Et vous diriez quoi si vous appreniez que la poste ouvre toutes vos lettres ?
par Jean-Luc Manise
C’est l’un des arguments que Céline, alias Célo, travailleuse dans l’ASBL Domaine Publique et militante dans différentes organisations alternatives comme Abelli ou Nubo, utilise lorsque quelqu’un lui dit que peu lui importe qu’on utilise ses données comportementale en ligne puisqu’il n’a rien à cacher.
Célo est active dans différentes associations à Bruxelles qui œuvrent pour un numérique plus éthique et plus libre. Dans ce cadre, elle intervient pour sensibiliser les personnes aux enjeux du numérique et donne des formations en logiciels libres. Célo met aussi ses compétences techniques au service de son projet. Pour elle, Nubo est une des initiatives qui permet de se réapproprier la technologie en entrant dans une démarche de décroissance numérique.
Libriste
« Celo, c’est un peu mon surnom dans les milieux libristes puisque au-delà du fait que je sois coopératrice de Nubo, je suis moi même engagée dans le milieu du logiciel libre. Pas depuis très très longtemps. Le logiciel libre, la question des outils numérique qu’on utilise, la question du numérique éthique est arrivée assez tardivement dans ma vie. Je faisais des recherches en sciences sociales. Elles portaient entre autres sur le numérique. A un moment donné, j’ai commencé à me questionner sur le RGPD, sur le fait que des entreprises comme Google ou Microsoft ne nous respectaient pas vraiment en tant que personnes humaines. Cela m’a conduit de fil en aiguille à découvrir l’univers du libre. »
Anthropologie du numérique
« Je suis anthropologue au départ. J’avais travaillé durant mon master sur l’apprentissage de l’informatique dans un centre de formation à Bruxelles, sur la question du féminisme et de l’informatique. Après j’ai planché sur une recherche doctorale sur le jeu Pokémon Go. Ma recherche était liée à des questions liées au numérique, notamment aux données personnelles. Au même moment, j’ai suivi un séminaire d’anthropologie du numérique. J’ai découvert des ouvrages où des sociologues et des anthropologues questionnaient la centralisation des données. Elles traitaient du pouvoir de ces entreprises qui sont devenues centrales dans nos vies. »
Passionnée par la question de la décentralisation
« De fil en aiguille, je me suis intéressée à des logiciels et des services alternatifs. Des solutions et des espaces comme NextCloud ou Mastodon. Cela a provoqué un déclic et j’ai commencé à suivre tout un tas de personnes actives dans ce domaine. Tout d’abord les gens qui gravitaient autour de Framasoft et par extension plus largement les personnes issues du milieu du logiciel libre comme par exemple les membres du réseau des Chatons. J’ai commencé à travailler avec Neutrinet et de fil en aiguille j’ai connu Abelli dont je suis devenue membre. j’ai eu une proposition de Tactic pour travailler à la Maison de la Paix. Cela ne se résume pas au seul aspect technique. J’organise des séances d’information, des accompagnements. Je donne des formations NextCloud à des associations et des collectifs que Tactic accompagne dans l’usage du libre. Tout cela est venu de concert. Au fur et à mesure, je suis devenue de plus en plus passionnée par la question de la décentralisation, avec de plus en plus l’envie de faire des choses.»
Un chaton féministe
« A l’époque j’avais été sur Unixcorm, un chaton de l’époque par une personne qui était de militance féministe, anti transphobie. Je me reconnaissais dans cet esprit du libre, dans les services proposés comme NextCloud, sous-tendus par des valeurs et une charte. Malheureusement, à un moment donné, ce Chaton s’est arrêté. J’ai cherché une autre instance. Je connaissais HGO et j’ai migré sur l’instance du Parti pirate où je suis toujours même si j’ai aussi un compte sur tchafia.be, une instance wallonne belge francophone. C’est un peu comme cela que j’ai eu envie de m’essayer à la pratique. A côté de mon abonnement chez Nubo, j’ai mes propres serveurs et mes propres services Web, notamment un espace NextCloud. J’ai l’usage du Cloud de Nubo mais j’ai aussi une instance NextCloud chez moi sur une Brique Internet. »
Digital militant
« Quand j’ai croisé Nubo, j’utilisais encore Facebook. Je pense que j’avais vu l’annonce pour la coopérative. J’avais trouvé l’idée super mais je ne me suis pas inscrite. J’étais en démarrage avec ma Brique Internet pour disposer de mon propre serveur. J’avais aussi un espace NextCloud bon marché et donc je ne voyais pas très bien comment intercaler Nubo. J’avais envie de me réapproprier mes données, de trouver des alternatives mais j’avais beaucoup moins de conscience de l’impact environnemental du numérique. Progressivement, notamment avec ma Brique Internet, un petit ordinateur très très basique, avec des performances réduites, j’ai pris conscience de ces enjeux auxquels Nubo réfléchissait. Je suis devenue coopératrice pour soutenir le projet. Si je paie le même prix pour 5 Go d’espace disque dans la coopérative que pour un Tera chez Hetzner, c’est parce que c’est pour moi une manière de fonctionner différemment. C’est un usage militant du numérique, c’est fonctionner dans un environnement où l’on interroge l’intérêt de stocker tel ou tel fichier en ligne plutôt qu’en local. »
Plus fiable que Google
J’utilise le NextCloud de Nubo en complémentarité du cloud de la brique. Je fais de la photo, régulièrement et je les partage. Sur ma brique c’est plus long : pour les fichiers un peu lourds et les documents collaboratifs, j’utilise les services cloud de Nubo. Outre l’aspect écologique il y le fait d’avoir ses outils, de s’approprier une technologie qui nous appartient. On n’a pas d’un côté les humains, de l’autre la technique, on construit mutuellement. On est copropriétaire d’une infrastructure qu’on gère en commun et sur laquelle on a la main. A contrario, je songe à l’exemple classique des conditions d’utilisation des plates-formes propriétaires qui peuvent changer du jour au lendemain. Et puis il y a ce qu’on appelle l’IA. De plus en plus, ces environnements sont gérés par des robots. La modération s’effectue via des algorithmes qui parfois se trompent. On voit des personnes qui perdent accès à leurs données, à leurs fichiers, à ce qu’elles ont hébergé. Ce parce que l’algorithme a décidé qu’elles ne respectaient pas les conditions d’utilisation. Si Google décide de fermer ses services, on n’a plus rien. Si Nubo décide de fermer, les protocoles sont interopérables avec d’autres services. Donc, on peut migrer ces données relativement aisément. On peut avoir un autre prestataire qui assure le même service. »
Circuit court
« Bien sûr, côté utilisatrice ou utilisateur, on va avoir moins d’espace de stockage. On va avoir quelque chose qui fonctionne de manière apparemment moins performante, qui est moins rapide. Et donc, il y a aussi, pour moi, dans cette démarche-là, une certaine décroissance numérique. C’est pour cela que j’apprécie le fait que les abonnements de Nubo soient quand même payants et ne donnent pas accès un monceau d’espace incroyable. Parce qu’en fait, derrière, il y a des serveurs, de l’énergie, un réseau. En réalité, on est très peu conscient que dans des interfaces comme celle de Google, il y a six serveurs qui répondent aux requêtes pour afficher l’information le plus rapidement possible. Cette vitesse a un coût : on se trouve en face d’infrastructures qui sont très polluantes. Des initiatives comme Nubo permettent de rentrer dans une démarche de décroissance, un peu comme quand on commence à avoir envie d’acheter des légumes un peu plus bio, un peu plus locaux, éventuellement de s’investir dans une structure comme un GASAP qui nous met en lien avec les productrices. Ici, bien sûr, c’est du numérique et donc par définition jamais vraiment vert mais il y a une relation de proximité qui peut se construire. On est en lien avec les personnes qui mettent en œuvre les services. On est en contact avec les autres utilisatrices et utilisateurs via l’Agora. Nubo forme une communauté! »
Prendre le temps du low tech
Ce qui est difficile quand on passe à des outils comme ceux de Nubo, c’est de changer ses habitudes mais c’est aussi de passer d’une interface où tout a été intégré à un environnement à composants multiples. Google propose un éco système complet et rapide. Nous sommes habitués à une interface identique sur son téléphone, sur son ordinateur, le tout de manière super intégrée et super fluide. On fait une modification de son calendrier sur l’ordinateur et cela va tout de suite apparaître sur son téléphone et vice versa. Quand on utilise du logiciel libre, on doit se réapproprier aussi le fait que tous ces composants fonctionnent sur base de protocoles distincts. Si on met un rendez-vous dans son téléphone, ça va prendre un peu de temps jusqu’à ce que cela se synchronise dans le cloud et sur le logiciel client dans son ordinateur. Il faut parfois un quart d’heure. Parfois, il y a des personnes qui ne comprennent pas, qui croient que ça ne marche pas, alors qu’en réalité, ça marche. Mais on est dans une démarche un peu plus lente où les choses doivent s’articuler. »
Quand le facteur lit votre courrier
Il y a aussi l’énorme enjeu de la collecte et la confidentialité des données. Lorsque l’on rédige un courrier dans Gmail, tous nos propos sont scannés. Certaines personnes ont le réflexe : «Je n’ai rien à cacher. » Mais je pense que si on apprenait que la Poste ouvrait toutes les lettres qui passent par ses services, en lisait le contenu, en gardait éventuellement une copie puis refermait l’enveloppe pour distribuer le courrier, là, cela choquerait beaucoup plus. Et c’est la même chose avec les documents, y compris parfois pièces personnelles comme une photocopie de sa carte d’identité un contrat de bail ou un document lié aux assurances qu’on mettrait dans son cloud. Tout cela est collecté dans le cadre du profiling et de la revente de données. C’est aussi quelque chose que les gens ont beaucoup de mal à concevoir parce qu’ils ont l’impression que c’est leur cloud à eux. En fait, il appartient à Google. Chez Nubo, on est co-propriétaire… »
« Utiliser les services de Nubo, opter pour des logiciels libres hébergés par une petite structure relève pour moi de la même démarche qu’acheter des légumes un peu plus bio, un peu plus locaux. »