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Parce qu’on regarde dans la même direction

L’Education Permanente : c’est quoi encore ?

Juin 2016. Je suis en train de boucler du texte pour un photographe belge. Des phrases qui plantent le décor, qui illustrent une démarche. C’est ce que je fais, j’aide les artistes à mettre des mots sur leur travail. Je reçois un mail : le CESEP voudrait me rencontrer.Que font-ils au CESEP ? De l’Education Permanente. Deux mots simples. Faciles à comprendre. Pourtant, je vacille un peu, la notion est floue. Me revient en tête Franck Lepage. J’ai vu une de ses « Conférences gesticulées » un jour. Quatre heures de spectacle assise sur un banc de bois, suspendue à ses lèvres. Durant la première partie, Lepage présente la notion d’Education Populaire. Une idée essentielle, extraordinaire de logique. Telle qu’elle, ça donne ça : « A la libération, les horreurs de la guerre mondiale ont remis au goût du jour cette idée simple : la démocratie ne tombe pas du ciel, elle s’apprend et s’enseigne. Pour être durable, elle doit être choisie ; il faut donc que chacun puisse y réfléchir. L’instruction scolaire des enfants n’y suffit pas. »1Voilà, c’est ça l’Education Permanente. Ça doit être ça. Une éducation des gens, permanente car intervenant tout au long de la vie, à la différence de l’école, d’ailleurs. Une visée démocratique : des outils pour tous et tout le temps. Et là, juste derrière, l’idée de progrès social… et de démocratie.

Le CESEP et le Centre de la Gravure et de l’Image Imprimée

Dans son N°93, le Secouez-vous les Idées annonce clairement son intention de s’ouvrir aux artistes plasticiens afin d’offrir aux lecteurs un regard autre sur le monde. Après plusieurs collaborations réussies, le CESEP se tourne début 2016 vers le Centre de la Gravure et de l’Image Imprimée de La Louvière (CGII), afin d’établir un partenariat d’une année, portant sur quatre numéros. Il nous a semblé intéressant de tenter, dans ces colonnes, de comprendre en quoi cette collaboration était sensée pour une institution muséale, en l’occurrence, le CGII. Pour le savoir, nous avons rencontré trois de ses représentantes : Catherine de Braekeleer, directrice, Julie Scouflaire, attachée de presse et organisatrice du Prix de la Gravure, et Marie Van Bosterhaut, responsable de la mise en place des expositions. L’Art pour penser le monde En pleine guerre d’Espagne, Picasso réalise « Sueño y mentira de Franco ». Traduisez : « Songes et mensonges de Franco ». Il s’agit d’une série de gravures, des eaux-fortes sur papier, fractionnées en 9 cases. L’artiste y tourne le dictateur en ridicule. Pourquoi 9 cases ? Car ces gravures sont destinées à être découpées, puis vendues comme cartes postales au profit du Fonds de soutien pour l’Espagne Républicaine. Catherine de Braekeleer a fait, pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’acquisition de deux exemplaires de cette série en 2007. Au-delà de leur inestimable valeur artistique, elles semblent incarner le lien entre la création contemporaine et son implication dans l’actualité. L’art est un langage et toute création parle du temps qui l’a vue naître. L’artiste, par sa démarche fondée et formelle observe et interroge son monde, ses mondes ; du dehors comme du dedans. Au CGII, l’équipe assume pleinement un choix de thématiques d’expositions orienté vers le non-consensuel, le doute, la recherche. Les artistes sont là pour une raison, qui n’est jamais celle de mettre des images aux murs dira Catherine de Braekeleer. Questionner le monde, engendrer la discussion, voilà bien de quoi secouer les idées.

CGII : le cadre

Dans la foulée des grandes réformes de l’Etat, la jeune Communauté française fraîchement compétente en matière culturelle, décide d’une part de décentraliser la culture – entendons de la faire sortir de Bruxelles, et d’autre part d’œuvrer dans le sens d’une spécialisation des musées pour asseoir une plus grande efficacité de ces derniers, notamment pour la conservation des œuvres. Ainsi verra le jour, en 1988, le CGII de La Louvière. La Ville a un passé artistique bien ancré. Dynamique en matière de littérature et d’édition, c’est là qu’en 1957, André Balthazar et Pol Bury créent, dans la mouvance du mouvement CoBrA et du surréalisme belge, la revue et les éditions Daily Bûl qui publieront parmi d’autres Pol Bury, Christian Dotremont, Pierre Alechinsky, Achille Chavée, Folon ou Roland Topor… La Première mission du Centre de la Gravure sera la conservation des œuvres d’Etat et de celles acquises par la Communauté française. Dès 2002, le décret du 17 juillet relatif au subventionnement et à la reconnaissance des musées et autres institutions muséales définit le concept de musée comme « une institution permanente, sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte aux publics et qui fait des recherches concernant les témoins matériels et immatériels de l’homme et de son environnement, les acquiert, les conserve, les préserve, les communique et notamment les expose à des fins d’études, d’éducation et de délectation. » On le voit, tout musée subventionné a officiellement pour mission d’œuvrer par la culture et la transmission à l’épanouissement de la société. Dans ce cadre, il se pose en partenaire tout désigné de l’éducation. Mais qu’en est-il sur le terrain ? Le Centre de la Gravure et de l’Image Imprimée : des actes Le CGII organise de nombreuses expositions temporaires, monographiques et thématiques. Si beaucoup sont développées à La Louvière même, le Centre met également sur pied des événements internationaux, exportant ses collections. Il prête encore ses œuvres aux institutions du monde entier et développe des partenariats avec de nombreux autres musées et lieux culturels. La programmation même du Centre est impressionnante de diversité et il est intéressant de constater la véritable réflexion humaine et démocratique sous-jacente au calendrier proposé. En effet, les différentes expositions attirent au musée des publics socio-logiquement divers. En programmant simultanément une offre plus contemporaine et une autre plus classique, ou – comme c’est le cas dès février2, un art po-pulaire avec un autre plus intellectuel ou plus engagé, le Centre favorise les rencontres, les échanges, les confrontations de points de vue. Pour consolider cette richesse de perspectives, Catherine de Braekeleer insiste sur l’importance de s’entourer d’une équipe de collaborateurs issus de différentes générations, saluant au passage le travail de Marie Van Bosterhaut qui, avec la sensibilité de la génération suivante, programme avec talent les cultures (et contre-cultures) émergentes. Le service de médiation du Centre propose également un très vaste choix d’activités. Visites guidées, ateliers ouverts, stages, rencontres avec les artistes : une initiation à l’art comme aux techniques qui touche tous les publics. Alors, le CGII, un espace d’Education Permanente ? Catherine de Braekeleer sourit : Oui, sans aucun doute, nous travaillons au développement de la personne en donnant des clés d’accès à la culture comme vecteur de bien-être… c’est juste que nous n’en avons pas la reconnaissance officielle.

Le Prix de la Gravure

Un an après la création du Centre émerge entre pouvoirs subsidiants, acteurs de terrain et Conseil d’administration, l’idée d’un Prix récompensant la jeune gravure contemporaine. Ouvert aux 25-45 ans nés ou résidant en Belgique francophone, cet événement réunit un jury composé d’artistes internationaux, d’un président et d’un représentant de la Ministre de la Culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Après délibération, c’est ce dernier qui remet au lauréat la somme de 2500 €. Tous les candidats sélectionnés sont en outre exposés. Cette année, le Prix de la Gravure célèbre ses vingt-cinq ans. A l’occasion, le Centre a réuni les lauréats des 25 dernières années pour une exposition de leurs œuvres actuelles. Ce qui est intéressant, remarque Catherine de Braekeleer, c’est que tous les lauréats des années précédentes ont persévéré dans leur discipline ; aujourd’hui, tous sont des artistes reconnus… Ainsi, si l’on peut se dire que les jurys successifs ont vu juste, il semble également que le prix atteigne son objectif en termes de motivation et d’encouragement.

Neutralité et politique

Le CGII est l’un des quelques musées belges institué et organisé directement par la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui le subsidie principalement, notamment pour l’achat des œuvres qui enrichissent chaque année ses collections. La Ville de La Louvière intervient elle-aussi, d’abord par la mise à disposition des locaux et la prise en charge des frais liés au bâtiment, mais également – et Catherine de Braekeleer applaudit la politique volontariste de sa ville en matière culturelle – par l’octroi, chaque année, d’un budget pour l’acquisition de nouvelles estampes. Au confluent de ces institutions, on peut se demander de quelle indépendance jouit réellement le Centre. Nous avons beaucoup de liberté, souligne Mme de Braekeleer. Nous présentons nos projets et programmes chaque année au Conseil d’Administration ; parfois, il est utile d’argumenter, mais nous travaillons toujours en confiance. Pourtant, il n’est pas pour autant question de consensus, voire de neutralité. Tout est politique dès que l’on s’adresse au public, ajoute la directrice.

Secouez-vous les idées et CGII : le partenariat

Il est intéressant de constater que, lorsqu’on les interroge, ni les représentantes du CESEP, ni celles du CGII ne se souviennent précisément de la façon dont tout a commencé. Au CESEP, Claire Frédéric dira à propos du contact avec le CGII :  » les choses » se [passaient] bien. Quand on dit ça c’est à la fois le côté pratique, l’accueil, la com, les qualités de l’animatrice qui anime l’atelier, … mais c’est aussi un quelque chose de plus diffus, moins visible, une connivence idéologique, politique. Tout est dit ; on touche à l’idée même d’Education Permanente, ce vaste réseau dans lequel chacun apporte une part de soi, de son savoir et de son savoir-faire, pour repartir enrichi par la mise en commun. Au CGII, le partenariat séduit parce qu’il favorise la rencontre et l’ouverture, mais également car il rend aux œuvres imprimées leur vocation première : l’impression, l’édition, la diffusion. Il permet également la promotion des artistes candidats au Prix de la Gravure dont les créations seront intégrées au « Secouez-vous les idées ». Pour les jeunes créateurs, il s’agit d’un prolongement intéressant et beaucoup nous disent qu’ils en sont très satisfaits explique Julie Scouflaire. Alors, si c’était à refaire ? Ce serait oui, sans aucun doute, dans les mêmes conditions de confiance, ajoute-t-elle.

Un langage pour l’avenir

Parce qu’il faudra une bonne dose de créativité pour inventer la société de demain, l’Education Permanente trouve dans la culture et les arts un partenaire idéal. Parce qu’il doit évoluer avec son temps, voire devancer celui-ci, le musée, sous peine de se nécroser, a le devoir de rester au cœur du monde, et d’entretenir avec l’Homme d’aujourd’hui une double relation : l’entendre dans ce qu’il a à dire et l’aider à acquérir la langue pour le dire. Entre le Centre de la Gravure et de l’Image Imprimée et le CESEP, les langages distincts se sont entendus à merveille. Sans doute parce que les uns et les autres regardent dans la même direction. Celle de l’avenir. 1. Franck Lepage, L’Education Populaire, Monsieur, ils n’en ont pas voulu…, Inculture(s) 1, édition du Cerisier, 2007 (Théâtre). 2. Encore sous pression … Atelier Michael Woolworth, Paris, Concours d’Ima-ges Numériques et Concours d’affiches pour le Carnaval de La Louvière, CGII du 04/02 au 07/05/2017