par Jean-Luc Manise
Numérique libre et durable : l’alliance de l’action associative, juridique et technique rendent possible l’émergence d’un numérique libre, solidaire et respectueux de la vie privée. Les militantes et militants qui la composent convient le politique à leur longue marche en avant.
Le déroulé de la Semaine Numérique organisée en octobre dernier par Media Animation et Point Culture laisse un sentiment mitigé à Anne-Claire Orban de Xivry, la directrice de Media Animation. A ses yeux, les EPN et les associations ne sont pas prêtes à investir dans le sujet, restant dans les couloirs de la longue traîne des suiveuses et suiveurs des plates-formes GAFAM, celles là même qui capitalisent sur leurs données et celles de leurs publics les transformant en outils publicitaires et créant des addictions basées sur la désormais fameuse économie de l’attention. Et sur le capitalisme de surveillance.
Pas sur l’agenda
« On n’est pas prêt, autour de nous, à aborder et à remettre en question cette dimension de l’Internet et des plates-formes en ligne propriétaires. La plupart des couvertures presse qu’on a eu sur cette thématique se résume en des copier/coller de notre communiqué de presse. Pour moi, les journalistes, les comités de rédaction et les médias de façon globale n’ont pas réussi à s’emparer du sujet. Tout comme celui-ci s’est avéré difficilement saisissable et transposable dans les EPN. Il y a eu, dans les activités de la semaine numérique, très peu d’ateliers, à part ceux de Media Animation, qui étaient en lien avec « Generations Followers » . Alors cela pose plein de questions. Est ce que c’est uniquement parce que ce n’est pas dans l’air du temps ou est ce que il y a eu de notre côté, au niveau communicationnel, des imprécisions et un manque d’accompagnement? »
Un vent de fatalisme ?
Anne-Claire Orban de Xivry : « Mais peut être la difficulté vient d’un sentiment de fatalisme car il faut tout de même bien ouvrir les yeux. Ces plates-formes sont basées sur des modèles publicitaires. Pour compter un maximum d’utilisatrices et d’utilisateurs, elles font appel à des mécanismes qui reposent sur des principes cognitifs et psychologiques comme les boutons de like, le défilement infini ou les notifications qui nous captent émotionnellement. L’impact sur les citoyens et citoyennes est conséquent et l’on se demande quelles pratiques éducatives vont être à même de redonner du contrôle aux internautes, jeunes et moins jeunes. »
Seulement une dizaine d’activités sur la thématique 2024
Très peu donc d’activités (une petite dizaine sur les 185 recensées) centrées sur l’économie de l’attention et de la captation. Parmi celles-ci, le débat et spectacle d’impro « L’hyper-connexion numérique et ses impacts sur la santé mentale : Débat et spectacle d’impro « . La conférence « Les algorithmes de recommandation sous la loupe de Marche en Famenne . Les ateliers « Degoogle you life », Autodéfense numérique » et « Mastodon : un réseau décentralisé pour remettre l’humain au centre » ? à Ixelles. L’atelier « Smartphone & addiction » à Villers, ou encore « Accompagner les jeunes sur les réseaux sociaux à Seraing et « Les Jeunes et les écrans » à Beauvechain.
Pourtant les choses bougent
Et donc oui, les choses ne bougent. Sans doute pas assez vite mais lentement et sûrement, le cercle vertueux d’un numérique respectueux des (données des) citoyennes et des citoyens se met en place en Fédération Wallonie Bruxelles. Véronique Flevet dans le Soir en ligne du 21 octobre : L’ordonnance « Bruxelles Numérique », adoptée en février dernier, prévoit de rendre les administrations communales et régionales disponibles en ligne. Elle prévoit aussi qu’à côté des voies digitales, les services publics restent aussi accessibles par téléphone, via des guichets ou par voie postale. Toutefois, l’article 13 permet aux administrations de remplacer, voire supprimer ces alternatives « physiques » si elles représentent une charge disproportionnée pour ces administrations. Et c’est précisément là que le bât blesse ! En quoi consiste cette charge « disproportionnée » ? Vingt-quatre organisations, auxquelles l’Unia vient de se joindre, dénoncent un manque de garanties claires concernant la préservation de guichets physiques. »
16 associations font une requête en annulation devant la Cour Constitutionnelle
Concrètement, 16 associations et syndicats (Altéo asbl, ATD – Quart Monde asbl, Brussels Platform Armoede vzw, CAWAB asbl, CIEP Bxl asbl, CIRE asbl, CSC Bruxelles, Énéo asbl – Régionale de Bruxelles, Fédération des Maisons Médicales asbl, Fédération des Services Sociaux asbl, FGTB, Hobo vzw, Liages asbl, Ligue des Droits Humains, Lire & Ecrire Bxl, Maks vzw) ont déposé une requête en annulation le 19 août 2024 devant la Cour constitutionnelle. Ces institutions ont pris comme défenseur Marc Verdussen, spécialisé en droit constitutionnel, du cabinet Altea. Elles sont soutenues dans leur démarche par huit autres associations : Ara vzw, Bij Ons / Chez Nous vzw/asbl, Buurthuis Bonnevie Maison de Quartier vzw/asbl, De Buurtwinkel vzw, DoucheFlux asbl, Pigment asbl, Syndicat des Immenses et Vrienden van het Huizeke vzw.
Lettre ouverte pour le gel de la digitalisation des services essentiels en Europe
En Belgique, le mouvement Lire & Ecrire (lire notre analyse à ce sujet) porte également avec différentes associations et personnalités de la vie civile une lettre ouverte adressée à la Commission européenne, au Conseil de l’UE et au Parlement européen. «Nous sommes conscients d’aller à contre-courant d’une tendance aujourd’hui considérée comme inéluctable, mais il nous semble urgent d’agir. Dans cet esprit, nous réclamons l’adoption d’un moratoire qui gèlerait la progression de la numérisation des services essentiels à l’échelle européenne. Nous réclamons l’adoption d’un moratoire pour rétablir l’accessibilité de tous les services essentiels et garantir le maintien de canaux non numériques d’interactions entre les citoyens et ces services. Ces canaux non numériques devraient être de qualité, disponibles en suffisance, et ne pas impliquer de surcoût pour les usagers. »
Le Code du Numérique et ses Parlements humains
Les 12 décembre 2024, 6 février, 20 février 2025,et 13 mars 2025 à Molenbeeck, le Comité du numérique (a) organise(é) les une formation atelier Parlement du Numérique, un parcours collectif conçu à partir du livre « Le Code du Numérique » publié en juin dernier. La première journée a vu l’intervention du Comité humain de la Louvière et d’Anne Löwenthal (l’ARC) pour un retour d’expérience. Celle du 20 février (a été) sera organisé(e) en collaboration avec Elise Degrave, sur le numérique et les aspects juridiques et collaboration avec ses étudiant·es. sur leur expérience. Le Collectif Punch a été créé en 2015. Il se compose de plusieurs acteurs associatifs et culturels (CFS-ep asbl, PointCulture Bruxelles, le CESEP, La Concertation – Action Culturelle Bruxelloise, Action Médias Jeunes, le Centre Librex, Culture & Démocratie, le Gsara, et la Maison du Livre) propose régulièrement des conférences, ateliers, analyses sur la question de numérique. Tout comme Educode et l’ARC qui milite pour un secteur à part entière de l’inclusion numérique, il soutient l’initiative initiée par les Habitants des Images.
Formations PUNCHI, Numérique et la Culture : Champs Libres
Depuis quelques années, le CESEP organise des formations dédicacées au libre. Dont la formation PUNCHI (Pour Un Numérique plus Critique, Humain et Inclusif) à Namur et la formation « Le Numérique et la Culture » entièrement basée sur des logiciels libres et déployée par FIJ, Banlieues et la Bibliothèque d’Ixelles. Bon, il reste un peu de You Tube dans le module consacré à la création de site sur WordPress et vidéo sur Peer Tube mais bon, Paris ne s’est pas fait en un seul jour. La coopérative Champs Libres à Namur Dans le développement des logiciels (spécialité applications à dimension géomatique et logiciels pour le travail social, Champs Libres met en avant le logiciel libre, « parce que nous sommes convaincus du fait que le partage du code concourt au bien être commun. » Toujours dans le développement logiciel, l’agence Axoly Tech travaille à des outils éco-conçus et propose des services et considère l’open source comme une solution à l’obsolesence des appreils électroniques. Le portail wiki d’Educode est une mine d’information en matière d’information, de formation et de réflexion sur le numérique.
Manifeste « Pour un numérique libre, éthique et critique » du Cemea
Le manifeste Pour un numérique libre, éthique et critique de la mission du numérique du Cemea milite pour un contrôle de ses choix numérique Il est temps de reprendre le contrôle sur nos choix numériques :
pour consolider une société démocratique où toute éducation ne peut être que libre, les outils numériques de soumission n’y ayant pas leur place.
pour que chacun-e puisse participer à la co-construction d’un milieu numérique non-marchandisable, sans risque pour les données personnelles et les libertés de ses utilisateurs-utilisatrices ;
pour reprendre la maîtrise de nos outils numériques et œuvrer à une gestion collective de ceux-ci ;
pour se libérer des outils de soumission que sont les GAFAM et reprendre le contrôle de nos données, garantir le respect de la vie privée à travers l’approche du numérique libre ;
pour que les outils numériques soient au service de l’utilisatrice-utilisateur et non l’inverse, et qu’ils s’inscrivent dans une culture des communs où le partage des savoirs remplace le principe de la propriété intellectuelle ;
Des algorithmes hors la loi
Côté juridique toujours, Elise Degrave analyse dans son livre « l’État numérique et les droits humains » (voir notre analyse) a mené une enquête en profondeur dans les méandes des algorithmes d’État et fait le point au scalpel sur toutes les déviances d’algorithmes d’état qui fonctionnent sans contrôle humain et attaquent nos droits. Ainsi apprend-t-on qu’un certain ministre a, en 2022, mis sur la table un avant projet de loi visant à fournir nos données de santé aux sociétés d’assurance ! Ou que Oasis, le Datawarehouse qui croise nos données et génère des listes de fraudeurs fiscaux potentiels que les inspecteur humains doivent contrôler est devenu une boîte noire dont l’ONSS refuse de livrer la documentation et dont les algorithmes décideurs fonctionnent de façon complètement automatisée, ce qui est contraire à l’article 22 du RGPD.
Nubo en anglais dans le texte
Côté technique aussi, la résistance s’organise avec des hébergeurs et développeurs de services numériques alternatifs, neutres, transparents, libres et solidaires. Domaine Public propose ainsi des services d’hébergement de site et de Cloud. Après le français et le néerlandais, la coopérative Nubo vient de porter ses services mail et cloud grand public en anglais. Nubo annonce une refonte complète de son interface utilisateur, afin de mieux prendre en compte l’accessibilité, la convivialité et la sécurité de de sa plate forme. Dans un an, elle aura réussi son pari d’un numérique alternatif belge économique viable, créant un éco système où chaque utilisatrice et utilisateur est co-propriétaire de son infrastructure et de ses données.
Abelli et Open Minds
L’Association belge de défense des logiciels libres Abelli, co fondée par le CESEP, multiplie elle ses actions de sensibilisation (Atelier formation La face cachée du clic, présence dans le village des possibles du festival Esperanzah, activation d’une carte des actrices et acteurs belges du libre sur son site, participation à la plate forme de ressources pédagogiques, d’acteurs et de formation du libre Open Minds,…). Axoly Tech se spécialise dans l’éco conception de logicels et propose des services de consultance pour évaluer l’empreinte écologique des logiciels et applications IT et Web. Décidément, un vent d’air frais souffle sur le numérique libre et conforme aux valeurs soutenues par l’Education Permanente en Fédération Wallonie Bruxelles