Pour ce numéro, nous avons rencontré Julie Reynaert, coordinatrice pédagogique du BAGIC1 de l’Interfédérale des Centres de Jeunes.
FD : Quel est votre parcours professionnel ?
JR : Il n’est pas encore très long ! Par rapport à d’autres personnes interrogées dans cette rubrique, je dois être la benjamine ! (Rire)
Après mes études en Histoire, j’ai travaillé pendant sept années au Centre Culturel de Marche-en-Famenne. J’y ai découvert le secteur Culturel. J’étais en charge de l’animation régionale, c’est à dire la façon dont on peut faire vivre un territoire composé d’une quinzaine de communes affi-liées. Je devais mettre en place des dynamiques de rencontre sur le territoire au travers de manifestations culturelles, c’était vraiment très riche.
Voulant me rapprocher de chez moi, j’ai été travailler brièvement au Centre Culturel de Liège. Depuis 2008, je travaille à la Fédération des Maisons de Jeunes. J’y ai assez rapidement repris la coordination du BAGIC.
Lorsque j’étais au Centre Culturel de Marche-en-Famenne, ma coordinatrice m’a proposé d’aller suivre le BAGIC au CESEP. C’est là que j’ai découvert ce qu’était mon métier ! Même s’il y avait un bon esprit d’équipe et que j’ai été très bien accompagnée dans les différents projets. Avant de faire le BAGIC, mon travail s’apparentait à de l’organisation d’événements. Le BAGIC m’a permis d’en comprendre la portée politique. J’ai pu faire différents liens, j’ai appris le cadre institutionnel, ce qu’est une ASBL, un CA et le décret. Le BAGIC m’a permis de comprendre à quoi servaient les différents événements que l’on organisait, j’y ai découvert les missions d’émancipation et de démocratie culturelle. Cette compréhension a changé ma façon de travailler ainsi que mes objectifs. Mon but n’était plus d’avoir un beau festival, mais de faire en sorte que des personnes s’emparent de l’organisation d’un événement sur leur commune.
FD : Pouvez-vous nous présenter le « BAGIC » de l’ICJ et pointer quelles sont les différences avec le BAGIC du CESEP ?
JR : Une particularité du BAGIC de l’ICJ c’est qu’il est porté par une interfédérale et non pas par un organisme de formation comme c’est le cas au CESEP. Cela lui donne une connotation particulière. L’ICJ est composée de sept fédérations de Centres de Jeunes réunies en association de fait avec comme mission la professionnalisation du secteur. Tout Centre de Jeunes est invité à s’affilier à une fédération et celle-ci le soutient ensuite dans ses actions. Le travail entre le coordinateur d’une Maison de Jeunes par exemple et sa fédération peut être très régulier. Ce qui fait que la formation BAGIC s’intègre dans ce suivi régulier. Au bout des deux ans de formations, on garde un contact avec les bagiciens, ils se retrouvent à de nombreuses reprises dans les AG, dans différents projets. Ce qui responsabilise le cursus au-delà des deux ans. Il y a une sorte de continuum.
Le BAGIC est un accompagnement parmi d’autres offert par les fédérations. Cette proximité permet d’être très proche des enjeux, mais peut aussi engendrer une difficulté de prise de recul.
En effet, les fédérations défendent les intérêts des Centres, qui peuvent parfois être en contradiction avec les intérêts des travailleurs qui y sont employés. Au Bagic, nous formons les travailleurs tout en étant au service de leurs employeurs. Lorsque l’on vise l’émancipation des personnes, cela exige de rester vigilant, notamment au niveau éthique. Il faut parfois jongler avec des situations délicates. C’est inévitable dans une formation qui outille les gens pour qu’ils puissent être acteurs là où ils sont.
Une autre différence avec les autres BAGIC, c’est la thématique sectorielle Jeunesse. Le dispositif est né dans les années 80 d’une réflexion sur la professio-nalisation au sein du secteur Centre de Jeunes. Il rassemble principalement des coordinateurs ou des futurs coordinateurs de Centre de Jeunes. Il y a donc une certaine homogénéité dans les groupes puisqu’ils ont tous les mêmes missions décrétales.
L’hétérogénéité vient surtout des parcours personnels très différents et des milieux d’implantation des associations. Les profils sont très variés. Au CESEP, les participants viennent pour l’aspect « Education Permanente » et c’est ça qu’ils veulent travailler. Ici quand les participants arrivent, ils n’en n’ont parfois jamais entendu parler ! Ils sont surtout en attente d’outillage de gestion d’asbl ou de gestion d’équipe. Nous sommes donc sur les deux niveaux : on travaille à la fois des aspects techniques ou de gestion et des aspects de fond, plus politiques, pour mettre en lien le projet associatif et les valeurs portées par le secteur.
De plus, dans notre secteur, il y a une exigence de qualification. Les coordinateurs doivent prouver qu’ils sont aptes à coordonner un Centre de Jeunes. Une série de compétences sont vérifiées par la sous-commission de qualification sur base d’un profil spécifique. Notre programme pédagogique a été construit en croisant à la fois le « cahier des charges » BAGIC et ce profil de qualification. Cela explique également les spécificités du BAGIC ICJ.
La dernière différence majeure que je voudrais pointer est que nous articulons deux types de dispositifs de formation. Celui que nous appelons « hors-terrain » où le groupe se rencontre avec des intervenants extérieurs et celui « sur terrain » où chaque bagicien est accompagné par un superviseur personnalisé qui va l’accompagner dans son centre et son projet.
FD : Que veut dire coordonner une formation politique ? Quelle est l’importance de ce type de formation aujourd’hui ? Et dans le secteur Jeunesse ?
JR : Coordonner une formation politique, c’est amener d’autres personnes à pouvoir agir comme acteur politique là où elles sont. J’utilise le terme politique dans son sens : agir dans la cité. Quel avenir pour les Jeunes dans ce quartier ? Quelle place pour eux dans cette commune ? Comment je me mets en mouvement pour faire évoluer la situation des Jeunes avec eux ? Il faut d’abord être conscient du projet politique qui est porté par le décret Centres de Jeunes, ses finalités de participation culturelle et d’émancipation.
Il s’agit de reconnecter les participants à la tradition portée par l’ensemble du secteur socio-culturel. Sans cette conne-xion, le risque est de ne voir leur métier qu’au travers des injonctions du décret, dans un registre très pragmatique. Plutôt qu’une finalité, je vois le décret comme un outil qui nous soutient et qui nous arme pour pouvoir agir à la transformation sociale.
Mon but est d’amener des participants à pouvoir porter les politiques culturelles en sachant pourquoi mais aussi comment ! Pour cela, ils doivent être outillés de méthodes concrètes. Ils doivent pouvoir anticiper, nouer des partenariats, animer, mener un projet et l’évaluer… Il s’agit de comprendre dans quel jeu on joue et du coup être attentif aux évolutions politiques globales de la société. Il faut être vigilant aussi bien à l’évolution sociale, économique des groupes avec lesquels on travaille. Le BAGIC permet aussi cette sensibilisation au travers de l’expérience vécue avec les autres et qui peut faire naître la fibre politique.
C’est particulièrement important dans le secteur jeunesse. Si on veut que les jeunes aient une meilleure compréhension de leur environnement pour pouvoir y agir et le transformer, il faut que les coordinateurs sachent que c’est ça leur mission et qu’ils soient capables de le transmettre à l’ensemble de leur équipe. Notre société a besoin d’une jeunesse porteuse d’alternative et non d’individus perdus prêts à s’embrigader dans le premier groupuscule venu. Le secteur Jeunesse a là une responsabilité à assumer !
Heureusement, la plupart des travailleurs du secteur Jeunesse sont très engagés. Le BAGIC est un des lieux qui peut éveiller à cette conscience politique. En cela, il contribue aussi à maintenir vivant un monde associatif engagé et alternatif. Je ne voudrais pas que l’offre des Maison de Jeunes devienne uniquement du loisir occupationnel où l’enjeu est d’apprendre le vivre ensemble, même si c’est un socle important. Le BAGIC sert aussi de soutien aux projets qui vont plus loin que cette étape fondamentale de la socialisation. Il n’y a que de cette manière que l’on va favoriser l’éclosion d’alternatives et poursuivre la lutte pour une société plus démocratique et plus juste.
FD : Dans un article paru dans l’Antre’Toise, vous parlez des enjeux du métier d’animateur et vous citez la formation et le fait de ne pas rester seul. Pouvez-vous nous en dire plus ?
JR : C’est venu d’un groupe BAGIC où l’une des conclusions des diagnostics était que les coordinateurs se trouvaient seuls. Même si c’est le propre du rôle de la direction d’être seul, la solitude représentait un vécu difficile qui était partagé.
Un enjeu du groupe a donc été de redécouvrir dans quel maillage on agit et de s’outiller pour être moins seul, pour travailler plus collectivement. Cette solitude est en lien avec d’autres difficultés du métier comme la précarité du travail dans le secteur par exemple. Les coordinateurs doivent se battre pour conserver leur financement afin de pouvoir garder leur équipe. Les animateurs sont souvent renouvelés. Le coordinateur doit constamment recommencer le travail de mise en place d’une équipe en interne, mais aussi dans ses rapports aux jeunes.
Une autre difficulté que rencontrent les Centre de Jeunes c’est de devoir, par ses missions, mettre le Jeune dans une situation de responsabilité et développer son sens critique alors que la tendance générale de la société pousse les
Jeunes à être des consommateurs passifs. Là aussi, les CJ se sentent parfois un peu seuls !
FD : Qu’aimez-vous dans la formation, que vous apporte-t-elle ?
JR : Ce qui me plaît en formation c’est quand je travaille avec un groupe selon une méthodologie d’action et qu’ensuite les participant se sentent capables de mener ce type de dynamique chez eux. J’aime que les participants soient capables, non seulement de « penser le projet », mais aussi d’ « agir le projet ». Et c’est en regardant ce qui a été vécu qu’on prend conscience de sa capacité à agir.
J’aime particulièrement les aspects politiques, tout ce qui touche à l’histoire du secteur et aux finalités de notre métier. Ça met un coup de projecteurs sur la partie noble du métier… Quand on rappelle à un groupe que « Nous sommes là pour que des Jeunes puissent agir dans leur quartier. Nous avons du pouvoir et grâce à nous ça va bouger », Les participants sortent boostés. Ils se disent remobilisés, cela donne une noblesse à leur travail. Je suis satisfaite quand un participant se dit « ça, c’est mon rôle et je me sens capable de le jouer ».
Je suis quelqu’un de passionné et ma passion est communicative. J’aime en formation apporter une bouffée d’air qui permet de se décaler par rapport aux tracas quotidiens. J’aime réactiver les consciences et redonner confiance aux gens.
FD : Le mot de la fin ?
JR : Que vive longtemps un secteur Jeunesse alternatif et engagé ! L’engagement est quelque chose qui me tient à cœur. Je suis persuadée que les formations longues sont le meilleur moyen pour travailler l’ancrage, l’engagement et l’outillage des professionnels dans un projet politique. J’ai peur que la formation non formelle organisée par le secteur Culturel soit de moins en moins subventionnée au profit de la formation professionnelle ou de l’enseignement formel (promotion sociale, haute école,…). Le risque serait alors de perdre l’ancrage politique du secteur. Des formations organisées dans le secteur socioculturel alimentent et soutiennent le côté vivant et engagé du secteur Jeunesse. Il est important que cet aspect puisse continuer d’exister, notament grâce aux dispositifs de formations longues. Le BAGIC doit rester un lieu qui permet l’engagement et la participation. Il peut l’être notamment parce qu’il a encore les moyens d’avoir un fonctionnement cohérent par rapport aux valeurs proposées. C’est un lieu de relation horizontale et d’autonomie où chaque personne peut prendre sa place et être sujet de ses apprentissages.
1. BAGIC: Brevet d’Aptitude à la Gestion d’Institutions Culturelles octroyé par la Direction générale de la Culture de la Fédération Wallonie Bruxelles