par Julien Charles, Pierre Démotier, Elise Dermine, Kathleen De Smedt, Paul Hermant, Auriane Lamine et Malika Laroussi
Depuis 2016, une expérience assez épatante se déroule en France connue sous le nom « Territoires zéro chômeur de longue durée » (TZCLD). Les politiques de lutte contre le chômage visent d’ordinaire à diriger les personnes sans emploi vers les besoins des entreprises. Les TZCLD parient au contraire sur la capacité de petits territoires (un quartier en zone urbaine, une communauté de villages en zone rurale) à s’organiser collectivement, à partir des compétences des personnes sans emploi et en respectant leurs droits, pour rencontrer des besoins sociaux ou environnementaux laissés jusquelà de côté.
Depuis 2017, cette expérience suscite l’intérêt de plusieurs acteurs en Belgique. Le PS et Ecolo ont intégré cette proposition dans leurs programmes lors des dernières élections régionales, la CSC et la FGTB se sont mobilisées à Charleroi pour réfléchir concrètement à l’appropriation de l’expérimentation sur leur territoire, les Instances Bassin Emploi – Formation – Enseignement qualifiant du Hainaut Sud et du Luxembourg leur ont emboité le pas.
En 2019, la volonté d’expérimenter des Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée était exprimée dans les accords de Gouvernement Wallons et Bruxellois, puis au Fédéral en 2020. Pendant ce temps, plusieurs études scientifiques ont clarifié les conditions juridiques de l’appropriation du modèle en Wallonie et à Bruxelles, ses finalités et modalités d’évaluation, ses conditions budgétaires, coûts et avantages sociaux, mais aussi ses activités économiques potentielles.
Dans le Sud du Hainaut, les communes, acteurs syndicaux et associatifs étaient à la manœuvre du projet. En Région de Bruxelles-Capitale, Actiris a organisé de nombreux webinaires qui ont suscité l’intérêt des communes et, dans le même temps, ont constitué une chambre d’écho pour les voix critiques à l’égard de cette initiative. En effet, au-delà des questions juridiques et économiques, la transposition de l’expérimentation est compliquée par certaines structures établies. Légitimement, elles défendent l’existant face aux coupes budgétaires. Illégitimement, elles ont installé une atmosphère soupçonneuse autour de TZCLD, alimentée par des mécompréhensions de la proposition et des mésinterprétations des impacts de l’expérimentation en France.
Ces critiques ont nourri un climat politique défavorable et fait reculer les gouvernements sur leurs engagements. En effet, il n’y a pas eu de décret en Wallonie mais un appel à projets co-financé par le Fonds Social Européen. À Bruxelles, le projet a été mis au frigo par la nouvelle direction d’Actiris et son ministre de tutelle, avant d’être repris par le Ministre-Président pour l’intégrer aux contrats de quartier durables… suspendus en 2024. Au Fédéral, sans qu’aucune étude préparatoire n’ait été commanditée, un avant-projet de loi dénaturant la proposition a été porté par le Ministre de l’Emploi, essuyant nombres de critiques patronales, syndicales et associatives. En Flandre, des projets inspirés par l’expérimentation sont portés par l’association Saamo depuis 2021. Dans ces conditions politiques, juridiques et économiques adverses, 23 projets tentent à travers la Belgique d’avancer vers la mise en œuvre de Territoires Zéro Chômeur.