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Associatif, pouvoirs publics, citoyen·ne·s

La coopération contrainte et ses paradoxes


Visant la réduction de dépenses publiques, la rentabilité et la mise en concurrence généralisée, le contexte néolibéral favorise ce paradigme en créant des financements publics limités. Le paradigme de coopération contrainte ne résulte pas d’un choix concerté entre acteur.trice.s mais d’une injonction institutionnelle. Le décret Centres culturels notamment conditionne les financements à une coopération avec de nombreux autres acteur.trice.s. Il s’inscrit en général dans un contexte de continuité des actions en cours et entraine une obligation de réussite, qui n’invite pas à l’action collective : la coopération est alors un risque et est envisagée à titre provisoire, avec l’idée de pouvoir changer de partenaire si elle ne fonctionne pas. Plus les partenaires sont nombreux, plus la coopération est considérée comme un empilement de risques. Dans ce cadre, les prétentions d’action collective se réduisent à une action relativement minimale.

Outre les contraintes institutionnelles, le paradigme de la coopération contrainte se retrouve en chacun.e de nous : nous coopérons en considérant le plus petit dénominateur commun entre parties prenantes, avec une logique comptable du type « Je dois en retirer plus que ce que j’y mets ». Par exemple, chaque partenaire énonce sa spécialité dans une recherche de complémentarité. Il coopère en restant dans son cadre d’action prédéfini individuellement, où les risques et les effets sont maitrisés. Enfin, les acteur.trice.s s’impliquent à condition que les autres prennent autant de risques qu’eux.elles, avec l’idéal d’une coopération « win-win », dans laquelle chacun.e compléterait les compétences/ressources lacunaires dans leur plan d’action respectif. Le milieu associatif ressent très souvent la peur de « se faire piquer ses idées » ou « son public », ce qui produit paradoxalement une implication minimale dans la collaboration.

La coopération durable ou souhaitée et ses exigences

À côté des coopérations contraintes, existent des formes de coopération dans lesquelles le calcul coût/avantage ne semble pas prévaloir. L’hébergement des sans-papiers par des citoyen.ne.s, ou les ateliers vélo gratuits gérés bénévolement sont des formes de solidarité réelles et non de principe. Ainsi, l’action ne naît pas toujours d’un plus petit commun dénominateur identifié, ni d’un incitant à la coopération aussi puissant que le financement, mais aussi d’acteur.trice.s prêts à agir qui mettent en commun du temps et des ressources pour des fins communes. Ces finalités non-marchandes pertinentes socialement ne sont jusqu’alors pas prises en compte par l’action publique, voire associative. Les premières mutuelles et actions syndicales en sont des exemples indéniables, ainsi que les enjeux des « nouveaux mouvements sociaux » : féminisme, justice migratoire…

Ce paradigme de coopération n’est donc pas inventé ex nihilo mais s’appuie sur des pratiques solidaires existantes. Les personnes s’engagent en acceptant l’incertitude d’un processus relationnel au-delà des rôles déjà définis. Les acteur.trice.s en présence se décentrent du calcul de leur intérêt individuel au profit du but de la cause collective. Dans ce cas, se créent une confiance mutuelle et une capacité à travailler ensemble, au-delà d’un projet particulier ou d’un objectif initial. Par exemple, des habitant.e.s ayant réalisé dans leur commune le BLED, une give box2 ont suscité beaucoup d’enthousiasme. Si la give box, incendiée 6 fois, a finalement fermé, d’autres actions ont été poursuivies. Même si un projet n’a finalement pas lieu, dans ce paradigme, les parties prenantes ont pris conscience du supplément (et non du complément) de valeur lié à un niveau d’action supérieur, car les risques inhérents à l’action collective sont mutualisés et l’attitude des acteur.trice.s a suscité un désir de continuer à agir collectivement dans le temps. On parle alors de coopération souhaitée et/ou durable. Elle devient durable en ayant des effets à deux niveaux : confiance en soi, dans les partenaires et en un « nous », en tant que collectif instituant : par exemple, lors de la constitution de plateformes associatives ou mixtes autour d’enjeux dépassant les identités et pratiques de chaque membre, se constitue une identité propre. Alors, la méfiance du grand public quant à la récupération que pourrait opérer un de ses membres diminue. Ce ‘nous’ n’est cependant jamais configuré « une fois pour toutes », contrairement à une institution plus « identifiable » dans le temps.

Trois conditions méthodologiques permettent de l’instaurer

  • un processus de gestion des risques en commun : déterminer qui assurera le nettoyage des déchets dans la give box, par ex.
  • un processus de gestion des conflits –inévitables : nommer et traiter les conflits le plus vite possible.
  • un processus d’animation : là réside le métier d’animateur.trice : revenir au désir des gens de « travailler » une question ; amener une manière de traiter les questions, de garantir la participation de tou.te.s. et l’intérêt du collectif, avec une attention à l’intérêt de chacun.e, en étant capable par exemple de piloter un groupe fluctuant ; en intégrant l’anticipation des risques et la gestion des conflits. Les « intelligences citoyennes »3 peuvent être mobilisées.

Dans une société qui nie l’espace et le temps, ce métier de relations objectives sur des enjeux locaux est non délocalisable.

En réalité, les deux paradigmes coexistent et une injonction institutionnelle à la coopération peut être transformée en coopération désirée : selon Maesschalck, « il y a donc une incertitude du désir de coopération, mais celle-ci ne peut être « traversée » que par un travail sur les croyances relationnelles. Soit je n’attends rien de mon environnement relationnel, je le préfère figé ; soit je suis ambivalent par rapport à ses apports possibles (…). Tout va dépendre de la manière dont je vais tenter d’investir ce processus instituant [ici, une injonction institutionnelle à la coopération] et à le maintenir dans la durée avec l’ensemble des concernés. À tous les coups, il ouvre la possibilité de sortir d’une fiction de complémentarité (…), pour envisager une forme supplémentaire, une réélaboration des rôles et de leur interaction. Si cet engagement est recherché et favorisé, alors une coopération désirée peut prendre corps »4.

Réactions des participant.e.s de l’atelier

En nommant ces compétences, les animateur.trice.s professionnel.le.s affirment leur rôle dans ces actions citoyennes mêlant bénévoles et professionnel.le.s : ne risque-t-on pas alors de renforcer le paradigme de la coopération contrainte en institutionnalisant davantage ce rôle ? Pour les BAGICien.ne.s, en présence de certains membres de collectifs peu militant.e.s, ils.elles ont tendance à adopter un comportement un peu directif. Militante dans un projet d’aménagement public dans sa commune, une BAGICienne se demande si le désir d’individus participant à titre personnel à des collectifs ne porte pas davantage une cause, que celui des travailleur.euse.s représentant.e.s des institutions dans ces mêmes collectifs (difficulté d’y agir).

Pour les coordinateur.trice.s d’asbl, l’emploi reste un nœud, amenant des réalités autres que celles du bénévolat et des besoins d’une cause citoyenne, qui renforcerait le paradigme de coopération contrainte. L’exemple de certains collectifs qui se vident suite à l’obligation d’avoir des coordinateur.trice.s montre les effets négatifs de cette coopération. Certain.e.s sont notamment confronté.e.s à la difficulté d’instituer une identité collective indépendamment des porteur.euse.s de projet ; d’autres à la starification des animateur.trice.s dans les maisons de jeunes.

Se pose ainsi la question plus globale des cadres administratifs vis-à-vis de l’action associative : il est donc nécessaire d’être toujours vigilant aux désirs citoyens, à ne pas réduire l’identité et champ d’action aux dispositifs publics-financés. Une attention aux modes d’action mixtes bénévoles/salariés et une place pour l’auto-évaluation doivent être prévues. La tendance à cacher la tension professionnel/bénévole dansles projets est souvent problématique. Pour cet aspect, il s’agit de nommer le cadre professionnel/subsidié, de le considérer collectivement comme des paramètres, des éventuels antagonismes à prendre en compte dans la gestion des conflits. Pour C. Boucq, les bénévoles sont bien conscients du supplément lié au salarié. Il est important de ne pas se positionner comme interface avec les pouvoirs publics. Dans le cas d’un échec d’un projet, imputable à la commune, comment rebondir avec les habitant.e.s mobilisé.e.s ? Un risque est de se positionner comme interface d’où, souvent, la méfiance de la part des habitant.e.s envers les animateur.trices. La rencontre avec les habitant.e.s est plus importante que l’échec. Si, par la suite d’autres projets naissent avec certain.e.s, « alors c’est gagné ».

C. Boucq attire aussi l’attention sur la capacité des collectifs à revendiquer et sur celle des politiques à être interpellé.e.s. Lorsque la coopération mûrit, le collectif devient un interlocuteur valable auprès des pouvoirs publics, auprès de qui tout devient négocié et négociable –jusqu’à se dire parfois « on fait sans subsides ! », comme à la Bergerie des 100 noms (ZAD de Notre-Dame des Landes, France), projet agricole collectif qui s’oppose explicitement à la politique publique menée (construction d’un aéroport et obligation d’identifier individuellement un porteur de projet).

L’emploi, la pérennité de l’action associative et l’équilibre dans les relations avec les pouvoirs publics sont à considérer sur un temps long, dans une perspective de coopération conflictuelle, de mouvement social et de commun ; en se demandant éventuellement « Comment les acteur.trice.s publics peuvent participer à notre action ? » – plutôt que de chercher le dispositif de financement adéquat pour se lancer. Au bout d’un an d’existence, l’atelier vélo-cité a notamment reçu des financements pour les outils.

1. Marc MAESSCHALCK, « L’impératif de coopération au travail : utopie ou réalité qui nous lie ? ». Conférence au Printemps de l’éthique : Un travail qui nous relie : utopie ou réalité ?, Libramont 4 mai 2018, Weyrich, 2018.
2. www.consoglobe.com/givebox-boite-don-cg
3. Majo HANSOTTE, Les intelligences citoyennes, Comment se prend et s’invente la parole collective, De Boeck, 2005 ; Sophie WIEDEMANN, Les outils d’intelligence collective pour une démocratie augmentée, Bruxelles, CIEP, 2018 (www.ciep.be)
4. M. MAESSCHALCK, op.cit.