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Low-tech : pour une écologie de la demande

par Jean-Luc Manise

Marc, marié, 64 ans est le premier abonné historique de la coopérative Nubo qui propose des services mails éthiques et locaux. Nubo compte pour l’instant 704 abonnées et abonnés et plus de 1000 coopératices et coopérateurs en Belgique.

Un modèle industriel unique en Belgique

Le modèle de la coopérative est unique en Belgique. Il n’existait pas jusque là d’hébergeur alternatif dont le modèle économique est basé sur le mode coopératif. Son originalité : Nubo respecte la vie privée et la liberté d’expression. Elle refuse la publicité, le pistage, le profilage, le filtrage, le ciblage… Elle n’utilise pas les données personnelles à ces fins et ne les cède ou les revend pas. La coopérative sensibilise et informe sur les enjeux du numérique et ses effets sur la société et les individus. Son ambition Rendre le contrôle du numérique aux utilisateurs et utilisatrices.

Soutien à l’émancipation technique

Les services proposés ou développés le sont sur les critères suivants : leur simplicité (ils sont faciles d’utilisation), leur efficacité (ils respectent un bon rapport qualité / prix), leur intégration (les accès et les configurations ne sont pas plus complexes que nécessaire), leur nomadisme (ils peuvent être utilisés sur plusieurs appareils de types différents) et leur documentation (elle est accessible et compréhensible).

Contribution à un l’internet libre, ouvertn, neutre et décentraliser conforme aux valeurs de l’éducation permanente

Nubo soutient et participe à la construction et au maintien d’un internet libre, ouvert, neutre et décentralisé. La coopérative documente son fonctionnement technique et facilite les migrations de ses utilisatrices et utilisateurs (importation et exportation des données, changement de prestataires). Elle apporte son soutien et son concours aux initiatives similaires existantes et en devenir ; elle préfère la multiplication des offres éthiques au monopole. Les services de Nubo reposent sur des logiciels libres, des formats ouverts et des protocoles standards. Les logiciels libres sont la pierre angulaire du projet, ils représentent un bien commun à protéger et à entretenir. La coopérative y contribue et reverse à la collectivité une partie des bénéfices dégagés (financements, soutiens, développements…).

Une écologie de la demande plutôt que de l’offre

Voilà pour le contexte et pour les raisons de l’engagement de Marc dans la coopérative. Informaticien de métier, il est engagé dans les low-tech. « L’éolien ou le photovoltaïque, contrairement à ce qu’on dit, ne sont pas renouvelables au niveau de la matière première, des métaux, des panneaux et du béton. A une écologie de l’offre, je préfère une écologie de la demande. Dans cette perspective là, le low-tech me semble être une bonne approche avec laquelle le projet Nubo pour une informatique plus économe et citoyenne cadre bien. »

Procédures peu gourmandes en énergie

Marc : « Mon dada, dans les usages quotidiens, c’est de consommer un minimum d’énergie. Le projet NegaWatt est intéressant en ce sens. Il montre comment on peut réduire facilement sa consommation sans faire trop de sacrifice. Nous arrivons ainsi avec mon épouse à 1400 Kw par an, alors que la moyenne en Wallonie est de 2500 Kw par ménage. » Lorsque le projet de Nubo a commencé à prendre forme, Marc était aux premières loges. « J’ai habitué Bruxelles jusqu’en 2018. Je connaissais Agnez et Kenny. On était dans un jardin collectif à Schaerbeek. Ma participation dans Nubo s’est faite de façon très naturelle au vu de ses spécificités. Tout d’abord, toute l’infrastructure est basée sur des logiciels libres et les structures fondatrices ont privilégié des procédures peu gourmandes en énergie. Je me souviens de débats entre l’équipe technique et les futurs utilisateurs sur l’impact de la diminution de la puissance des serveurs et leur disponibilité. L’objectif : atteindre un niveau de service acceptable tout en limitant au maximum l’impact écologique. C’est important d’avoir quelque chose de local, une petite infrastructure adaptée à mes besoins.»

Pour un wiki associé au Cloud

Le retour au niveau des services ? « Je suis un peu frustré de ne pas avoir de wiki ni de repository git mais je vois que les développeurs travaillent sur d’autres priorités. Il faut du temps pour développer ce type d’infrastructure. Peut être aussi une augmentation de la taille de la boîte mail ? Mais c’est bien aussi de prendre l’habitude de nettoyer sa messagerie. C’est assez bénéfique. Cela force à s’interroger sur les courriers importants à conserver. Je n’utilise pas les services de synchronisation. Ni le calendrier. Avec ma femme, on préfère l’agenda papier dans la cuisine. Sur le Cloud, je stocke mes documents et je partage mes photos. Cela fonctionne très bien. Encore une fois, ce serait chouette s’il y avait un wiki associé, ce serait une réelle valeur ajoutée. J’en utilise un depuis une vingtaine d’années. Je fais partie d’un groupe low-tech chez Nature et Progrès. J’ai pas mal de textes et je les partage via le wiki. Je viens de faire l’acquisition d’un NAS et j’ambitionne de l’y placer, toujours pour le partager avec d’autres. Maintenant, je pense que le livre reste le meilleur moyen de trouver l’information. Je suis membre de l’ACM, Association for Computer Machinery. Ils font régulièrement un test pour voir quels sont les meilleurs moyens de stocker et surtout d’accéder à l’information. Le livre arrive toujours en tête de liste quand on veut une information approfondie. »

Pas facile de changer d’habitude

Des freins à l’utilisation de Nubo ? «La première difficulté, c’est le changement d’adresse, le changement d’habitude. Je continue à avoir un adresse yahoo pour tout ce qui est commercial. Ils ont trouvé un nouveau truc : de la publicité dans le corps de votre mail. Si vous êtes distrait, vous cliquez dessus machinalement. J’ai aussi une boîte Gmail, que je n’utilise jamais. Sur Nubo, je n’ai que mes contacts propres. Je dois dire qu’il y an pratiquement pas de pourriels. C’est vraiment une adresse propre. C’est très calme comme environnement ! La seconde difficulté, c’est le prix. Lorsque je parle de la coopérative dans mon village, l’aspect payant est souvent rébarbatif Les gens ne sont pas trop dérangés par la pub. »

Protection des données

Cela peut changer ? « La question de la protection des données personnelles arrive de plus en plus sur le devant de la scène. On est de plus en plus conscient que les données sont de la matière première. Vous connaissez le livre de Shoshana Zuboff sur le capitalisme de surveillance. J’ai vu sur Arte une émission où l’on voit qu’à partir des données communiquées par une montre connectée, on arrive à faire un profil psychologique d’une personne avec un succès quand même de 85 % Et maintenant on met ces capteurs sur les voitures. Il y a des senseurs un peu partout qui communiquent encore plus d’informations qui vont permettre de caractériser votre style de conduite et donc d’établir un profil. C’est absolument déconnecté des nécessités techniques de la conduite. Quand vous achetez une voiture vous autorisez le constructeur à collecter ces informations et à en faire ce qu’il veut. Il devient clair que ces collectes ont une logique marchande. »

Alimenter la machine

« Des gens comme Trump ou chez nous un parti comme le Vlaams Belang font un usage intensif de ces services de revente qui coûtent assez cher. C’est pour cela que Trump passe 3 fois dans certains Etats et pas du tout dans d’autres. Il sait très bien où il doit aller, ce qu’il doit dire. Les agences lui disent : voilà, après votre passage, il y eu telle réaction, tel mot clé est revenu x fois. Le Vlaams belang fait exactement la même chose. 500.000 € pour un petit parti, un petit pays comme la Belgique c’est gigantesque. Ce n’est pas pour poster les choses sur les réseaux sociaux. C’est pour obtenir des informations, les fréquences de mot clés, les fréquences de sujets et de topic par région, par catégorie professionnelle. Pas besoin de votre nom. Il suffit qu’on connaisse votre date de naissance et votre adresse. Je crois que maintenant les gens sont plus conscients de cela. Peut être que cela pourrait être un ressort. Est ce que vous voulez alimenter cette machine qui quelque part nous dirige, qui fait que des tendances avec lesquelles on n’est pas d’accord sont imprimées à la société ?