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Engageons robots. Envoyer CV et lettre de motivation à S3E3

 
Les politiques visant à lutter contre le chômage menées par les gouvernements successifs dans la plupart des pays européens sont contreproductives et font appel à de très vieilles recettes au goût amer. Ce n’est pas notre actuel gouvernement ancré à droite qui suivra une autre voie. La mode est à la dérégulation du marché du travail, à la punition de ceux qu’il exclut et à la diminution des coûts. Comme les décideurs peuvent difficilement dire à l’électorat « braves gens, on va diminuer votre salaire réel pour votre bien « , ils agissent en douce. On retiendra, pour la Belgique, le saut d’index et la diminution des cotisations patronales d’assu-rance sociale1, encore appelées injustement « charges patronales »2. Ces deux mesures, si elles peuvent aider, voire sauver l’une ou l’autre entreprise, sont surtout de beaux cadeaux pour celles qui dégagent déjà de jolis bénéfices. Pensez-vous qu’il soit utile que les banques, largement bénéficiaires, réduisent leur part de financement à la sécurité sociale ? La diminution du coût du travail devrait soutenir la compétitivité de la Belgique nous dit-on. Certes, notre pays a une économie ouverte qui exporte et importe sensiblement autant et, pour les sociétés exportatrices, cela peut être une belle opportunité mais ces dernières sont des entreprises industrielles ou de services « pointus ». Notre économie repose surtout sur le secteur tertiaire3 dont de nombreuses entreprises importantes ne sont pas en compétition sur l’international. Ainsi, les banques, les compagnies d’assurances et les sociétés de grande distribution par exemple bénéficient d’un cadeau qu’elles ne répercutent ni sur l’emploi ni sur les prix mais qui fait l’affaire des actionnaires. En outre, les états sont en compétition pour tirer le coût du travail vers le bas. Il suffira à nos principaux partenaires commerciaux (Allemagne, Pays-Bas, France et 

Royaume-Uni) de baisser eux aussi encore un peu plus le coût du travail pour que nous devions à nouveau les suivre. C’est un cercle sans fin et un jeu de dupes. Ces mesures de soutien à la croissance sont complétées par des dispositifs individuels qui visent, soit disant, à permettre aux demandeurs d’emploi de retrouver un emploi. Il s’agit surtout, et de plus en plus, de mesures « punitives » pour ne pas dire vexatoires4. Nous l’avons déjà dit dans ces colonnes, ce n’est pas en stigmatisant les gens qu’on les aide.

Ces dispositifs, déjà bien peu utiles en matière de création d’emplois et de remise à l’emploi, éludent totalement les évolutions récentes et à venir de la façon de produire les biens et services que nous consommons. Premièrement, il est clair que l’on ne peut pas concurrencer les poids lourds industriels tels que la Chine sans diminuer les salaires de façon drastique, ce qui est totalement irréaliste. Ainsi, de tels pays resteront « l’usine du monde » dans les prochaines années. Deuxièmement, les politiques actuelles continuent à éluder ce qui apparaît aujourd’hui comme une évidence à bon nombre d’économistes : la robotisation massive du travail est en marche !

Selon une récente étude, 47 % de nos emplois sont menacés sous peu5. Tous ceux qui ont des tâches répétitives, qui font de la manipulation d’objets, qui ont des tâches d’information aux guichets sont concernés. Si vous êtes vendeur, ouvrier ou administratif, vous êtes les premiers concernés. Les travailleurs de l’aide aux personnes et les artistes peuvent eux… dormir tranquilles, les temps changent ! Une employée de mon agence bancaire me disait il y a peu, « Monsieur, il faut vous mettre au phone banking, dans trois ans, nous ne serons plus là ».

D’autres fonctions suivront, plus créatives, qui demandent pourtant des savoirs plus complexes. Lors des dernières élections cantonales françaises, « Le Monde »6 a mené une expé-rience en publiant de courts textes de présentation des résultats générés entièrement par un ordinateur.

Depuis le 18ème siècle et jusqu’au milieu des années septante, la destruction de postes de travail dans un secteur était compensée par la création de postes de travail dans un autre secteur, en général avec un décalage temporel. C’est le « déversement intersectoriel de la main d’œuvre ». Il a commencé par des gains de productivité dans l’agriculture et l’artisanat, ce qui a permis de produire plus avec moins de travailleurs. Les bras ainsi libérés ont été servir le secteur industriel. Au fil du temps, les gains de productivité dans l’industrie ont obligé les travailleurs à prester dans le secteur tertiaire. A chaque fois, les gains de productivité d’un secteur ont permis au suivant de se développer. Avec la robotisation7, de nombreux emplois du secteur secondaire8 et une part non né-gligeable des emplois automatisables des secteurs tertiaires seront perdus dans les 20 prochaines années. Il n’y a pas de secteur pour récupérer ceux qui resteront sur le carreau. Certes, on nous dit que l’industrie robotique, électronique et les services qui y sont liés sont les créateurs d’emploi de demain. D’ici à ce qu’ils absorbent toute la main d’œuvre, il y a un pas que je ne franchirai pas, d’autant plus que la robotisation affectera également cette activité économique. On cite aussi une société de loisirs. Encore faudra-t-il pouvoir se les offrir.

Le plein emploi, avec les recettes actuelles, est loin derrière nous et ne se profile plus à l’horizon. Il est donc plus que temps de ne plus faire semblant et de prendre les mesures qui s’imposent.

Premièrement, il faut impérativement tenir compte de l’impact de telles pertes d’emploi sur les finances publiques par la diminution des rentrées fiscales sur les revenus. La sécurité sociale sera également très lourdement impactée par une baisse importante des cotisations sur le travail pour les pays, dont la Belgique, qui ont un modèle assurantiel. La base du financement diminuera drastiquement alors que les besoins en revenus de remplacement augmenteront. Une telle diminution des recettes pour faire face aux besoins accrus est tout bonnement irréalisable et les discours sur l’avenir de nos pensions dans notre modèle actuel sont inutiles. La seule piste possible est de modifier l’assiette de financement. On peut penser à une cotisation sociale généralisée à la française, qui repose sur quasi tous les revenus mais elle ne suffira pas. Taxer la valeur ajoutée9 est l’autre piste la plus souvent évoquée. Il est clair que ce n’est pas en augmentant les accises, mesure chère à nos gouvernements, que l’on sauvera la sécurité sociale.

Les néolibéraux purs et durs qui auraient tout bonnement envie de laisser faire, en prétendant que le marché régulera tout cela pour le mieux, se rappelleront que de telles pertes d’emploi sans compensations financières dignes de ce nom auront des conséquences dramatiques sur la consommation10 avec une solide récession à la clef. Il faut donc, pour le moins, prendre des mesures pour compenser les pertes de pouvoirs d’achat. Je dis pour le moins car de simples mesures financières ne peuvent suffire. Le travail fait partie intégrante de notre vie, de nos rapports sociaux, de notre histoire. Il va donc falloir tourner le dos à cette valeur travail et financer la part non active de la vie. Tout un programme.

Trois pistes s’imposent. La première est purement « réactionnelle », les deux autres impliquent une remise en question du travail, de ce que nous y mettons, de ce que nous y projetons, de la façon dont nous l’intégrons dans notre vie. Il ne m’appartient pas, dans cet article, d’en faire une analyse détaillée mais bien de les présenter brièvement.

Premièrement, des voix s’élèvent pour limiter l’uti-lisation de robots, soit en les interdisant, partout ou dans certains secteurs (services et distributions), soit en les taxant de façon à en diminuer l’attrait11. On retiendra cependant qu’une société humaine ignore rarement les avancées technologiques, sauf dans quelques communautés. C’est pourtant une piste. On pourrait par exemple transférer la main d’œuvre vers le secteur non marchand d’aide aux personnes qui serait protégé de la robotisation.

Deuxièmement, diminuer le temps de travail ne peut plus être un tabou. Plusieurs voies existent, qui peuvent être combinées. Diminuer la durée hebdomadaire et/ou journalière du travail et avoir recours aux pauses carrières. Nous sommes passés, en un peu plus d’un siècle et par étapes, d’un régime de travail de 12 h par jour, 6 jours sur 7, sans congés payés à moins de 8 h par jour, 5 jours sur 7 avec 20 jours de congés payés minimum. Le moins que l’on puisse dire est que cela n’a pas mis à mal l’appareil productif. Il y a eu un transfert des marges engendrées par les gains de productivité sur les salaires ce qui a permis de soutenir la croissance, tant en Belgique que chez nos voisins.

Des initiatives de réduction du temps de travail commencent à pointer le bout de leur nez. De telles initiatives ne feront pas l’économie d’un renforcement de la formation sans quoi, comme aujourd’hui, nous créerons encore les nombreux laissés pour compte de la qualification.

Enfin, certains, pragmatiques ou utopistes, prônent l’allocation universelle. Celle-ci fait débat, entre fermes opposants, sceptiques et fervents défenseurs12 qui y voient enfin l’opportunité pour tous de travailler librement. Cette mesure soulève au moins des questions éthiques et pratiques : elle ne supprime en rien le clivage entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas. On retiendra également la difficulté d’assurer un revenu suffisant pour permettre aux inactifs de vivre décemment.

Geert Noels, un économiste belge, n’est pas tendre avec la robotisation. Il déclarait le 20 janvier 2016 sur « La Première »13 : « En Chine, des dizaines de milliers d’ouvriers de FOXCONN fabriquent notamment des IPhones. Ces ouvriers sont en train de construire des robots qui les remplaceront pour faire leur boulot. Comme ils ne sont pas stupides, ils y réfléchissent et font des grèves pour résister. C’est cela le monde de fou dans lequel nous vivons, où des robots sont en train de remplacer des milliers d’emplois ».

Je terminerai en citant deux autres économistes. Des vieux de la vieille que la droite et la démocratie sociale ont depuis longtemps enterrés. Karl Marx et Friedrich Engels proclamaient en 1848 « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous » et ils ajoutaient « Parce que vous n’avez rien à perdre, sauf vos chaînes »14. Avec ce qui se prépare, les solutions seront mondiales et si les travailleurs ne veulent pas se faire enchaîner plus encore, ils devront lutter pour obtenir les belles parts du gâteau. Je propose de retenir une chose : un monde meilleur, avec moins de boulot et notamment moins de tâches pénibles est possible, sans perte de pouvoir d’achat sans quoi… ce sont les robots qui iront au chômage. C’est une évidence économique mais ces dernières doivent sans cesse être rappelées aux dirigeants.

 

 

1. Voir point 2 : http://www.groups.be/1_75825.htm
2. Qui gagne, qui perd ? E. Vermeersch. 2014. https://www.cesep.be/index.php/publications2/analyses/enjeux-de-societe?id=524
3. 78 % du PIB en 2013.
4. Par exemple le contrôle domiciliaire des demandeurs d’emploi.
5. http://maisouvaleweb.fr/homme-robot-travail/ page consultée le 22 janvier 2016.

6. http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2015/09/18/un-robot-fera-t-il-bientot-votre-travail/ page consultée le 22 janvier 2016
7. Robotisation pris au sens large : toutes les tâches automatisées, par des machines et des ordinateurs.
8. 17 % du PIB en 2013.
9. « Le financement alternatif de la sécurité sociale en Belgique. Etat et perspectives» Eric VERMEERSCH. Cesep ASBL – 2008. https://www.cesep.be/PDF/ETUDES/ENJEUX/financement_alternatif.pdf
10. 51,7 % du PIB en 2014. Sources : http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/NE.CON.PETC.ZS. Page consultée le 24 janvier 2016.
11. « Que faire ?(1) : L’emploi, par Michel Leis ». http://www.pauljorion.com/blog/2016/01/19/que-faire-i-lemploi-par-michel-leis/#more-81742. Page consultée le 24 janvier 2016.
12. Voir le débat entre Philippe Defeyt et Mathéo Alaluf. http://www.alterechos.be/fil-infos/alaluf-vs-defeyt-lallocation-universelle-une-idee-realiste. Page consultée le 24 janvier 2016.
13. http://www.rtbf.be/info/economie/detail_des-ouvriers-sont-en-train-de-construire-les-robots-qui-les-remplaceront?id=9190638. Page consultée le 24 janvier 2016.
14. https://fr.wikipedia.org/wiki/Prol%C3%A9taires_de_tous_les_pays,_unissez-vous_!