Le CESEP est particulièrement concerné par la problématique du chômage. Tout d’abord, nous faisons partie de ce tissu associatif né juste après la crise de 1974 qui marque la fin des trente glorieuses, qui inscrit le chômage de masse dans la continuité, qui va engendrer un changement de paradigme économique et social et siffle la fin de l’Etat providence. Le CESEP est aussi un Centre d’insertion socioprofessionnelle. Nous travaillons chaque jour avec des demandeurs d’emploi. Nous voyons donc depuis longtemps les dégâts humains qu’engendre le chômage. Nous assistons aussi, courroucés et médusés, à la mise en place de politiques d’emploi qui se révèlent à chaque fois un peu plus inhumaines au pire et inadéquates au mieux. Celles insufflées par l’équipe de Charles Michel n’étant jamais que l’aboutissement, le curseur à fond sur la droite, d’une longue série de coups de canifs dans la solidarité cherchant des justifications dans les manuels néolibéraux. Enfin, le CESEP est un organisme d’éducation permanente. Il va donc de soi que nous posions un regard critique sur de telles politiques d’emploi.
Nous avons cependant bien souvent axé notre discours sur les aspects humains, qui s’en plaindra ? Le chômage est une forme d’exclusion qui a des répercussions sur la vie sociale, sur la santé physique et mentale, tant de celui qui en est la victime que de ses proches : c’est avant tout un drame humain. Nous combattons ainsi, au fil de nos publications, les mesures d’activation qui s’apparentent toujours un peu plus à des tracasseries ridicules et qui transforment les victimes de politiques d’emploi inadaptées en responsables de leur situation. Il nous semble cependant opportun et intéressant de replacer le chômage dans un contexte économique, de montrer en quoi les causes du chômage sont multiples et interdépendantes et en quoi les mesures prises pour le résorber sont oui ou non efficaces, pour quel type de chômage elles pourraient l’être et de quoi elles s’inspirent. Le sujet est vaste, nous y consacrerons plusieurs balises.
Le chômage n’est pas monolithique. Il est multiforme. Le chômage total est donc la somme des différents types de chômage. Un même demandeur d’emploi peut être touché par un type de chômage pour ensuite être touché par un autre.
Le chômage de friction
Nous commencerons par le chômage de friction qui est peu compressible. Il existe, même en période de plein emploi. Il est dû à l’imperfection du marché du travail. On peut donner l’exemple suivant : vous êtes à la recherche d’un emploi qui correspond à vos capacités et à vos envies. Cet emploi existe, un employeur est prêt à vous engager mais vous ne vous connaissez pas. Il va donc falloir que vous vous rencontriez et cela prend du temps durant lequel vous serez chômeur. Certains vont plus loin et consi-dèrent qu’il est en partie volontaire. Ils y englobent ainsi le temps que prendraient des demandeurs d’emploi pour se former et trouver un emploi plus adéquat ainsi que le temps que prendraient certaines personnes pour « souffler un peu » avant de recommencer à travailler. Ceci introduit bien entendu la notion de « chômage volontaire », chère aux néolibéraux. Nous verrons plus tard ce qu’il en est.
Chômage structurel
Le chômage structurel est, le plus souvent, défini comme résultant de l’inadéquation entre la qualification des demandeurs d’emploi et celle requise par les employeurs. En d’autres termes, ces derniers n’engagent pas car ils ne trouvent pas de travailleurs qualifiés. Nous y ajouterons, pour être complet et par souci de simplification, ce que l’on appelle aujourd’hui « le chômage d’exclusion ». Il s’agit d’une catégorie de personnes qui ont de tels handicaps par rapport à l’emploi qu’ils n’ont que des chances minimes d’en trouver un. Nous constaterons également qu’un demandeur d’emploi qui ne retrouve pas rapidement du travail se déqualifie. Au plus le chômage est long, au plus l’emploi s’éloigne, parce que l’employeur perd confiance dans la qualification et le « savoir être » du travailleur d’une part et que les métiers évoluent alors que le chômeur n’évolue plus professionnellement. Ainsi, un chômeur « conjoncturel » (voir ci-dessous) peut devenir un chômeur structurel. On ajoutera encore que certains considèrent que le chômage structurel est volontaire car il suffirait pour le travailleur soit de se former, soit d’accepter un autre emploi ou de changer de région.
Chômage conjoncturel
Le chômage conjoncturel est celui qui résulte d’une baisse de l’activité économique1. On peut dire qu’est un chômeur conjoncturel, celui qui cherche un travail qui, à cet instant, n’existe pas. C’est ce chômage conjoncturel qui augmente le taux de chômage global lors des successifs ralentissements de l’activité économique. On retiendra que, malheureusement, lorsque la crise est passée, quand la croissance reprend, toutes les victimes ne retrouvent pas un emploi. Il faut pour cela observer le comportement des entreprises. Dans un premier temps, lorsque la crise survient, les entreprises ne licencient pas de suite et voient ainsi leur productivité horaire diminuer. En effet, comme elles produisent moins avec un même effectif, une heure de travail produit moins. Avec retard, elles licencient du personnel ou pire, disparaissent. Quand la conjoncture reprend, c’est à dire que la croissance augmente à nouveau, les entreprises qui ont survécu ne vont pas engager de suite et ne réengageront pas le même nombre de travailleurs que le nombre de licenciés car elles vont jouer sur la technologie et l’organisation du travail pour augmenter la productivité horaire. Elles pourront donc retrouver un niveau de production identique, voire meilleur, avec un effectif moindre. Ceci met en avant l’importance du taux de croissance dans la lutte contre le chômage. Il faut en effet une croissance d’une certaine vigueur pour compenser les gains de productivités et l’accroissement de la population active2 d’autre part. Ceci a été mis en avant par Arthur Okun en 1962, un économiste américain professeur à l’université de Yale. Okun considérait que pour que le chômage diminue de 1% la croissance devait être de 3 % à variables (taux de croissance de la population et productivité horaire) inchangées bien entendu.
Chômage classique ou chômage Keynésien ?
Il ne s’agit pas ici de mettre un chômeur dans une catégorie, de savoir si sa situation est due au fait d’être peu qualifié ou d’être une victime de la conjoncture mais de savoir pourquoi il y a augmentation du chômage, notamment sur des périodes de long terme. Ce débat n’est pas vain, chacune des visions alimente les politiques économiques depuis 1974, les néolibéraux s’inspirant du chômage classique et les autres du chômage keynésien.
La théorie du chômage classique explique les choses de la façon suivante : l’offre d’emplois est excédentaire parce que les entreprises ne produisent pas assez alors que la demande existe. Cela paraît douteux mais s’explique, soit par le fait que les investissements sont trop importants pour satisfaire la demande et donc peu ou pas rentables, soit que les prix sont trop bas. En d’autres termes, il y a chômage parce que les consommateurs ne sont pas prêts à payer un prix acceptable pour les entreprises. Il y a peu de chance qu’une telle situation perdure. En effet, si la demande existe et qu’elle n’est pas satisfaite, les prix vont augmenter jusqu’à atteindre un niveau acceptable pour les entreprises. C’est cependant possible dans les économies ouvertes que nous connaissons aujourd’hui : si nous sommes demandeurs d’un bien que les entreprises d’ici ne veulent pas produire faute de rentabilité, il nous suffira de l’acheter ailleurs. Il s’agit d’une des composante de la crise de 1974 qui marque la fin d’un cercle vertueux. Le plein emploi existe et les gains de productivités sont compensés par des investissements dans des activités nouvelles qui permettent d’embaucher les nouveaux travailleurs d’une part et les chômeurs victimes de ces gains de productivité d’autre part.
On observe que, à la fin des années 60, les investissements à réaliser sont de plus en plus importants avec un besoin accru de capital pour les entreprises, ce qui diminue la rentabilité de ce dernier. En effet, si les bénéfices à distribuer augmentent moins vite que les besoins en capitaux, la rémunération de chaque part de capital diminue. Cette situation aurait poussé les entreprises à ne plus investir, créant ainsi ce chômage classique. On retiendra dès à présent que nous sommes bien loin de cette situation aujourd’hui dans la mesure où la rentabilité du capital atteint des sommets. On notera aussi que pour lutter contre un tel chômage, il faut favoriser l’offre de biens et services. Nous verrons plus tard en quoi les politiques économiques actuelles sont inspirées par cette approche chère aux néolibéraux.
Le chômage keynésien. Il est ainsi appelé parce que décrit par Keynes en 1936 dans « La théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie ». Le chômage serait dû à une insuffisance de la demande de biens et services.
Dans cette théorie, il existe un excédent d’offre, tant sur le marché du travail que sur le marché des biens et services. D’un côté, les entreprises sont disposées à engager mais ne le font pas car elles ne trouvent pas de débouchés pour leurs produits, de l’autre les demandeurs d’emploi cherchent un travail mais n’en trouvent pas. Il conviendrait donc de soutenir la demande, en favorisant la consommation des ménages et des pouvoirs publics. Actuellement les politiques mises en œuvre, tant en Belgique qu’en Europe, soutiennent peu la demande des ménages et des pouvoirs publics.
Chômage naturel, NAIRU et chômage d’équilibre
Le chômage naturel a été expliqué par Milton Friedman, un des plus célèbres économistes néolibéral américain, professeur à l’Université de Chicago. Il s’agit d’un chômage issu des rigidités du marché du travail. Pour faire simple, si on supprime ces rigidités (réglementation du travail, de l’emploi, salaires minimums et bien entendu allocations de chômage) le seul chômage qui subsisterait serait… volontaire ! En effet, sans rigidité, notamment sans allocation de chômage, selon cette approche, les chômeurs seraient amenés à accepter des salaires inférieurs et les entreprises leur offriraient ainsi un emploi.
Le NAIRU (abréviation anglaise pour « taux de chômage n’engendrant pas d’inflation ») est une définition de l’OCDE selon laquelle il existe un taux de chômage incompressible sans accroissement de l’inflation. L’idée est assez simple : Les entreprises ne peuvent comprimer les salaires comme elles le voudraient et sont même obligées d’accorder des augmentations de salaires, sans quoi les travailleurs sont moins motivés et la productivité s’en ressent. Cela signifie que la demande de biens et services augmente, avec un risque d’inflation. Des lors, la seule possibilité pour que la demande reste stable tout en accroissant les salaires est de mettre des travailleurs… au chômage. Ainsi, ces derniers consommeront moins, ce qui compensera l’augmentation de la consommation des travailleurs.
Le chômage d’équilibre est une notion plus récente : une partie du chômage, non liée à la conjoncture, serait due à la corrélation des politiques des entreprises et des institutions publiques.
Nous avons, dans ce numéro, fait un inventaire des différents types de chômage et clarifié la terminologie. Dans le numéro suivant, nous reviendrons, de façon simple, sur les fondements des deux politiques économiques qui s’opposent et qui inspirent les politiques néolibérales d’une part et celles, plus interventionnistes d’autre part. Nous verrons aussi ce que signifient les statistiques, compter les chômeurs n’est certainement pas neutre.
Bibliographie et sites internet, pour cette première partie :
Jacques FREYSSINET, (2004) « Le Chômage », Repères La découverte, Paris.
CAHUC P. et ZYLBERBERG A (2004) « Le chômage, fatalité ou nécessité ? », Flammarion Paris.
http://www.alternatives-economiques.fr/Dictionnaire_fr_52__def290.html
http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ES362E.pdf
1. Mesurée par la diminution de la croissance du Produit intérieur brut (PIB), c’est à dire, notamment, de la totalité des consommations à l’intérieur d’un état ou encore de la totalité des revenus et des amortissements des entreprises dans ce même état.
2. Population active : somme des travailleurs (salariés et indépendants) et des demandeurs d’emploi.