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Appels d’offres : jouerons-nous le jeu ?

Écrit par Claire FREDERIC

« Dans le cadre des appels à projets, les institutions sont obli-gées de passer par l’appel au marché public. Il faut que nous fassions au minimum « appels d’offres » via deux voire trois orga-nismes de formation … auriez-vous la gentillesse donc de jouer le jeu en indiquant tant votre intérêt ou votre désintérêt pour les modules ci-joints afin d’être en ordre avec la loi mais aussi de nous faire une banque de données concernant les sujets qui peuvent entrer dans les compétences offertes par votre service. Merci d’avance pour votre collaboration. Bien à vous. X » nous écrit une organisation.

Jouerons-nous le jeu ?

Partageons quelques éléments d’une réflexion brute de décoffrage sur cette relation particulière qu’est la relation de formation. 
La relation de formation se construit entre un commanditaire, un opérateur de formation, un formateur et des participants.
Cette relation comme toute relation se construit dans le temps. Il s’agit de nouer le contact, se rencontrer et enfin avoir une bonne raison de se revoir.

Ce mail nous permet d’aborder la relation commanditaire-opérateur et indirectement formateur-participant avec un focus parti-culier sur le contact et la rencontre.

Que penser de « l’appel d’offre » ?
Dans la construction des rapports entre les organisations, les coopérations sont d’abord ponctuelles. Elles se construisent le plus souvent sur une relation positive entre deux ou quelques travailleurs. Parfois, elles se mettent en route à l’occasion d’ un « appel à projets ».

Un « appel à projets » est une forme de soutien qui émane soit d’une autorité publique soit d’une autorité privée (Fondations,…). Ce soutien peut être d’ordre financier, matériel, technique voire symbolique, une reconnaissance, une notoriété et s’inscrit dans une période déterminée.

Ne mettons donc pas trop vite de côté ce type de dispositifs. En effet, au-delà d’une bouée pour les organisations sociales et socioculturelles, ils sont des occasions possibles dans la construction d’un véritable projet partagé de formation ou autre inscrit dans la durée.

Tout autre chose est « l’appel d’offre ».

« L’appel d’offre » est une procédure par laquelle un commanditaire demande à différents offreurs de faire une proposition. Celle-ci doit être chiffrée et répondre à la formulation détaillée d’un besoin, d’un produit ou d’ un service.

Les « appels d’offres » sont une obligation légale pour le passage des marchés publics1. Ils sont devenus en quelques années une pratique courante. Tous les secteurs sont concernés. On le sait. Et donc, en ce y compris la formation.

Si la relation de formation a une dimension pédagogique et c’est le propre de cette relation, elle a donc aussi une dimension économique. Toutefois, « l’appel d’offre » s’apparente plutôt à une démarche commerciale.

Une démarche commerciale est fondée entre autre sur un achat de produits en l’occurrence ici, un produit culturel et sur un principe de concurrence. Les services de formation aussi peu nombreux qu’ils sont seront rivaux.

Nous avions attiré l’attention sur l’absence d’un champ professionnel précis et organisé. De telles logiques fra-gilisent nos pratiques professionnelles. 
De toute bonne foi et en absence de repères déontologiques, chacun, individuellement et ce y compris l’auteur de notre mail tente au mieux d’installer un programme de formation au sein de son organisation et se soumet contraint et forcé, semble-t-il, aux impératifs de l’ « appel d’offre » ou autres pratiques bureaucratiques ou commerciales.

Sous conditions ?
Si telle est la tendance lourde face à laquelle commanditaires, opérateurs de formation, formateurs ne peuvent pas résister, cette pratique de « l’appel d’offre » pourrait tout au moins être assortie de quelques conditions.

Faisons un détour par le code de déontologie de Espilon2.
Soulignons qu’ils parlent de pratiques commerciales de la formation. Il serait utile de se donner quelques repères propres aux pratiques de formation associatives et de manière plus particulière dans le secteur de l’éducation permanente.

Cependant, épinglons quelques repères qui pourraient nous être utiles.

« Le formateur externe (entendu pour nous l’opérateur) s’engage à respecter les règles déontologiques propres à la démarche commerciale : premier contact d’information concise, clarté sur l’objectif de la démarche, prise de rendez-vous,… ».

Par ailleurs, « conscient que cette demande nécessitera de la part du formateur externe un travail souvent conséquent mais non rémunéré, il s’abstiendra de lui demander des offres dont il sait à l’avance qu’il n’en tiendra pas compte ». « Le formateur interne (entendu dans notre réflexion, le commanditaire) s’engage à recevoir le formateur externe et à prendre le temps suffisant pour lui expliquer la demande. Il respectera les temps convenus et restera disponible pour des compléments d’informations si nécessaire ». 
Enfin, « le formateur interne désireux de mettre en concurrence plusieurs formateurs externes, se limitera à un nombre raisonnable de candidats. Il est conseillé qu’il en informe le formateur externe sans devoir lui préciser toutefois quels sont les concurrents pressentis ».

Soulignons qu’au côté de ce code de déontologie propre au métier de la formation, Epsilon a rédigé un autre code de déontologie propre à ses membres les invitant d’une certaine manière à pratiquer une concurrence loyale entre eux.

Même assortie de quelques conditions, « l’appel d’offre » reste-t-il une pratique pertinente dans le secteur de la formation et de manière plus particulière de la formation en Éducation permanente ?

Et la dimension politique ?
Si les choix qui s’opèrent sont à la fois de nature pédagogique et économique, ils sont et surtout de nature politique.

Au service de qui la formation va-t-elle être mise ? 
De l’organisation-commanditaire ? De ses travailleurs ? De ses « publics » ? Quelle est la place des « bénéficiaires de », « des usagers de », « des clients de » dans cette démarche ?,…

Au service de quoi ? 
Visons-nous l’efficacité ou l’efficience des services ou allons-nous permettre une reconquête de sens des actes posés par les professionnels ? Allons-nous travailler par modules au risque de renforcer rationalisation et morcellement des tâches et des gestes ? 
Laissons-nous place à l’indétermination ? Allons-nous nous laisser surprendre par ce que la situation de formation va nous apprendre ou nécessiter au risque de sortir du calendrier prévu ?

Allant parfois jusqu’à des questions sur l’objet même du métier. Pensez-vous qu’il soit judicieux de parler aujourd’hui D’éducation permanente de pratiques collectives d’interpellation alors que votre équipe découvre un métier peut-être cousin mais dont l’essentiel est le travail individuel visant l’intégration sociale ?

Autant de questions parfois complexes doivent être 
abordées avant même que la formation commence. Ces choix nécessitent du temps et s’opèrent dans la confrontation, l’influence réciproque,voire parfois dans 
certains engagements corporatistes.

Cette nécessité de conventionner des relations …
Ces échanges débouchent sur des conventions.

L’une est administrative et est passée entre l’opérateur et le commanditaire. L’autre est pédagogique et est passée entre le formateur et les formés.
Ces conventions donnent en outre des indications sur la nature de la formation, les références théoriques et méthodologiques, les responsabilités et distinction des 
rôles, les règles déontologiques, les modalités pratiques (durée, local, heures,…) et financières, les modalités d’évaluation, …

Elles synthétisent les accords pris.

Nous pourrions toutefois aller jusqu’à interroger cette nécessité de couler nos relations dans un contrat ou une convention ?

Pourquoi s’oblige-t-on à passer par cet acte ? Une exigence morale renvoyant au respect de la parole donnée ? La nécessité d’ une norme économique ? juridique qui vient réguler les relations ? Au nom de quels fondements tient-on cette forme pour une nécessité ? Quelles seraient les autres formes possibles ? 

1. http://www.belgium.be/fr/economie/marches_publics/types_de_procedures/appel_d_offres/
2. Le Groupe Epsilon est un réseau de professionnels du développement et de l’apprentissage dans les entreprises et organisations. http://www.epsilon.be/deontologie