Des envies et des émergences citoyennes vers une volonté politique
Petit aperçu de notre cheminement depuis plus de 40 ans ! Le réseau des Centres d’Expression et de Créativité, dit CEC, existe officiellement depuis 1976. Année, où une première reconnaissance officielle de la Communauté française par un subventionnement articulé autour de la production d’ateliers et du nombre de participants, a concrétisé des initiatives individuelles, souvent d’artistes, de la pratique artistique par des amateurs. Une volonté politique donc, d’assurer à la po-pulation le droit à la participation culturelle en lien avec son environnement et les pratiques artistiques de son temps.
Les CEC ont émergé à la suite de cette prise de conscience : la diffusion des Beaux-arts ne suffisait pas, il fallait amener la culture jusqu’aux populations – qui plus est, il fallait faire de la population un acteur de la culture plutôt que seulement un récepteur –. Partout en Wallonie et à Bruxelles, les CEC se sont développés comme étant des acteurs-clés de la citoyenneté et de l’émancipation aux travers de la pratique artistique et des démarches créatives. Ils font partie de ces opérateurs qui font vivre et donnent de la valeur à une région. Ils font entièrement partie du paysage socioculturel et sont reconnus comme tels. Dans le climat de clivage social et philosophique que nous subissons, ils représentent des organismes autour et par lesquels il est encore possible de se réunir…
En 2001, le gouvernement a eu la volonté de légiférer sur l’objet, les missions et les pratiques du secteur. Le souhait est d’assurer une sécurité juridique, financière et d’emploi à ces 156 structures socioculturelles déjà existantes. Après quelques années de concertation et de négociations, un décret pour la reconnaissance et le subventionnement des Centres d’Expression et de Créativité ainsi que des Fédérations en pratiques artistiques en amateur est voté en avril 2009. Ses arrêtés d’application ne suivront que bien plus tard… la crise économique de 2008 étant passée par là, le gouvernement en place décide de ne pas doter les CEC de moyens supplémentaires !
Ce décret bicéphale concerne donc trois types de structures. Premièrement, les CEC, ce sont des asbl proposant un travail d’articulation d’expression artistique et d’expression citoyenne à destination de tout un chacun : de l’enfant en bas âge à la personne âgée, habitants d’une rue, d’un quartier, d’un village, d’une ville et d’une région… souffrant ou non d’une situation d’handicap physique, mental ou d’une précarité sociale et/ou financière. Cela se traduit concrètement par des ateliers hebdomadaires, des stages ou encore des projets socio-artistiques tout au long de l’année, principalement en dehors du champ scolaire, et en partenariat avec des orga-nismes culturels et sociaux (centres culturels, bibliothèques, maisons de jeunes, académies, CPAS, maisons d’accueil, centres pour réfugiés, universités, écoles, plans de cohésion sociale, plannings familiaux…). Deuxièmement, il décrit les missions des fédérations représentatives des CEC. Celles-ci doivent défendre les intérêts des CEC auprès des pouvoirs et institutions publiques, proposer des informations, des formations et du soutien juridique, valoriser le secteur et favoriser sa mise en réseau. Actuellement, il n’existe qu’une seule fédération représentative : la Fédération Pluraliste des Centres
d’Expression et de Créativité. Pour finir, le décret définit les missions des Fédérations en pratiques artistiques amateur, qui dans votre quotidien, se traduisent par le financement d’initiatives telles que des chorales, des fanfares…
D’une volonté politique vers une concrétisation… nébuleuse !
Avril 2014, les arrêtés d’application sont enfin adoptés, enclenchant ainsi la procédure de reconnaissance telle une vieille aspiration presque oubliée. Les CEC et les Fédérations en pratiques artistiques en amateur se mobilisent, tant dans les associations qu’au niveau de leurs représentants au sein de la Commission d’Avis. Les délais sont courts, en effet, entre l’annonce de l’application du décret et la première échéance de remise des dossiers, il n’y a que deux mois de délai, mais le défi est mobilisateur et les associations répondent présentes.
Dès le 6 juin 2014, les premiers dossiers de reconnaissances sont introduits et analysés suivant le calendrier prescrit. La Commission d’Avis soumet ses recommandations à Madame Milquet, Ministre de l’Education, de la Culture et de l’Enfance, en novembre 2014. Il ne lui reste qu’à prendre sa décision sur la reconnaissance ou non des dossiers examinés et en informer les différentes associations concernées. Toutes sont encore en attente… depuis le 24 décembre 2014, date limite légale ! Et en attendant, une seconde possibilité de dépôt des dossiers, fin février de cette année, a été clôturée dans les délais légaux. Un signe positif ? Une vraie volonté de reconnaître le travail fourni depuis plus de 40 ans ?
Aucune information officielle n’est émise sur ce retard et sur les intentions réelles de la Ministre. Dans le même temps, le gel complet des décrets des Centres culturels, de la Lecture publique et celui, nous concernant, de la Créativité est annoncé par des voies dérivées… Nous ne sommes pas seuls, malheureusement. L’incertitude persiste sur le secteur socioculturel tout entier !
Le 8 juin dernier, le Cabinet nous informe (enfin !) que la volonté est une application du décret à moyens constants. L’enveloppe budgétaire destinée aux CEC et aux fédérations en pratiques artistiques en amateur restera fermée. Il sera donc envisa-geable de reconnaitre les structures répondant aux critères qualitatifs et quantitatifs du décret, sur leur demande, sans augmenter leurs subventions actuelles. Ils restent plafonnés aux moyens déterminés en 2008… pour effectuer un travail bien plus exigeant et faire face aux hausses des coûts de la vie d’une asbl, les rémunérations entre autre. Par contre, il serait impossible pour les structures qui n’ont pas été précédemment reconnue en tant que CEC, d’être effectivement reconnues comme tel ! Le secteur ne peut donc pas évoluer financièrement, par cette décision de travailler en enveloppe fermée, ni diversifier les organismes qui le composent.
Suite à cette décision ministérielle, les CEC ont réitéré leur désaccord sur cette forme d’application pour plusieurs raisons. En effet, concernant les politiques culturelles, cette application en demi-teinte revient à s’attaquer à la démocratie culturelle, garante de la participation de tout un chacun à la culture, à risquer de perdre un outil d’expression et de citoyenneté, à mettre à mal des méthodologies de travail utilisées qui privilégient le long terme et favorisent l’émergence des besoins de son territoire d’action et des populations touchées. De plus, cette décision risque d’endommager la crédibilité du secteur et donc de nuire aux collaborations et partenariats avec d’autres institutions et pouvoirs publics, de paralyser dix ans de réflexion ascendante pour concevoir une politique culturelle participative et démocratique et enfin d’appauvrir l’ensemble du secteur en refusant de nouvelles reconnaissances. En termes d’emploi, le risque est de freiner des débouchés professionnels pour les artistes, de décourager les travailleurs du secteur voire malheureusement, et c’est déjà le cas dans différentes structures, de perdre des emplois.
La Culture, une démarche transversale et collective
Les acteurs de terrain vivent très mal cette absence de communication, cette perception de « sans avenir » et cette déconsidération généralisée ( ?) de leur travail : les efforts induits en termes de méthodologies, de personnels engagés, de matériels investis, de contrats passés avec des partenaires publics et privés, de restructurations institutionnelles… pour au final, ne pas obtenir les moyens convenus et nécessaires à la pérennisation de leurs actions. La question est posée : que veut-on faire de la Culture ? Quelle place effective a-t-elle dans notre Société ? Quelle place effective souhaitons-nous lui donner ?
Le secteur est inquiet d’entendre certaines distorsions de certains responsables politiques sur ce que devrait-être la Culture dans notre démocratie. Elle ne peut, à la fois, être réduite à un simple divertissement construit autour d’un marketing plus ou moins sophistiqué pour devenir un produit « mode », qui devient alors « rentable » au sens du nombre de spectateurs et/ou de la visibilité communicationnelle qu’il engendre. A l’inverse, la Culture ne peut être, également, réduite à un outil curatif et ainsi pallier à toutes les injustices des systèmes sociaux et des inégalités dont souffrent les po-pulations. La Culture, c’est la pratique de la démocratie dans le sens d’être un acteur dans sa cité au service de celle-ci. Pour cela, les institutions socioculturelles proposent différentes stratégies et méthodologies aux populations afin que chacun puisse, là où il est et avec ce qu’il est, observer, expérimenter, analyser, questionner, formuler, réinventer, mobiliser des éléments de notre société au travers, pour les CEC, de démarches créatives et artistiques. Cette notion de démocratie culturelle semble absente aujourd’hui dans les concertations avec les pouvoirs publics. Sur le discours, ils sont d’accord. Sur les réalités de terrain que cela engendre et les moyens que cela suppose, nous divergeons !
De plus, chaque responsable politique dans sa compétence, à son niveau de pouvoir et avec le contexte actuel de restriction budgétaire, s’emploie à réduire les coûts. Chacun impose ses mesures, entre autre, en restructurant des aides à l’emploi, diminuant certaines subventions, resserrant les critères d’éligibilité des appels à projet ou d’accès à des subventions, centrant certaines politiques sur des publics de plus en plus spécifiques… Les associations font donc face à des incohérences politiques entre les différents niveaux de pouvoirs, une augmentation du travail administratif et justificatif qui n’est pas financé par les subventions elles-mêmes, une multiplication de nouvelles règlementations, une addition de diminution de moyens financiers, pour certains jusqu’à 18 %, une frilosité des différents partenaires financiers publics ou privés à « miser » seul sur un projet, une augmentation des appels à projet pour des actions très spécifiques, ponctuelles et à court terme. Ces additions de restrictions et d’augmentation de travail administratif coupent littéralement les possibilités des associations de pérenniser leur action. Elles en sont à développer des stratégies de survie depuis quelques années. Si les politiques ne prennent pas en compte la portée transversale de leurs différentes politiques, le secteur du socioculturel risque fort de s’écrouler dans un avenir (si l’on peut dire) fort proche !
C’est autour de ce questionnement et dans ce contexte d’intenses incertitudes que la Fédération Pluraliste des Centres d’Expression et de Créativité a initié avec l’Association des Centres culturels un regroupement de différentes organisations représentatives des secteurs concernés (les Centres culturels, les Bibliothèques publiques, l’Education permanente, les Centres d’Expression et de Créativité, les Programmateurs et les Musées). Notre volonté est d’alerter les responsables politiques du mal-être du socioculturel, la nécessité d’une concertation sereine entre les organisations représentatives et le Cabinet, de la nécessité de penser les politiques de manière transversale afin d’asseoir une politique culturelle forte à tous les niveaux de pouvoir. Dans ce contexte, nous soulignons également l’importance de res-tructurer de façon claire, pertinente, transparente et efficace le processus Bouger les lignes, pour « tracer les politiques culturelles du XXIème siècle » dans le cadre d’une démarche participative. Cette coupole intersectorielle a été reçue par la Ministre, le 15 juin dernier. Le dialogue est amorcé. Certaines avancées ont pu avoir lieu. Nous restons néanmoins extrêmement vigilants à la fois sur nos revendications collectives et sectorielles.
Notre démarche intersectorielle est volontairement solidaire et collective : notre mal-être est commun et les enjeux de la démocratie au centre de nos convictions ! Nous sommes créativité, nous sommes citoyenneté, nous sommes acteurs socioculturels et nous travaillons au quotidien à la liberté d’expression et à la démocratie culturelle !