichissement des significations. Si elle entend perturber celles et ceux auxquels elle adresse sa proposition en vue de reconfigurer un nouvel équilibre, elle ne le fait pas sur base d’un préalable idéologique qui ampute ce que le sujet choisit de définir comme une composante essentielle de son être.
1. Sur cette question du rapport entre les humains et leur ombre dans les cultures mandingues, nous recommandons la lecture du très beau livre de Sory CAMARA, ‘Paroles très anciennes’, éditions La Pensée Sauvage, 1980.
Jiyed, artiste fréquentant Globe Aroma, allait accrocher ses peintures dans l’expo « Carte de visite » organisée par la Ville de Bruxelles. Son travail avait été remarqué pour sa pertinence. Dans ses peintures, des bateaux, des naufragés, des migrants.
Il est arrêté le 7 février, dans les locaux de l’association, par la police de la Ville de Bruxelles.
Comment peut-on, à la fois, être invité et arrêté , par la même autorité ? Enfermé depuis au centre 127bis, voici son témoignage. (suite)
MP : Première question Mesdames, pourquoi avoir dit oui ?
DC : En fait moi j’ai d’abord dit non! Ma crainte de départ était que ça me prenne trop de temps. Après, j’ai réfléchi et je me suis dit que ça m’intéressait quand même et qu’il fallait s’impliquer. C’est facile de se plaindre, mais c’est mieux d’aller “en haut”, à la Fédération donner son avis. Pour une fois qu’il y a une telle opportunité, ça aurait été bête de ne pas en profiter. En fait, j’aurais eu honte de refuser.
L’évaluation du décret était une obligation inscrite dans la législation de 2009, ainsi que déjà la volonté d’y inclure les principaux opérateurs concernés. Comme l’explique Véronique Leroy, actuelle Directrice a.i. du Ser-vice de la Lecture Publique à la Fédération Wallonie-Bruxelles, selon le décret, le gouvernement a donc confié aux services de l’administration la responsabilité d’organiser cette démarche particulière. (suite)
MVDB : Comment en êtes-vous venue à évaluer des politiques publiques ?
CF : Petit à petit, on s’est rendu compte que c’était non seulement intéressant d’analyser les politiques publiques, mais aussi de les évaluer, donc d’aller sur le terrain pour analyser leur impact. Et en entrant dans cette dynamique-là, on a eu beaucoup plus de contacts avec l’administration, avec les parties prenantes et cela a permis de montrer à quel point le processus de policy making est complexe, délicat, pour une nouvelle politique comme pour une politique qui change
Qu’on soit animateur-trice, responsable de projets ou d’organisations, une question surgit toujours : comment cons-truire de véritables espaces de participation ? Quelles sont les conditions pour déjouer les pièges de l’instrumentalisation ou du divertissement ?
Afin de démontrer l’efficacité des politiques, il devient impératif de prouver la performance, la valeur ajoutée et l’impact des initiatives financées par le FSE.Les règlements 2014-2020 contiennent des dispositions renforcées en matière de suivi et d’évaluation. Ce renforcement a pour but de s’assurer que des données fiables et complètes seront disponibles et qu’elles pourront être agrégées pour mesurer l’efficacité et l’impact du FSE.
Le CESEP est particulièrement concerné par la problématique du chômage. Tout d’abord, nous faisons partie de ce tissu associatif né juste après la crise de 1974 qui marque la fin des trente glorieuses, qui inscrit le chômage de masse dans la continuité, qui va engendrer un changement de paradigme économique et social et siffle la fin de l’Etat providence.
Erratum : Dans la première partie, parue dans le n° 107, nous avons laissé une coquille, un lapsus qui en a fait rire plus d’un. Le chômage de friction s’est transformé en…chômage de fiction. Veuillez nous en excuser.
Nous avons consacré la première partie à la présentation des différents types de chômage.
« Non, non rien n’a changé… » chantaient les Poppys en 1971. 45 ans plus tard, le MR a décidé de nous gratifier d’un mauvais remake. La signature du CETA a fait suite à d’intenses négociations entre la Région wallonne, le gouvernement fédéral, les ins-titutions européennes et les négociateurs canadiens. Avec, comme résultat : un « New CETA ». Sur les bancs de la majorité fédérale, on assure que strictement rien n’a bougé par rapport au texte initial. Vraiment ?
La 6e réforme institutionnelle laisse planer pas mal de doutes sur les secteurs de l’insertion professionnelle et du socio-culturel. A l’horizon 2018 se profile un tournant historique pour le monde associatif. Dans cette perspective, quels pourraient être en région wallonne et à Bruxelles, les nouveaux rapports à construire avec l’associatif ?
Au lieu d’accompagner les chômeurs ou les bénéficiaires du RIS dans leur recherche d’emploi et dans leur formation, les politiques d’activation stigmatisent et sanctionnent un public précarisé qui devrait « mériter » ses revenus de remplacement. De plus, elles placent le secteur de l’alpha dans des injonctions contradictoires : d’un côté, certains apprenants se voient contraints à entamer une démarche de formation alors que les demandes spontanées ne peuvent pas être satisfaites.
Les politiques visant à lutter contre le chômage menées par les gouvernements successifs dans la plupart des pays européens sont contreproductives et font appel à de très vieilles recettes au goût amer. Ce n’est pas notre actuel gouvernement ancré à droite qui suivra une autre voie. La mode est à la dérégulation du marché du travail, à la punition de ceux qu’il exclut et à la diminution des coûts.
En Belgique, la Culture, dont la Lecture publique, est une compétence des Communautés. La Fédération Wallonie-Bruxelles compte 145 réseaux de bibliothèques, représentant plus de 500 implantations. Sur l’ensemble du territoire, on dénombre quelque 825 000 usagers, faisant de la Lecture publique le premier secteur culturel subventionné.
Petit aperçu de notre cheminement depuis plus de 40 ans ! Le réseau des Centres d’Expression et de Créativité, dit CEC, existe officiellement depuis 1976. Année, où une première reconnaissance officielle de la Communauté française par un subventionnement articulé autour de la production d’ateliers et du nombre de participants, a concrétisé des initiatives individuelles, souvent d’artistes, de la pratique artistique par des amateurs. Une volonté politique donc, d’assurer à la po-pulation le droit à la participation culturelle en lien avec son environnement et les pratiques artistiques de son temps.
La Fédération des Maisons de Jeunes en Belgique francophone (FMJ) regroupe plus de 110 Centres de Jeunes en Fédération Wallonie-Bruxelles. Pour la FMJ comme pour les centres qui en sont membres, la démarche culturelle et l’inscription des jeunes dans cette démarche culturelle constituent l’essence du travail. Pour la Fédération, pour les centres qui en sont membres, mais aussi pour beaucoup d’autres centres non affiliés à la FMJ qui s’inscrivent eux aussi dans cette orientation et soutiennent les discours et les actions de notre Fédération.
Depuis quelques années, le CESEP, le CIEP, la FMJ et PAC accompagnent les changements impulsés dans les secteurs de la Lecture Publique et des Centres Culturels.
Les nouveaux décrets ont incité les travailleurs et les Pouvoirs organisateurs à s’engager dans des processus de transformation de leurs pratiques professionnelles, de leurs organisations, de leurs relations de coopération avec de nouveaux partenaires, de leur inscription dans un projet de politique culturelle locale et au-delà. Les nouveaux arrivés, découvrent les enjeux et spécificités de ce qu’est la socioculture. Les autres (re)trouvent une fierté dans leur métier et parlent de projets porteurs de sens.
Malgré l’exigence des nouveaux dispositifs et les changements méthodologiques, malgré parfois le passage des acteurs à ce qu’ils appellent eux-mêmes de « nouveaux métiers », nous constatons une adhésion aux valeurs et aux méthodes demandées par ces nouveaux décrets. L’accompagnement est de taille, les formations se suivent, les publications soutiennent le travail des acteurs, les concertations locales, provinciales, régionales se succèdent. Le changement est en très bonne voie.
Et puis, c’est l’annonce … Les décrets ne seront pas financés à hauteur des promesses faites. Il seront appliqués, mais sans les moyens nécessaires à leur mise en œuvre avec pour conséquences de stopper net toutes ces innovations initiées par l’intelligence des acteurs de terrain qui ont su faire atterrir dans leur métier et leurs pratiques des visées ambitieuses.
L’annonce du gel des décrets laisse les acteurs abassourdis. Peu à peu, les différentes fédérations tiennent des assemblées générales, entament des consultations avec la Ministre de Tutelle et à l’heure de la rédaction de cet article, un décret-programme a été voté. Ce décret-programme contient des dispositions relatives au financement pour la période intermédiaire, un décret en préparation pour le mois de septembre pourrait repréciser les orientations des décrets concernés.
Quoi qu’il en soit, ce sont les fondamentaux d’un projet de politique culturelle et sa mise en œuvre qui sont mis en péril … alors que tous les éléments sont réunis pour une mobilisation des acteurs.
Reprenons-les ci-dessous.
Une visée politique claire et partagée
Pour s’engager, une organisation et ses travailleurs ont besoin de sens, d’une visée commune qui motive à prendre ensemble une direction. Pour cela, il leur faut sentir et constater sur le terrain qu’une visée politique, un cadre clair, les regroupe et les soutient.
Le message envoyé par le gouvernement a des effets dommageables pour les travailleurs et les pouvoirs orga-nisateurs. C’est leur dire que la politique culturelle dont ils sont les acteurs, ne vaut plus vraiment la peine au regard d’autres priorités. Est-ce dire au secteur de la lecture publique que leur participation à la construction d’un projet de politique territoriale n’est plus prioritaire ? Est-ce dire au secteur des centres culturels qu’être le levier d’une politique culturelle fondée sur les droits culturels et les gens, ne mérite pas ou plus l’importance qu’elle semblait revêtir ?
Même si les acteurs de terrain y croient encore, comment peuvent-ils mobiliser l’énergie nécessaire pour mener ce changement ? La précarisation des moyens et l’incertitude des échéances ne laissent plus de place à une projection dans le futur. Peut-on piloter sans une visée claire et les moyens qui la soutiennent ? En reculant les échéances, sans les fixer clairement, à 2016, 2017, … 2022, le risque est grand de ne pas avoir de ligne politique commune et de contraindre les organisations à réassumer chacune des choix culturels et politiques, dans des conditions de survie pour certaines. Se dessinera alors une politique culturelle à géométrie variable et à multiples vitesses, avec une diversité d’acteurs culturels et de projets, selon qu’ils disposeront ou non des ressources nécessaires.
La reconnaissance et l’octroi du temps nécessaire au changement
Le temps nécessaire au changement était pris en compte. Un contrat avait été passé entre les instances et les secteurs : ceux-ci disposaient d’une période transitoire pour entrer dans une transformation profonde. Toutefois, le temps d’un tel changement, dans les mentalités et les pratiques effectives, dépasse largement les 5 ans. Il doit s’inscrire dans la durée et nécessite des étapes incontournables dont le travail de conscientisation, de formation, d’accompagnement, de concertations, de mise en oeuvre, d’évaluation…
Pourquoi voter des décrets sans s’assurer de moyens pérennes pour leur mise en oeuvre ? Comment peut-on dire en paroles et en actes deux choses différentes ? Et comment les acteurs de terrain peuvent-ils maintenir leur confiance aujourd’hui ?
La confiance et le mouvement partagé
La confiance se construit dans un cadre clair et solide. Les acteurs sont mobilisés : équipes professionnelles, pouvoirs organisateurs, partenaires associatifs, interlocuteurs institutionnels, et ce sans parler « des gens », des publics. Des conseils de développement de la lecture sont constitués, des conseils d’orientation démarrent leurs travaux, les bibliothèques et centres culturels soutiennent ou rejoignent des concertations locales, des réseaux associatifs.
Le message politique qui est envoyé vient suspendre, voire arrêter, le travail entrepris. Les pratiques transformatrices sont freinées dans leur élan. Les acteurs se retrouvent au milieu du gué, sans repères, dans l’incertitude. Par où aller ? Et surtout, comment ?
De plus, si la plupart des acteurs témoignent du fait que les changements entrepris sont porteurs et irréversibles, un recul du Politique donnera des arguments aux acteurs résistant au changement pour ne pas mener à terme ces processus de transformation.
La reconnaissance de l’intelligence des acteurs
Dès fin 2008, la FWB investit dans la mise en place d’un dispositif large de formations et d’accompagnement des plans et des projets pluriannuels de développement de la lecture.
L’ensemble du catalogue annuel de formation évoluera au cours des ans dans l’intention de répondre aux exigences du nouveau décret. Des outils de référence mettant en commun les compétences acquises en cours de formation et au cours de l’action sont créés en vue de leur transmission vers le secteur.
Par ailleurs, un plan d’information et de sensibilisation des pouvoirs organisateurs, de formation des équipes professionnelles des Centres Culturels est mis en oeuvre.
A travers ces démarches cumulées, les acteurs, équipes professionnelles et les pouvoirs organisateurs des secteurs concernés se sont sentis soutenus et reconnus. L’exigence est forte. La culture de l’évaluation insufflée dans ces décrets et la systématisation de l’analyse du territoire font appel à leur connaissance du terrain et à leur intelligence. Leur capacité à entrer dans le changement et mener à bien est reconnue.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Alors que l’évaluation du décret de la lecture publique, bien engagée, n’est pas parvenue à son terme, la décision prise de geler ce texte ne prend pas en compte les conclusions de cette éva-luation, voire vide la démarche de son sens. Qu’en est-il des réajustements qui auraient pu se faire à partir de cette auto-évaluation ?
Quant aux centres culturels, un certain nombre d’entre-eux ont démarré l’analyse de leur territoire. Ils y ont associé des partenaires, des habitants et leurs différentes instances, conseils d’administration, futurs conseils d’orientation… Un report à durée indéterminée rendrait le fruit de ce travail obsolète quand le moment sera enfin venu de le prendre en compte.
Quelle importance réelle avait cette démarche aux yeux des décideurs ? A quoi servent donc tous ces efforts déjà consentis ?
Le recours en conseil d’état introduit par les 14 bibliothèques était le signal d’une confiance maintenue des acteurs dans le service public.
… Une indispensable clarification du projet de politique culturelle
L’investissement financier en temps et en personnes de la FWB, des centres culturels et des bibliothèques publiques ne peut pas s’interrompre. Le travail n’est pas terminé et donc pas encore opérationnel. Si on ne va pas jusqu’au bout, on ne bénéficiera pas d’un changement à la hauteur de son coût.
Le risque de démobilisation des équipes de travail que nous venons d’analyser est énorme.
Cette démobilisation aura certes des conséquences sur notre travail de formateurs et d’accompagnateurs, la mise à mal des acquis, l’impossibilité d’enraciner un véritable changement, le risque de ne plus croire en la force de la formation et de l’accompagnement pour ne citer que ceux-là.
Mais si le financement ne soutient plus la mutation des secteurs c’est, bien au-delà de l’aspect financier, une crise de confiance dans la politique culturelle de la FWB et une perte de confiance dans leur propre potentiel qui ralentira, voire anéantira, le développement des organisations. Et ce pour longtemps.
Nous rajouterons que les difficultés rencontrées par les professionnels viennent aussi du détricotage progressif du cadre de l’action antérieur aux évènements actuels, la contractualisation des agréments, l’augmentation de la part administrative, une évaluation quantitative des actions inadéquate par rapport aux démarches d’éducation populaire, …
Il y a donc aujourd’hui une urgence de clarifier le projet de politique culturelle en FWB en ouvrant un réel débat sur l’évolution des orientations prises depuis le changement de gouvernement et les conditions de leur mise en oeuvre.
Dès lors, nous ne pouvons qu’encou-rager la poursuite des concertations entreprises depuis la mi-juin avec l’ensemble des fédérations. La pérennisation de ce dialogue et la volonté de vouloir dégager des marges budgétaires pour la mise en oeuvre d’une réelle politique culturelle fondée sur des démarches d’Education populaire est essentielle.
Dans de nombreux secteurs du non-marchand, l’évaluation a pris une place prépondérante dans le quotidien de travail. Devenue omniprésente, elle y est tout à la fois adulée, décriée, survalorisée, re-doutée, oubliée, vampirisée… Depuis plus de 10 ans, le Cesep accompagne des organisations dans la mise en œuvre de leurs processus d’évaluation internes. A ce titre, il a notamment pu observer l’évolution récente de nombreux cadres décrétaux instituant l’évaluation comme nouvelle pierre angulaire des demandes de reconnaissance et de subventionnement ; la réhabilitation progressive dans de nombreux secteurs, de l’évaluation qualitative comme outil d’analyse des pratiques professionnelles ; ou encore l’immense complexité de la mise en œuvre de l’évaluation telle qu’exigée aujourd’hui au regard des moyens parfois disponibles et mobilisables sur le terrain.
En ce 16 août, je reprends la plume éditoriale, une plume tenue depuis quelque temps dans ce périodique par Eric Vermeersch, directeur-adjoint, qui a une écriture bien plus élégante et fluide que la mienne.
Luttes politiques, sociales, économiques, culturelles et environnementales : l’enjeu de l’éducation permanente est de tenir compte de l’expertise que les gens ont acquise et de l’articuler à d’autres niveaux sur base d’un centre de gravité concret : celui de l’action collective. Avec un goût prononcé pour la dimension esthétique et créative. Pour le CESEP, l’éducation permanente a deux fondements : la réflexivité collective et le passage à l’action politique pour un partage équitable du pouvoir. Elle doit également s’inscrire dans une démarche accessible, lisible et moderne.
Les métiers de la culture sont, plus encore que d’autres, directement en lien avec les institutions et politiques d’Etat qui les structurent et les financent et avec les évolutions de société dans lequel leur travail s’inscrit.
« Dans le cadre des appels à projets, les institutions sont obli-gées de passer par l’appel au marché public. Il faut que nous fassions au minimum « appels d’offres » via deux voire trois orga-nismes de formation … auriez-vous la gentillesse donc de jouer le jeu en indiquant tant votre intérêt ou votre désintérêt pour les modules ci-joints afin d’être en ordre avec la loi mais aussi de nous faire une banque de données concernant les sujets qui peuvent entrer dans les compétences offertes par votre service. Merci d’avance pour votre collaboration. Bien à vous. X » nous écrit une organisation.
Jouerons-nous le jeu ?