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Le secteur de la lecture publique

 

Le réseau public de la lecture en Fédération Wallonie-Bruxelles

En Belgique, la Culture, dont la Lecture publique, est une compétence des Communautés. La Fédération Wallonie-Bruxelles compte 145 réseaux de bibliothèques, représentant plus de 500 implantations. Sur l’ensemble du territoire, on dénombre quelque 825 000 usagers, faisant de la Lecture publique le premier secteur culturel subventionné.

À l’origine, les conditions de reconnaissance (et donc de subventionnement) des institutions ont été fixées par la loi de 1921, remplacées par le décret de 1978. Ce dernier a professionnalisé le secteur en imposant une série de normes pour l’obtention d’une reconnaissance (superficie, horaires d’ouverture, nombre d’inscrits, nombre de livres, etc.). L’offre s’est ainsi étoffée, sans toutefois prendre en compte de manière formelle la demande des publics. C’est essentiellement le quantitatif qui permettait d’évaluer les opérateurs. Dès 2007, le secteur a connu d’importantes évolutions, lesquelles ont fait écho aux nouveaux usages : animations en croissance, outils numériques en développement et nouvelles pratiques collectives en sont autant d’exemples. Dès lors, le secteur s’est lui-même repensé pour que la bibliothèque ne soit plus seulement un lieu de prêt mais aussi un véritable lieu de vie. Les missions des bibliothèques ont évolué pour se calquer sur les besoins des usagers.

Les textes législatifs ont accompagné les changements constatés, tout en refinançant enfin le secteur, parent pauvre depuis de nombreuses années. De cette manière, en 2009 est paru le décret relatif au développement des pratiques de lecture, suivi de son arrêté d’application en 2011. Concrètement, ce décret met désormais l’usager au cœur de l’activité des bibliothèques. Pour obtenir une reconnaissance, il faut rentrer un Plan quinquennal de développement de la lecture : d’abord une analyse préalable du territoire qui permet de mieux cerner les publics concernés et leurs attentes, ensuite des propositions d’actions spécifiques orientées vers des objectifs définis. En outre, cette réflexion se fait conjointement avec l’équipe de la bibliothèque, le pouvoir organisateur, les partenaires et les usagers. Il s’agit donc de donner du sens à l’action culturelle en vue de rencontrer les besoins (exprimés ou non) des habitants et de développer leurs pratiques langagières, en synergie avec les organisations du territoire.

Les premiers Plans ont été rentrés en 2011 et, tout comme les suivants, ont fait l’objet d’une vérification par l’Administration (Service de la Lecture publique), puis d’une instruction par l’Inspection de la Culture et l’instance d’avis Conseil des Bibliothèques publiques avant d’être agréés par la Minis-tre. Les reconnaissances sont désormais davantage basées sur des aspects qualitatifs que quantitatifs. De ce fait, on assiste à un passage de la « bibliothèque institution de prêt » à la « bibliothèque projet ». Une plus grande liberté est offerte aux opérateurs, lesquels choisissent leurs priorités et évaluent de manière continue leurs actions afin de les réajuster progressivement.

Au fur et à mesure de ces mutations, une véritable dynamique s’est construite dans le réseau de la Lecture publique, soutenue par le décret de 2009. Les projets mis en place au sein des institutions sont basés sur les besoins des publics ; une véritable cohérence de la démarche des bibliothèques publiques en rapport aux enjeux de la culture, de l’éducation permanente et de l’enseignement est constatée. De plus, la mutualisation a évolué po-sitivement et s’est accrue, d’une part à l’intérieur du secteur lui-même (par exemple le prêt interbibliothèque, les catalogues collectifs, la conservation partagée des périodiques, la plateforme de prêt de livres numériques Lirtuel, etc.), d’autre part en externe (notamment les partenariats avec les autres secteurs socio-culturels et éducatifs). Le décret a également permis l’engagement de personnel (y compris en informatique et en animation) pour mener à bien les plans de développement de la lecture. De la sorte, les bibliothèques sont devenues de réels pôles d’attractivité et les sollicitations de partenariats se sont considérablement étendues.

Le décret contient en lui-même sa propre obligation d’évaluation. Un processus réflexif est donc largement entamé qui collecte les avis, interprétations et commentaires détaillés des bibliothécaires de terrain sur l’évolution de leur métier depuis la mise en route de l’application du décret. Après cinq ans, on ne peut que constater que, malgré d’inévitables écueils qui exigent quelques ajustements, les bibliothèques ont globalement su s’adapter et profiter de la souplesse offerte par la nouvelle législation.

Mais aujourd’hui, le secteur s’inquiète face aux mesures d’austérité qui mettent à mal les avancées acquises.

 

L’actualité du secteur : flou et inquiétudes

Les difficultés financières de la Fédération Wallonie-Bru-xelles rejaillissent inévitablement sur les secteurs socioculturels, et particulièrement sur le secteur de la Lecture publique récemment refinancé. Comme cela a été souligné, les reconnaissances sont désormais basées sur la qualité des plans de développement, d’où un passage d’une logique dite « ponctuelle » à un système où un pécule est mis à disposition pour financer les activités de l’institution. Ce pécule a augmenté les budgets de manière considérable : depuis 2008, environ 700 000 € ont été ajoutés au budget chaque année pour financer les nouvelles reconnaissances. Les bibliothèques ont bien sûr été nombreuses depuis 2011 à solliciter leur reconnaissance, mais ce qui n’était pas prévu dans les budgets prévisionnels, c’est que ces mêmes bibliothèques obtiendraient des catégories de subventions élevées. Effectivement, 4 catégories de reconnaissance sont prévues par le décret, et beaucoup d’opérateurs ont obtenu une catégorie supérieure aux estimations de la Fédération. Les premières difficultés budgétaires se sont donc fait ressentir dès l’année 2014, mais le report à 6 mois des nouvelles reconnaissances a permis de temporiser la situation.

Aujourd’hui, en 2015, il ne semble plus possible de mettre en place d’autres stratagèmes pour maintenir les subventions prévues. Le décret-programme voté fin juin accompagne l’ajustement du budget 2015 de la Communauté française et impacte les acteurs socioculturels dans leur ensemble. Pour le secteur de la Lecture publique, le décret-programme applique la logique d’enveloppe fermée sur 2 ans et diminue de 1 % les subventions de fonctionnement. De plus, le Service de la Lecture publique s’est vu obligé de recalculer lui aussi les subventions accordées aux opérateurs, et de les diminuer non pas de 1 % comme prévu dans le décret-programme mais de 19 %. En outre, l’augmentation de subsides prévue par le décret en cas d’accroissement de la population n’est plus d’application et les paliers de progression, déjà institués pour réduire les subsides de fonctionnement sur une échelle de 60 à 100 % en 5 ans, restent bloqués au niveau atteint par chacun en 2014. Les subventions liées aux traitements ne sont quant à elles pas touchées, même si dans la pratique l’emploi est touché : une partie des subventions de fonctionnement était bien souvent dédiée à l’engagement de personnel supplémentaire.

Le suivi des reconnaissances est également bloqué. Les bibliothèques dont le Plan de développement arrivait à son terme voient leur reconnaissance prolongée de deux ans, puis de un an et de 6 mois pour les trains de reconnaissance suivants. Par ailleurs, les 22 bibliothèques qui avaient rentré leur dossier en 2014 pour une reconnaissance en 2015 ne l’ont pas obtenue, et 18 nouveaux dossiers rentrés en mars 2015 sont en suspens, bien que le Conseil des Bibliothèques publiques poursuive leur instruction.

L’inquiétude est donc grande au sein de la profession et les opérateurs se voient fragilisés par ces réductions de moyens qui risquent de remettre en question toute la dynamique qui s’était progressivement mise en place. Certes, le discours commun prône le souhait du maintien de cette dynamique. Mais au-delà de considérations intellectuelles, le secteur se demande comment, dans les faits, le Gouvernement va faire pour répondre à cet idéal.

Cette situation insécurisante s’est de plus accompagnée d’une communication presque inexistante durant le premier semestre 2015. Le secteur prenait connaissance des décisions parlementaires par le biais des comptes-rendus des commissions, et aucun dialogue n’était établi avec le politique. À l’heure actuelle, le secteur constate que des efforts considérables d’ouverture au dia-logue ont été entrepris, même s’ils ne suffisent pas à résoudre les maux de la Lecture publique et de ses partenaires.

 

Actions et revendications

En tant qu’association professionnelle, l’APBD s’est fait le relais des questionnements de ses membres, au même titre que son homologue, la FIBBC (Fédération Interdiocésaine des Bibliothécaires et Bibliothèques Catholiques). Deux démarches parallèles ont été entreprises.

D’une part, une plateforme de concertation s’est mise en place avec les acteurs socioculturels du territoire (centres culturels, centres d’expression et de créativité, musées wallons, éducation permanente, archives et bibliothèques publiques). Un état des lieux, secteur par secteur, a été établi et des enjeux partagés ont permis de définir une ligne d’action commune, notamment au niveau de la sensibilisation politique. Un premier rendez-vous collectif avec la Ministre a permis de faire entendre l’appel des secteurs et d’ouvrir le dialogue. Une politique en faveur de la Culture et du secteur non-marchand a été affirmée à cette occasion et un calendrier de réunions bimestrielles pour maintenir et renforcer le dialogue établi. Une solidarité forte s’est construite entre secteurs et des actions communes sont programmées. Les secteurs s’associent entre autres pour une valorisation de leurs professions auprès du politique et une réflexion large, notamment dans le cadre du processus de concertation participative Bouger les lignes.

D’autre part, le secteur de la Lecture publique (APBD, FIBBC et Conseil des Bibliothèques Publiques) s’est lui aussi concerté. Bien conscient que la logique de fonctionnement en enveloppe fermée est quasiment inévitable, il souhaite en effet que des processus soient concrètement mis en place pour que les opérateurs ne souffrent pas et que les publics continuent de bénéficier d’un service de qualité. Il a été entendu à deux reprises au cabinet de la Ministre. La seconde rencontre a mis en présence début juillet l’APBD, la FIBBC, le Service de la Lecture publique (Admini-stration de la FWB) et la Ministre elle-même. Ces contacts ont permis d’obtenir des éclaircissements sur les perspectives des deux prochaines années et sur la diminution des subventions de fonctionnement et, en particulier, une promesse de revenir en 2016 à des réductions largement inférieures aux 19 % de 2015. À la demande des deux associations, la Ministre a coulé l’ensemble de ces informations et engagements dans un courrier qu’elle a adressé fin juillet à tous les opérateurs de lecture publique.


Par ailleurs, les deux associations ont rappelé à la Ministre que les bibliothèques représentent des partenaires privilégiés dans le cadre du Plan Lecture voire de son projet d’encadrement pédagogique alternatif pour les élèves dispensés de cours philosophiques.

Aujourd’hui, d’une part, les rencontres entre associations des différents secteurs socio-culturels se poursuivent afin maintenir la pression ; d’autre part, le calendrier de ré-unions bimestrielles – communes et sectorielles – établi avec la Ministre devrait permettre de cultiver des relations constructives, d’échanger des informations et de chercher ensemble les moins mauvaises solutions. Il est donc difficile de mettre un point final à nos propos…