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Le point de vue des bibliothécaire

Par Marjorie PATERNOSTRE

 

MP : Première question Mesdames, pourquoi avoir dit oui ?
DC : En fait moi j’ai d’abord dit non! Ma crainte de départ était que ça me prenne trop de temps. Après, j’ai réfléchi et je me suis dit que ça m’intéressait quand même et qu’il fallait s’impliquer. C’est facile de se plaindre, mais c’est mieux d’aller “en haut”, à la Fédération donner son avis. Pour une fois qu’il y a une telle opportunité, ça aurait été bête de ne pas en pro-fiter. En fait, j’aurais eu honte de refuser.

 

PV : J’ai accepté tout de suite. Ca m’intéressait de voir comment ils allaient faire pour évaluer le décret et de voir s’il serait possible de faire bouger certaines choses. Au cours du premier plan de développement, on a constaté plusieurs difficultés liées à l’application de ce décret. L’objectif était donc aussi pour moi de pouvoir éventuellement faire des propositions de modifications ou intervenir sur ce qui posait problème. Comme j’ai la responsabi-lité de plusieurs dossiers de reconnaissance, je me sentais aussi un peu la porte-parole du réseau des bibliothèques de ma province. J’avais la connaissance des difficultés que les opéra- teurs rencontraient par ailleurs sur le terrain. Je me disais qu’être dans cette ins-tance me permettrait sans doute d’être un relais des préoccupations du secteur.

 

MP : Vous êtes entrées dans le processus fortes de ces choses à dire ? Avec des revendications précises ?
PV : Non, pas du tout. Je ne suis pas arrivée avec mes préoccupations. La première phase du travail était le questionnaire lancé par SpiraL auprès de tous les opérateurs. Une façon de collecter une série d’informations sur le ressenti du secteur. Il y a eu aussi des rencontres individualisées avec les premiers opérateurs reconnus dans le décret, dont notre bibliothèque, et des focus groupes auxquels je n’ai pas participé. Ce sont ces trois démarches cumulées qui ont permis de faire l’évaluation.

 

DC : Je voulais aider mais je n’avais pas d’attentes ou d’idées révolutionnaires préalables. Dans le comité de pilotage, je rapportais évidemment ce que mon équipe disait en interne, pendant nos réunions. Une des choses que je voulais peut-être faire remonter dès le départ était la surcharge de travail. Pas seulement administrative mais aussi la tendance à vouloir parfois augmenter les activités, communiquer plus, … Cette question est de toute façon très vite apparue dans les réponses au questionnaire.

 

MP : Quels souvenirs avez-vous du démarrage de ce processus ?
PV : Quand le groupe a été constitué au début et qu’on a rencontré tout le monde, il y avait beaucoup de gens. Ca n’était pas très clair qui était là pour quoi. Il y avait par exemple la Cocof, l’union des villes et des communes… Même si je comprends le lien avec la lecture publique, ce sont des personnes très éloignées de notre métier. Et à côté de ça, il y avait des bibliothécaires de terrain. Un groupe assez hétérogène, et donc ça n’était pas nécessairement très facile pour échanger. Je me souviens par exemple d’un moment d’échange autour de la notion de médiation. On n’était pas du tout, autour de la table, sur les mêmes réalités. Une fois qu’on est rentrés dans le vif du sujet avec le questionnaire de SpiraL, cela a été plus facile.

 

DC : Au début j’étais aussi un peu étonnée de voir autant de monde. Même les gens de l’équipe universitaire venaient à plusieurs à chaque réunion.


MP : A propos de SpiraL, justement, le fait d’avoir un organisme extérieur au monde des bibliothèques qui mène l’évaluation, était-ce un frein ou un atout ?

DC : C’est bien d’avoir eu quelqu’un de neutre qui fasse ce travail-là. Comme je l’ai dit, j’avais au départ peur du temps que j’allais devoir consacrer à ces réunions, peur de ne pas pouvoir faire mon travail à côté. Et au final j’ai réussi, tout s’est bien passé. Il faut dire qu’il n’y avait rien à préparer puisque Spiral et l’admi-nistration s’occupaient de tout le travail entre les réunions, des comptes-rendus, … Donc nous n’étions vraiment là que pour donner notre avis.

 

PV : C’est vrai que les gens de SpiraL n’avaient aucune expérience dans le secteur et ne connaissaient pas le terrain mais il s’agissait de l’application d’une méthodologie de travail. Cette méconnaissance du sujet n’était donc au final pas vraiment importante. Maintenant, si le processus avait été mené en interne au secteur, ou via un organisme associatif qui lui est proche, les choses se seraient déroulées autrement et ça aurait pu être un avantage aussi. Il y a du pour et du contre…


MP : Il y a peut être aussi une caution plus scientifique au travail effectué ?
PV : Oui, sans doute. Mais c’était très “universitaire”. Ils savaient où ils allaient et comment ils y allaient. Peut-être un peu trop cadré pour moi, peut-être avec un petit manque de souplesse. Ce qui est paradoxal pour évaluer un décret qui se veut être un décret de liberté!


MP : L’administration participait aux réunions. Là encore, avez-vous vécu cette présence comme quelque chose de positif ou pensez-vous que ça a pu biaiser le travail effectué ?
DC : Personnellement je n’y voyais pas de problème. Au contraire, je pense que c’est bien qu’ils aient été là. J’ai de toute façon l’impression que tout le monde était à l’aise, pas bridé, qu’on a pu parler librement. Après, est-ce que ça aurait été autrement s’ils n’avaient pas été là … ?


PV : Je pense qu’on a la chance d’avoir une administration qui est à l’écoute du secteur, qui cherche à le comprendre. Elle est vraiment en appui du secteur. On sait qu’il y a des contraintes, des rapports, … mais on n’a plus cette impression d’administration seulement contrôlante. Elle est surtout aidante. Les gens de l’admi-nistration voulaient vraiment que cette évaluation serve à quelque chose, que ça soit constructif et que ça aide le secteur.


MP : D’autres points forts ou faibles de ce processus ?
PV : Oui, par exemple un point fort de la méthodologie c’est qu’ils ont essayé d’élargir au maximum les personnes interrogées. Ils n’ont pas pris un échantillon mais bien envoyé le questionnaire à toutes les bibliothèques de la fédération. C’est donc quand même représentatif, me semble-t-il. Le reproche par contre qu’on pourrait faire, c’est qu’ils n’ont envoyé le questionnaire qu’aux bibliothécaires dirigeants. Je pense que leur avis n’est pas toujours nécessairement le même que celui des bibliothécaires de terrain, ceux vraiment au contact des usagers. Le dirigeant a un autre regard sur les choses. Une autre remarque est que beaucoup de bibliothécaires ne peuvent pas répondre à un tel questionnaire sans l’aval de leur pouvoir organisateur. Beaucoup ont dû soumettre leurs réponses à leur échevin, … C’est quand même un biais, voire un frein dans la démarche.

Un autre grand point positif est qu’il y a eu différents types d’interrogations du secteur. Les questions générales où tout le monde peut s’exprimer, les interviews individuelles qui dans mon cas ont pris au moins une matinée avec rencontre d’un bibliothécaire de terrain et un partenaire… Je trouve ça intéressant. Il semble aussi que beaucoup de choses ont été dites dans les focus groupes. Les gens ont brainstormé ensemble. C’est quand même une occasion importante de pouvoir s’exprimer! Si j’ai bon souvenir aussi, c’était anonyme, ce qui permet de vraiment dire ce qu’on pense et ce qu’on vit. A la lecture des résultats, je pense que les gens se sont vraiment exprimés sincèrement et on a pu voir une convergence assez claire sur ce qui a posé problème dans l’application du décret. Je dirais que la méthodologie utilisée a permis de conforter nos intuitions. J’ajouterais aussi que la restitution des résultats a été faite de manière très intéressante: un rapport complet mais aussi un document synthétique reprenant les points forts. J’ai pu fournir ce document à tout mon personnel sur le terrain.

 

DC : J’étais étonnée par l’ampleur du travail de départ. Je pense que les gens de SpiraL ont dû réduire un peu le projet car, par exemple, il n’était pas possible d’aller questionner la population. C’est vrai que pour évaluer le décret, c’est important d’avoir l’avis des bibliothèques bien que l’on ait le nez dans le guidon. Il aurait fallu avoir aussi l’avis de ceux qui fréquentent les bibliothèques ou qui justement ne les fréquentent pas et ça, c’était un peu trop ambitieux dans ce cadre-là. C’est peut-être une des faiblesses de ce processus. On a évalué le changement des pratiques des bibliothécaires plus que l’impact du décret sur le développement des pratiques de lecture. D’où peut-être aussi l’absence de surprise de ma part sur les résultats. A part ça, les réunions se passaient très bien, plutôt à bâtons rompus, dans la confiance avec l’impression d’avancer. L’objectif était assez précis, faire remonter les remarques et propositions du terrain vers la ministre, c’était motivant!


MP : C’est ce qui a été concrétisé dans une deuxième phase, dans un nouveau groupe de travail auquel vous avez participé, Pascale. Pourriez-vous nous en dire un mot ?
PV : La ministre a reçu l’évaluation faite par SpiraL et souhaité passer à une phase “prendre des mesures”.

Elle a donc demandé au secteur de formuler des propositions concrètes. Il y avait deux missions: faire des propositions pour rendre la vie des opérateurs plus facile mais aussi pour remettre en marche le processus des reconnaissances. Il y a la volonté au sein du monde des bibliothèques de ne pas avoir un secteur à deux vitesses, avec des gens qui restent bloqués et d’autres qui sont reconnus.


MP : Vous pensez avoir réussi à bien répondre aux demandes du terrain par vos propositions de modification ?
PV : Oui. Notre souci depuis le début était vraiment de respecter l’esprit de la législation. Certaines contraintes imposées ne sont pas en phase avec la réalité du terrain mais l’idée n’était pas de changer l’esprit du décret, auquel tout le groupe de travail était attaché. Personnellement je le trouve progressiste. Il donne la liberté nécessaire pour développer un projet particulier en fonction d’un territoire, dans une perspective citoyenne. On a bien veillé à ne pas toucher à ça dans les propositions faites mais à simplement nous rendre la vie plus facile.


MP : Cette phase de travail a été plus intense que la première.
PV : Oui, la ministre ne nous a donné que 5 mois. On a beaucoup travaillé car on n’a pas fait des propositions sur base des seules 5 ou 6 personnes présentes dans le groupe! On revenait chaque fois dans nos régions
respectives, dans nos équipes, pour avoir l’avis de notre réseau. Il faut souligner le travail monumental fait par les gens de l’administration: les synthèses rapides, les courriers, … Ce groupe de travail était très chouette, très impliqué. Nous avions vraiment envie de profiter de cette occasion de dire ce que le terrain voulait changer et l’administration, comme l’inspection d’ailleurs, étaient au service du groupe. Ce groupe a été terriblement efficace!

 

MP : Etes-vous toutes les deux confiantes dans les résultats de tout ce travail ?
PV : Si j’en juge par l’accueil que nous avons reçu par la ministre en mai dernier, oui. Mais la situation politique belge en ce mois de juin est tellement chahutée que nous ne savons pas à quoi nous attendre. Ni quand …

DC : Oui, je crois (rire) et je suis quand même curieuse de voir ! En tout cas, la démarche est très positive et doit avoir lieu. Maintenant j’aimerais bien voir le résultat…

 

 

1. Delphine Carlier est directrice de la bibliothèque communale de Genval et coordinatrice du réseau des 3 bibliothèques.
2. Pascale Vanderpère est directrice de la bibliothèque locale du réseau Louviérois de la lecture publique, de l’opérateur d’appui pour la province de Hainaut et de la bibliothèque itinérante de la province de Hainaut.