Par Jean-Luc Manise
Les 12 décembre, 6 février, 20 février et 13 mars 2025 à Molenbeeck, le Comité Humain du numérique organise sa désormais célèbre formation/atelier « Parlement humain du Numérique », un parcours collectif conçu à partir du livre « Le Code du Numérique » publié en juin 2024.
La première journée verra l’intervention du Comité humain de la Louvière et d’Anne Löwenthal (de l’ASBL l’ARC) pour un retour d’expérience. Celle du 20 février sera organisée en collaboration avec Elise Degrave. Sans surprise, elle porte les aspects juridiques du projet, en mode pratico pratique. La journée de clôture se focalisera sur l’ABC de la diffusion des lois avec un brainstorming sur les actions communes et partenariats possibles : recommandations collectives aux administrations, interpellation communale,… En bout de course, une rencontre festive et la proposition d’une charte.
Rendre visible l’invisible
Adèle Jacot a créé les Habitants des Images avec Mélanie Peduzzi : « Les Habitants des Images, c’est une toute petite association qui fait partie du front Rendre Visible Invisible. Celui-ci regroupe différentes associations et des individus qui se sont regroupées pour lutter contre la pauvreté. Des groupes de travail se sont mis en place, dont l’un porte sur les questions que pose la digitalisation des services, à côté de ceux centrés sur le logement et sur en liaison avec la pauvreté. On pressentait que le numérique posait problème mais c’était assez flou. En période pré covid, il n’a pas eu beaucoup de succès. On ne savait pas trop quoi en faire. »
Urgences vitales
« Après le Covid, on a repris ce groupe de travail. Et là, tout à coup, sa nécessité est apparue. Notamment avec le problème des guichets. C’était souvent une question d’urgence vitale pour des gens qui n’avaient plus accès à leur administration, à l’aide sociale, ce pour des raisons complètement absurdes. Cela a évidemment tout particulièrement touché les les personnes les plus précarisées, les plus âgés, ceux qui sont moins autonomes ou qui maîtrisent moins notre langue. Alors qu’ils arrivent très bien à se débrouiller par oral, tout d’un coup, lorsque cela se se numérise, tout devient plus compliqué. »
Quitter la posture du colibri bénévole
« Nous avons donc mis en place à Bruxelles un comité humain du numérique. Nous sommes persuadés que les citoyennnes et les citoyens veulentt s’engager pour faire changer les choses. Nous croyons en la démocratie participative. Personnellement, je suis fatiguée d’être un petit colibri bénévole et de constater qu’au niveau décisionnaire, les choses ne bougent pas par rapport à l’urgence. Je suis aussi très déçue du manque de retour et de soutien que nous avons de nos autorités locales »
Numérique. Tout le monde a un rôle, mais tout le monde est libre d’entrer et sortir.
La journée du 17 octobre 2021, Journée de Lutte contre la Pauvreté, une trentaine de personnes ont échangé sur le numérique, en criant des témoignages sur scène. « Nous écrivons un Code du Numérique. Nous écrivons des lois à partir de nos vies, de nos souffrances. Nous pensons qu’il faut mettre des limites au numérique, au niveau de l’État, des institutions, mais aussi collectifs et associations. Aujourd’hui, de nombreux collectifs, travailleur·euses, citoyen·es et politiques sonnent l’alarme face à la numérisation de nos vies. C’est le moment de s’unir pour imaginer ensemble une nouvelle réglementation du numérique, afin de protéger les personnes vulnérables face au numérique. Près d’un belge sur deux : 46 % de la population selon le baromètre de l’inclusion numérique de la Fondation Roi Baudouin, 2022. »
Plus de 300 actrices et acteurs pour l’écriture des lois
Savannah Desmedt, responsable et assistante projet. « Nous sommes plus de 300 personnes à avoir joué un rôle dans l’écriture de ces lois. Nous ne défendons pas le retour au tout-papier. Nous défendons que c’est au numérique de s’adapter à l’humain et non l’inverse. Nous sommes des personnes âgées, isolées, des personnes ayant des difficultés avec la lecture ou l’écriture, des personnes porteuses de handicaps, des jeunes, des enfants, des personnes précarisées, des travailleuses sociales, des juristes, des banquier·es, des informaticiens publics, des éducateurs de rue, des sociologues, des artistes, des jeunes à la rue, des infirmières, des travailleurs dans des usines »
Maintenant, c’est aux experts et aux politiques de nous écouter
« Nous tous, nous sommes des Maitres, des Présidents, des Ministres, des Professeurs, des Rois de la vie et de la survie. Nous prenons nos responsabilités pour réagir à l’urgence : il est temps de réglementer le numérique. Pour protéger nos droits, pour protéger notre santé mentale et physique, pour protéger notre vie privée, pour protéger nos travails, pour protéger nos enfants, pour protéger la Terre… Il est temps de réglementer le numérique et pour cela il faut que tout le monde en parle. Il faut que tout le monde prenne conscience de la place que prend le numérique dans nos vies sans notre accord. Il faut un grand débat ! Ce ne sont pas les spécialistes du numérique qui vont nous imposer ce qui est le mieux pour nous ou non. Bien au contraire. Maintenant c’est aux experts et aux politiques de nous écouter. C’est nous qui allons leur expliquer ce qui devient une réelle menace pour nous et pour la démocratie. »
Faire approuver les nouveaux services numériques par les premiers concernés
Une première revendication a été formulée par le Comité et est défendue en 2022 par le Front Rendre Visible l’Invisible : « Conserver une accessibilité non digitale dans les services publics et privés pour éviter l’exclusion sociale et les coûts environnementaux. Chaque service doit conserver le recours à l’humain, par exemple avec les guichets, le papier… ! Et si de nouveaux outils numériques sont adoptés, ils doivent d’abord être approuvés par un Comité Humain, composé de précarisé·es du numérique. C’est-à-dire les personnes pour qui le numérique ne facilite pas la vie, mais la complique, notamment dans l’accès à leurs droits fondamentaux. »
Au Quartier des Marolles
En 2022, le Comité humain a décidé de cibler le quartier des Marolles à Bruxelles comme territoire-échantillon pour agrandir le Comité et pour créer avec les habitant·es le Code du Numérique, un code qui encadre l’utilisation du numérique. C’est ainsi que le Chapitre 1 du Code du Numérique portant sur l’accès aux services essentiels et l’accès aux droits fondamentaux. Le 10 juin 2022, devant la Tour des Finances, une cinquantaine de citoyens ont annoté le Code et manifesté.
Question de santé
Le Comité a choisi ensuite collectivement le deuxième thème sur lequel écrire des lois : la santé. De la même manière qu’avec le Chapitre 1, le groupe a lancé une récolte de témoignages. Parallèlement, le Comité s’est mobilisé contre l’ordonnance Bruxelles Numérique, culminant avec une grande manifestation le 10 octobre 2022. En octobre 2023, le groupe a organisé deux grands Parlements humains de rue après plusieurs ateliers préparatoires.
8 lois fondamentales pour l’accès au droit et à la santé mentale
Le Code du Numérique est un texte de lois citoyen et autoproclamé, élaboré depuis 2021 par des centaines de personnes de tous horizons. Ce livre rassemble plus de 3 années d’actions et de rencontres à Bruxelles et en Wallonie: rencontres avec des citoyen·nes, chercheur·euses en droit, politiques, discussions intimes, ateliers, créations de décors en carton, repas partagés, manifestations, … La partie centrale inclut 2 chapitres, portant sur l’accès au droit et sur la santé mentale et physique. Ce texte rassemble des témoignages au départ des témoignages, vécus (et souffrances). Il 8 lois fondamentales. Ces lois visent à repenser la place du numérique dans nos vies et de la penser à partir du vivant – et non à partir d’enjeux techniques, philosophiques ou financiers.
Ouvrir le débat dans les quartiers, les écoles et les institutions
Enfin ces lois collectives n’ont pas pour but d’imposer une réglementation, mais d’ouvrir le débat. Ce Code est un outil pour inspirer des discussions et des actions dans les quartiers, les écoles et les institutions.
Et plus si affinités !
Article 1
Tous les services publics et privés doivent proposer un accompagnement humain, sans condition
Article 2
Le numérique doit être utilisé au service de l’humain : ce n’est pas à l’humain à s’adapter au numérique
Article 3
Les démarches administratives ne peuvent pas impliquer le recours à un service privé (les services privés n’ont pas de devoir démocratique)
Article 4
Chacun·e d’entre nous, parlons, imaginons et mettons en place des alternatives aux ‘solutions’ numériques qu’on nous impose
Article 5
L’utilisation des outils numériques peut être interdite ou contrainte dans certains lieux et à certaines tranches d’âge pour protéger la santé et l’intégrité physique
Article 6
Il est illégal de créer/alimenter un outil ou programme numérique nocif pour la santé physique et/ou mentale des utilisateur·ices
Article 7
Le droit à la coupure numérique peut être invoqué au nom de la santé par toute personne, en toutes circonstances
Article 8
Les compétences humaines sont protégées, pour garantir la santé des citoyen·nes et la sûreté de l’État.