Afin de démontrer l’efficacité des politiques, il devient impératif de prouver la performance, la valeur ajoutée et l’impact des initiatives financées par le FSE.
Les règlements 2014-2020 contiennent des dispositions renforcées en matière de suivi et d’évaluation. Ce renforcement a pour but de s’assurer que des données fiables et complètes seront disponibles et qu’elles pourront être agrégées pour mesurer l’efficacité et l’impact du FSE.
Sur base des exigences européennes en matière de suivi des participants, un certain nombre d’indicateurs doivent être récoltés en cours de réalisation de l’action.
Les principes suivants sont à respecter :
– Le suivi des participants fait partie intégrante de la vie du projet et est donc un facteur de recevabilité du dossier.
(…)
– Les informations doivent être collectées pour chaque participant
– … (mesurer le public cible)
– Le suivi mis en œuvre permet de vérifier si les cibles fixées ont été atteintes et le cas échéant de mettre en place des mesures afin de les atteindre1.
– …
Décrypter ce langage et savoir que des humains sont rattachés à des dépenses me donne toujours froid dans le dos. Il est certes nécessaire et logique que les autorités politiques s’assurent de la bonne gestion des deniers publics. Toutefois, il est tout aussi nécessaire et indispensable de garder une vigilance sur les enjeux et les modalités.
Pourquoi les opérateurs subventionnés par le Fonds social européen sont-ils obligés de récolter des données à caractère personnel ?! Pourquoi alors que le règlement européen reste relativement peu précis, l’agence en Fédération Wallonie-Bruxelles l’explicite davantage en attendant des informations telles que sujet à assuétudes, détenu ou ex-détenu, SDF, participants handicapés, autres personnes défavorisées, … sans garantie d’anonymat ! Et que l’agence flamande se contente du numéro de registre national…
L’intimité dévoilée. L’intimité protégée
Faire signer des listes de présence dans les secteurs de la formation. Récolter et traiter des vécus pour une analyse du territoire attendue dans les secteurs sociocul-turels. Rassembler des données personnelles dans des dossiers administratifs ou de guidance. Force est de cons-tater que les données qui touchent à l’intimité des personnes sont au cœur des pratiques professionnelles tous secteurs confondus. Juridiquement, on parle de données sensibles.
Qu’entend-on par données sensibles ? Certaines données sont si délicates qu’elles ne peuvent être traitées que dans des cas très spécifiques. Nom et adresse sont plutôt des données anodines, mais ce n’est pas le cas pour la race, la santé, les opinions politiques, les convictions philosophiques (croyant ou athée, etc.), les préférences sexuelles ou le passé judiciaire2.
Quelle est la limite dès lors à ne pas dépasser ? Que dire ? Quand se taire ? A partir de quand pourrait-on parler de pratiques obscènes3 ? Que faire ? Refuser de prendre ces informations ? Les prendre et ne pas les communiquer ? Les prendre et les donner ?
Un petit rappel. En Belgique, depuis 1992, il existe une loi qui assure une protection de la vie privée des personnes et qui précisent les règles d’usage des données personnelles.
Par ailleurs, il existe une commission de la protection de la vie privée qui rappelle qu’il est en principe interdit de collecter, d’enregistrer ou de demander à pouvoir communiquer les données sensibles.
Enfin des codes de déontologie rappellent et précisent certaines règles.
Alors pourquoi vouloir y revenir ?
L’insertion professionnelle, une situation particulière
Il est important de savoir que l’inspecteur en insertion professionnelle est un inspecteur social. Il est soumis au code pénal social (loi du 6 juin 2010, Moniteur belge du 1er juillet 2010). Ce qui n’est pas le cas dans d’autres secteurs où il existe un service d’inspection pédagogique et un service d’ inspection comptable.
Par l’introduction de ce code pénal particulier, le législateur visait à coordonner les dispositions du droit du travail et du droit de la sécurité sociale relatives à la prévention, la détection et la poursuite des infractions. Le Code pénal social contient également une liste de l’ensemble des infractions et des sanctions possibles4.
Dans l’insertion professionnelle, s’opposer à la vérification des dossiers est considéré comme un obstacle au contrôle et peut faire l’objet d’un projustitia d’une part et peut avoir un impact sur le subventionnement d’autre part.
Par ailleurs, comme il s’agit de favoriser l’insertion professionnelle d’un public en principe éloigné de l’emploi, l’accent est mis en outre sur le suivi et la tenue d’un dossier psychosocial ainsi que toute information que l’ins-pecteur jugerait nécessaire à l’accomplissement de sa mission, une pratique à géométrie variable.
Situation connue dans d’autres secteurs, l’aide à la jeunesse, le secteur du handicap, … où il ne s’agit pas de communiquer le contenu des entretiens mais bien que ces entretiens ont eu lieu… Est-ce mieux finalement ? Ici, c’est le travail du professionnel qui est contrôlé et la qua-lité de son travail est vérifiée par la tenue d’un dossier…
Interroger la légalité de cette disposition
Que ce soit au niveau européen, wallon ou bruxellois, les fédérations patronales en insertion professionnelle et dans les secteurs de l’Éducation permanente conjointement, ont interpellé le parlement européen, la commission de la vie privée, la commission de contrôle bruxellois5 sur la légalité de la disposition.
D’une part, cet attendu pourrait être non conforme à certaines législations fédérales, régionales ou communautaires. D’autre part, cette situation pourrait être traitée par la Cour européenne des droits de l’Homme voire de la Cour européenne de Justice.
A l’heure de la rédaction de cet article, les démarches sont en cours.
Quel sera le code qui fera loi ?
Outre les nœuds législatifs, certains secteurs ont un code de déontologie propre. Est-ce que ces codes auront une légitimité ? A titre subsidiaire ?
Par ailleurs, comment les organisations, les travailleurs dans les secteurs de l’insertion professionnelle, de la formation vont-ils pouvoir affirmer une déontologie propre en l’absence de code de déontologie ? Que faire face à cet inspecteur assermenté et tenu par le code de la fonction publique et la charte de bonne conduite administrative ? Soulignons que l’article 3 du code prévoit qu’il est interdit aux agents de révéler des faits qui ont trait, notamment au secret médical, aux droits et libertés du citoyen, et notamment au droit au respect de la vie privée. Ils pourront toujours se retrancher derrière le secret professionnel partagé ? Que répondre ?
Il est peut-être grand temps qu’une réflexion se mène dans ces différents secteurs et à l’instar de l’enseignement, de l’aide à la jeunesse, des CPAS, de la santé mentale… définir les contours du secret professionnel et du secret professionnel partagé dans les secteurs de l’insertion professionnelle et plus largement de la formation ? Que récolter ? Que communiquer ? Que partager ? Avec qui ? Dans l’intérêt de qui ? De quoi ? Comment sortir de la contrainte mise sur le stagiaire et l’organisme de formation dès le moment où ce dernier doit obtenir un accord écrit du stagiaire qui aurait refusé de communiquer des données personnelles ? Quelles sont les spécificités pour les organismes publics de formation, FOREM,
Bruxelles-Formation et les organismes privés, tels que les OISP ? …
Réaffirmer les spécificités
Les politiques d’insertion professionnelle ne visent pas le contrôle des travailleurs sans emploi mais soutiennent leur insertion sur le marché du travail. Le rappeler si nécessaire. Proposer des alternatives au vu de l’étroitesse de celui-ci !
Aujourd’hui, d’autres secteurs inscrits dans le champ de l’aide sociale, au vu des transformations du contexte politique et social, de l’instrumentalisation du travail social à des fins sécuritaires ou répressives, des pressions exercées en matière de contrôle des personnes, souhaitent réaffirmer la spécificité du travail social au travers d’un manifeste et réintégrer la déontologie dans les pratiques du travail social6.
Quelques transformations
Les professionnels peuvent choisir de ne récolter que des informations utiles et nécessaires pour leur travail quotidien. Quelle est la pertinence pédagogique et politique de disposer de telle ou telle information ?
Ces mêmes professionnels peuvent choisir de préserver l’anonymat des personnes dans la tenue de leurs dossiers et documents administratifs.
…. Distinguer les logiques d’inspection, pé-dagogique, sociale et comptable ; les modalités et supports du contrôle…
… Sortir de la logique de subventionnement « à l’heure de formation suivie » et transformer profondément les modes d’évaluation. Tous les secteurs de la formation sont concernés. Voire tous les secteurs où la question de l’exclusion sociale est individua-lisée et où il s’agit de démontrer ‘efficience des pratiques professionnelles au nombre de « prise en charge » et de « dossiers traités »…
Ouvrages de référence utiles :
L’essor, la revue trimestrielle de l’Interfédé
http://www.interfede.be
n°62 : Le secteur EFT/OISP dans tous ses (d)ébats
n°63 : La dimension sociale de l’insertion socioprofessionnelle ?
Plus que jamais !
n°67 : Le memorandum sectoriel des CISP
n°68 : Les référentiels : Toute une histoire !
1. « Fichier stagiaires » FSE et IEJ – version 2 – janvier 2016 – Guide méthodologique à l’usage des opérateurs autres qu’opérateurs publics – p2
2.https://www.privacycommission.be/fr/donnees-sensibles
3. L’obscène – Guillermo Kozlowski – Articulations n°35 in Secouez-vous les idées n°76 – décembre 2008-janvier – février 2009
4. http://www.emploi.belgique.be/sanctions/
5. La commission a été instituée par l’article 31 de l’ordonnance du 8 mai 2014 créant un intégrateur de service régional disposant d’un pouvoir de contrôle sur les traitements de données à caractère personnel gérés par les services publics qui dépendent de la Région de Bruxelles-Capitale (articles 35 à 37)
6. Un lieu de vigilance démocratique : Le comité de vigilance en travail social http://www.comitedevigilance.be