Une part énorme et toujours en croissance… C’est un secteur dans lequel on trouve beaucoup de travailleurs indépendants ayant l’esprit coopératif, sans doute parce que la nécessité crée la solidarité. Il ne faut pas se cacher que les maraichers, par exemple, sont des travailleurs pauvres, même s’ils n’aiment pas qu’on le dise. Ils ont donc tout intérêt à se structurer, à pro-duire des économies d’échelle et à créer des outils communs pour les récoltes, les ventes, le stockage. Avec l’avantage qu’il est devenu assez aisé de sensibiliser et de mobiliser les consommateurs autour de ces projets de circuits courts ou de qualité bio. Ce qui n’était pas le cas du tout il y a encore dix ans. Ce sont vraiment des mouvements qui vivent une accélération fulgurante.
P.H. : Nous en avions parlé dans le dossier articulations n°71, Sur la route du politique (Secouez-vous les idées n°112). Lors des marches des territoires de 2016, nous avions, au fil des étapes, constitué une charte en quatre points, une sorte de vade-mecum de ce qu’il faut pour réussir une lutte territoriale. J’aimerais les confronter à l’idée coopérative. Premier principe : « Aucune lutte ne peut se gagner si on ne proclame pas dès le départ qu’on va la remporter ».F.M. : Je me suis déjà demandé effectivement si l’idée coopérative n’était pas une sorte de combat de désespérés. Quelque chose que l’on engage pour le panache… Mais en même temps, ce qui est frappant lorsque l’on rencontre des Espagnols ou des Italiens qui ont créé des secteurs coopératifs dans des périodes de grandes difficultés économiques, c’est qu’ils ont ramené l’idée à un combat que l’on peut gagner. On ne va pas vaincre le reste du monde, on ne va pas vaincre le capitalisme. Pas comme ça. On est beaucoup à espérer le vaincre un jour, mais on ne va pas le vaincre comme ça, en l’at-taquant de front. Par contre, moi, dans l’entreprise où je travaille, même si le capitalisme ne le sent pas, en tout cas je peux -pour moi- vivre autrement. Je peux m’en affranchir, et ce combat-là, je peux le gagner, il m’est accessible. Là, clairement, le fait de dire : « On va peut-être faire une coopérative de village », ça ne marche pas. Il faut dire : « On VA faire une coopérative, et jusqu’au moment où ça foire, il faut qu’on y croie ». Si on n’avance que d’un orteil en attendant de voir s’il y a du vent ou s’il ne fait pas trop froid, on n’y arrive jamais…
P.H. : Deuxième principe: « Aucune lutte ne peut se gagner sans que l’on constitue ses propres contre-dispositifs, que l’on construise ses propres dossiers, que l’on fournisse ses propres analyses et que l’on bâtisse son propre récit ».
F.M. : Le boulot que l’on fait chez Propage-s, c’est exactement ça. L’appellation officielle, c’est de la structuration de projet, mais finalement, cela se ramène à cela : « Est-ce qu’on s’est vraiment réuni pour faire quelque chose ensemble ? Est-ce qu’on est tous d’accord sur le projet qu’on veut mener, sur les étapes qu’il y a à faire, est-ce qu’on se les est distribuées, est-ce qu’on raconte la même histoire, et est-ce qu’on a des rôles qui sont bien clairs pour les uns et les autres ? ».
P.H. : Le troisième article : « Aucune lutte ne peut se gagner sans traverser au moins un moment d’illégalité ».
F.M. : Les coopératives, c’est une guérilla politique parce que c’est faire les choses autrement, et que glo-balement, même dans le nouveau code des sociétés, rien n’est taillé pour que les coopératives existent. Par exemple, le statut d’indépendant pour les administrateurs ça ne colle pas avec les coopératives citoyennes et les coopératives de travailleurs. La fiscalité n’est pas prévue pour. On pourrait tirer une liste comme le bras de choses qui ne sont pas en accord avec la façon dont on veut fonctionner. Et si je n’encourage pas les gens à être illégaux, je pense en revanche qu’il est nécessaire d’être « para-légaux ».
P.H. : Quatrième et dernier point : « Aucune lutte ne peut se gagner si elle n’est pas appropriée par d’autres acteurs que celles et ceux qui l’ont décidée. »
F.M. : C’est presque la question de l’œuf ou de la poule ! Si je rapporte ce principe au coopératif, le constat que nous faisons c’est que, quelle que soit la validité de son intuition, un porteur de projet qui ne disposerait pas d’une masse critique de gens qui partagent son idée et qui peuvent sensibiliser autour d’eux porterait un projet mort. D’autre part, et c’est l’essence même de l’idée, les coopératives existent pour répondre aux besoins d’un collectif. On ne va pas chercher le collectif après avoir eu l’idée… Et je dirais donc que c’est un peu l’inverse de ce quatrième principe : la naissance d’une coopérative part souvent d’un besoin qui a déjà été identifié et dont tout le monde a déjà fait le constat. Et puis, une, deux, trois ou dix personnes se décident et disent : « Maintenant on va arrêter de se dire qu’il faudrait, et on va le faire ». Ce ne sont donc pas des gens qui décident d’engager une lutte mais qui reconnaissent un objet « déjà là » et qui s’en saisissent. C’est pourquoi je parlais de l’œuf ou de la poule. Chez Propage-s, nous avons tendance à dire que dans un bon projet de coopérative, il y a d’abord l’œuf. Il n’y a pas d’abord la poule. Si je ponds un truc, et même s’il est bien, c’est moi qui l’ai pondu et ce n’est pas pour ça qu’il est beau pour tout le monde. Mais si l’idée est dans l’œuf, tout est à faire : le faire éclore, le faire grandir, le faire vivre.