Par Véronique Cantineau et Sophie Acquisto, en complicité avec Myriam Claessens, Isabelle Hayez, Stéphane Moussiaux et l’équipe ISP.
Former en période de confinement ? Ce sont de multiples ajustements !
Par Véronique Cantineau et Sophie Acquisto, en complicité avec Myriam Claessens, Isabelle Hayez, Stéphane Moussiaux et l’équipe ISP.
Nous travaillons dans le secteur de l’insertion professionnelle wallonne. Notre équipe est composée de 18 formateurs, accompagnants et administratifs. 18 manières uniques de faire face au confinement avec des solutions cohérentes et variées afin que la majorité des personnes inscrites en formation puisse trouver chaussure à son pied. Cette situation exceptionnelle fut une source de défis pour tous, mais aussi de doutes et de craintes pour certains.
Le texte ci-dessous est issu de témoignages de terrain : des échanges de courriels, des rencontres, des conversations dans le couloir etc. Il reflète d’une façon « brute » tous les ajustements que notre équipe a réalisés durant le confinement.
Un ajustement institutionnel
Nous avons trouvé un accord avec le Forem pour que les stagiaires soient pris en compte dans leur réalité et sécurisés financièrement.
Le Forem et les organismes de paiement ont réagi très rapidement pour ajuster les procédures : envoi de documents numériques, assouplissement des délais, courriers spontanés d’information.
Néanmoins, plusieurs aspects contraignants sont apparus lors de cet ajustement, dont l’augmentation des démarches administratives : nouvelles procédures, attestation de cours à distance à signer, signature à scanner, tout envoyer par mail, des cases à remplir, des codes à encoder, des comptes à rendre, attester sur l’honneur…
C’est pourquoi nous nous offusquons quand quelqu’un nous demande comment s’organise la reprise parce qu’en réalité, nous n’avons pas arrêté !! Au côté de ces nouvelles contraintes administratives, les formateurs ont dû retravailler leurs cours… du temps important non pris en compte dans le comptage des heures.
Si les autorités subsidiantes ont immunisé de manière soutenante les heures de formation non réalisées pendant le confinement, il serait dommage de croire que c’est un cadeau que la Région wallonne offre aux centres ! Ces retours financiers assurent la viabilité des projets mais sont-elles des reconnaissances de ces tâches invisibles ?
Un ajustement de l’équilibre entre le soi et l’autre
L’équipe a dû s’adapter à cette crise sanitaire. Nous avons, par exemple, téléphoné à tous les participants, une soixantaine, pour prendre de leurs nouvelles alors que généralement ceux-ci viennent volontairement en entretien d’accompagnement. Nous avons également enregistré certains de nos modules en vidéo afin de tenter de les rendre plus réaliste et plus chaleureux que sur papier. A ce sujet, nous constaterons dans le paragraphe suivant que l’ajustement pédagogique n’a pas été simple à réaliser.
Ces adaptations ont été perçues positivement par la majorité des candidats. Nous avons reçu de la gratitude pour tout ce qui a été mis en place, ainsi que des suggestions pour l’avenir. Du côté de l’équipe, il était également agréable de constater la création de groupe d’échanges sur WhatsApp et se réjouir d’une belle solidarité entre les stagiaires.
Cependant tout n’a pas été si agréable. L’équipe a vécu des moments moins réjouissants parfois éprouvants voir même violents. Ces moments ont été ressentis de façon différente par chacun et chacune:
- Choisir de renoncer à donner un cours de communication et dynamique de groupe à distance parce que cela ne rime à rien.
- Remarquer de manière plus criante, que d’habitude, l’importance de l’affiliation dans un module comme celui de la préparation aux entretiens d’embauche. En effet, comment aider, à distance, les stagiaires dans l’analyse et la structure de leur parcours professionnel qui représente un chantier important au niveau émotionnel ? C’est un module qui va « trifouiller les entrailles » du passé de nos candidats. Ceci ne peut se réaliser efficacement qu’avec des formateurs présents, soutenants, encourageants, … Arriver à cet état de confiance mutuelle de manière virtuelle est plus compliqué. Il y a « une vibration dans l’air » quand on est ensemble dans une pièce qui est impossible à partager par mail ou par caméra.
- Faire face à des questions qui montrent les inquiétudes par rapport à l’emploi, du stress pour combiner famille et formation (la fameuse conciliation vie privée et vie professionnelle), de la culpabilité, de la crainte d’une sanction du chômage. Comment gérer ces difficultés à distance ?
- Constater de façon impuissante que les violences familiales déjà présentes sont exacerbées par le confinement. Et devoir faire toutes les démarches d’aide par téléphone…
- Se mettre en colère plus facilement devant certaines incohérences entre les consignes habituelles des institutions relais, leurs missions et les directives covid-19
Ce confinement a mis en lumière un aspect important de notre métier de formateur : l’aspect psychosocial. En effet, pour bon nombre de participants, « se déplacer » en formation est une démarche salutaire pour retrouver un contact social ou parfois être juste en sécurité le temps d’une journée. De plus, se confronter au regard des autres, vérifier qu’on est capable d’appréhender de la nouvelle matière, (re)découvrir l’entraide, augmenter sa confiance en soi, etc. sont essentiels, et ceci nécessite un travail avec le groupe en présence et non virtuellement.
Des ajustements de conception pédagogique
Donner des formations à distance implique un changement en profondeur de la pédagogie et un questionnement sur les pratiques pédagogiques en général.
Nous avons individualisé le travail, en partant de là où le stagiaire se situe, et en s’adaptant à chacun… Individualiser les cours en les envoyant par mail selon les besoins des stagiaires, c’est intéressant. Mais on perd le principe collectif où chacun partage ce qu’il sait déjà. En groupe, le formateur suscite les échanges, met en place un processus de collaboration. En formation à distance individualisée, ce que le stagiaire sait déjà est utilisé comme fondation pour construire le contenu nouveau mais il n’est pas partagé avec les autres personnes du groupe. On change donc fondamentalement d’option pédagogique. Ceci demande une énergie beaucoup plus intense qu’en présentiel ! Oui ! En présentiel il faut parfois « porter le groupe » mais les participants interagissent, participent et ceci rend la formation plus dynamique. Nous nous sommes sentis impuissants car certains stagiaires ne savent pas travailler seuls et le disent explicitement. Quelques-uns ne donnent aucune suite à nos propositions sans que nous en connaissions la raison. D’autres ne sont pas prêts à « apprendre à apprendre ». En groupe, ils y seraient peut-être parvenus. Mais, à distance, nous n’avons pas de prise pour les aider. C’est en effet frustrant de ne pas pouvoir donner le petit coup de pouce qui « relance la machine » car nous ne voyons pas les réactions en direct, les sourires, le froncement des sourcils, les chuchotements, les langues qui dépassent, etc, tous ces indices qui font comprendre qu’ils rencontrent « un stuut ». Conclusion : Un fossé de plus en plus grand se creuse entre les stagiaires.
Une deuxième observation importante constatée durant ce confinement a été : la fracture numérique. Celle-ci est de plus en plus criante. Un ordinateur avec des logiciels récents représente un coût élevé pour les demandeurs d’emploi. Nous avons donc prêté des PC à plusieurs d’entre eux. Pour ce faire, nous avons installé et avons exploré des dizaines de solutions techniques : Google Classroom, Zoom, Skype, Jitsi, pour apprendre ensuite qu’ils ne se valent pas : libres ou « vendus », stable ou pas fiable, … Parvenir à trouver le moyen de se contacter en visioconférence avec toutes ces possibilités qui ne fonctionnent pas toujours correctement, appréhender ces nouvelles technologies en même temps que commencer un cours en ligne a mobilisé toutes nos ressources !
En plus d’apprendre à utiliser ces nouvelles technologies, nous avons effectué une révision importante des documents donnés en formation. Certains formateurs les ont restructurés, d’autres formateurs ont dû créer des notes de cours écrites, qu’ils ne partagent habituellement que de façon orale avec les stagiaires. Ce travail fut laborieux : rédiger des lignes et des lignes de consignes d’exercice plus détaillées, procéder par essai et erreur, répondre à chaque question par écrit, encourager par écrit, féliciter par écrit, donner un retour par écrit, soutenir par écrit. De plus, chaque membre de l’équipe a dû tenir des comptes d’apothicaire : qui a fait quel exercice ? cet exercice devait durer combien de temps ? pour ensuite les envoyer au Forem.
Lors des modules donnés en présentiel, nous nous axons sur les apprentissages. En confinement, notre métier a été de donner du temps à l’aspect psychosocial ! Cet aspect est, d’habitude, moins visible, il est non quantifiable, non reconnu et pourtant ce fut une nécessité sociale de le prendre en compte ! On peut affirmer que la distance a rendu visible l’invisible. En effet, la précarité de plusieurs stagiaires nous est apparue en pleine face et ceci a dû être géré par l’ensemble de l’équipe !
Des ajustements des conditions de travail et avec soi-même
Pour certains, réaliser le confinement seul et sans aide extérieure, a renforcé leur estime de soi. Travailler en équipe a du bon mais travailler seul est ressourçant aussi ! (Re)trouver son potentiel en organisant son temps de travail et en réalisant des tâches seul, leur a été bénéfique ! Pour d’autres, vivre ce confinement, dans la solitude, c’est aussi se sentir éloigné, avec un manque criant de conversations, de contacts. C’est perdre ses repères temporels et être très, trop, disponible pour les stagiaires. En effet, certains stagiaires travaillaient pour le Cesep le soir (seul moment sans les enfants, sans le conjoint qui doit lui aussi disposer de l’ordinateur en journée), de ce fait certains formateurs répondaient le soir, d’autres pas. Chacun a dû gérer à sa façon son temps de travail en prenant en compte toutes les contraintes du foyer. Certains ont dû aménager un poste de travail chez soi, travailler sur la table du salon, sur un siège non adapté, pas confortable pour le dos, s’occuper des enfants, superviser le travail scolaire des plus grands, gérer 1.000 choses de la vie courante, etc.
Cependant, à l’instar des stagiaires, l’équipe a aussi constaté un meilleur équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle : moins de trajets, moins de devoirs, moins de contraintes pour les enfants et pour les parents, …
Et après ?
Comment va évoluer notre fonction ? notre métier ? Une nouvelle ère arrive.
Dans les semaines (mois ?) à venir il nous faudra sans doute repenser la manière d’organiser nos formations, intégrer des médias, plus froids, dans nos procédures d’apprentissage, et installer néanmoins une chaleur humaine et une humanité toujours saluée par nos stagiaires dans nos formations. Paradoxalement, donner cours en étant masqué nous prive aussi d’une partie non négligeable de notre communication : le non verbal.
Alors qu’on mesure l’importance des liens avec les autres, on risque de devoir s’éloigner pour les apprentissages. Se serrer mieux les coudes en gardant la distanciation physique ! Ça c’est fameux !
Ce confinement a montré de manière flagrante : la nécessité d’évaluer la pertinence de nos formations autrement que par les heures. La dimension quantitative est prise en compte mais le confinement a rendu visible une partie non évaluable en chiffre, cette partie qui renvoie à l’humain, une nécessité liée à la dimension sociale de notre métier ! Celle-ci doit être prise en compte !