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Posture de formateur et émancipation des apprenants

Par Myriam van der Brempt, formatrice et accompagnatrice d’équipes au Cesep

Il s’agit de l’objet même de l’éducation permanente : que tout le monde puisse apprendre de tout le monde. Que le pouvoir que donne le savoir soit exercé par tous et toutes. Et que l’égalité progresse. Voilà ce qui m’intéresse dans la question d’ « apprendre des apprenants ». Le contexte d’une formation d’adultes est particulièrement propice à faire vivre cela à tous, participants et formateur confondus. Voyons, jusque dans la pratique, comment faire.

Une fausse évidence

Apprendre des apprenants : à première vue, cela peut signifier apprendre par les apprenants, à partir d’eux, à leur sujet et à propos de mon métier de formatrice. Et en effet, pourquoi pas ? Ma pratique de formatrice s’ajustera sans doute d’autant mieux que ma connaissance des personnes que je forme sera plus fine et plus précise. Cela peut aussi vouloir dire apprendre ce que savent les apprenants : nous sommes tous différents, nous avons toujours à apprendre les uns des autres, à partir de toutes les situations de notre vie. Il n’y a pas de raison que la situation particulière qui me place dans le rôle de formatrice face à un groupe d’apprenants de différents horizons ne soit pas instructive pour moi aussi, intéressante pour mon évolution, révélatrice de ce que moi-même j’ai encore à apprendre. Une évidence à priori…
Cependant, apprendre des apprenants est une formule paradoxale. Le propre d’un paradoxe est d’obliger, justement, à aller au-delà de l’évidence. Dans ce cas-ci, la formule permet de bousculer quelques idées reçues et c’est là que cela devient vraiment intéressant.

L’enjeu : ébranler le modèle scolaire pour apprendre vraiment

S’il est possible d’apprendre des apprenants, cela indique vraisemblablement que :

  • L’image dévalorisée d’apprenants « faibles », peu qualifiés, peu formés, peu compétents, véhiculée par la société, est fausse. Ou plutôt : pour les décrire, il faut dire aussi qu’ils sont des adultes, baignés depuis l’enfance dans une ou plusieurs cultures et formés par toutes leurs expériences de vie. En particulier, nous savons tous que les difficultés de la vie nous obligent à explorer des chemins nouveaux, sources de nouveaux apprentissages.
  • Un certain nombre de savoirs et savoir-faire scolaires leur ont été inaccessibles jusque là, mais on n’apprend pas qu’à l’école. Plus même : une série de compétences nécessaires pour la vie ne s’apprennent pas à l’école et doivent s’apprendre dans la vie même.
  • L’école n’est donc pas un contexte idéal pour permettre à des adultes de se former pour la vie. Or, les situations de formation, de façon générale, ont fortement tendance à ressembler à l’école à de nombreux égards…

La question du rapport à l’école en formation demanderait à elle seule un long développement, mais il excèderait le cadre de cet article. Je me permets donc de livrer comme un postulat ma réflexion de départ : en formation d’adultes, même quand le formateur est animé des valeurs et des méthodes de l’éducation permanente, comme le sont les formateurs en alpha, le modèle scolaire est convoqué à la fois par l’ensemble des acteurs de la formation et par les paramètres de son organisation pratique. Autrement dit, des représentations et des souvenirs de l’école animent les apprenants eux-mêmes, qu’ils aient ou non fréquenté l’école dans leur enfance et leur jeunesse, et beaucoup d’entre eux attendent que la formation ressemble à l’école et font pression dans ce sens sur les formateurs, souvent inconsciemment. De plus, l’organisation de l’espace et du temps de la formation tend à faire penser elle aussi à l’école – de la salle où tous les apprenants regardent vers le tableau jusqu’aux horaires et à la justification des absences, en passant par les classeurs, les exercices, etc.
Que le formateur soit attentif à l’émancipation des apprenants ne suffit donc pas à faire du groupe en formation un groupe de personnes ayant des comportements d’adultes émancipés. Je me limiterai ici à indiquer quelques biais, liés à la question du formatage scolaire, qui empêchent en réalité des adultes d’apprendre vraiment en formation. Et je fais le pari que mes collègues formateurs y reconnaitront au passage des obstacles à l’apprentissage contre lesquels eux-mêmes cherchent à lutter en permanence dans leurs groupes. Voici :

  • L’école (donc aussi, le plus souvent, la formation des adultes) est hors de la vie : apprendre des choses dans un contexte éloigné des situations de la vie met en difficulté quand il s’agit de les transférer dans la vie réelle. Les formateurs sont souvent conscients de cette difficulté au sein même du processus de formation et regrettent régulièrement cette absence de transfert de la part des apprenants, sans arriver à y pallier.
  • L’école (donc aussi, le plus souvent, la formation des adultes) place l’apprenant dans une posture de dépendance : celui-ci abdique son propre pouvoir de réfléchir et d’agir par lui-même. Il accepte comme une règle du jeu d’être dominé par le savoir du formateur. Il met en veilleuse, du même coup, sa propre vigilance critique pour donner raison au formateur à priori, aveuglément. Ce processus s’enclenche presque toujours inconsciemment et empêche radicalement l’émancipation des apprenants. Et entretemps, de leur côté, les formateurs se démènent pour stimuler leur esprit critique et les inviter dans des démarches d’éducation permanente, entravées par ces attitudes scolaires…
  • L’école (donc aussi, le plus souvent, la formation des adultes) infantilise, considère les apprenants à partir de leurs manques et de leurs fragilités : implicitement, cela revient à les pousser dans des attitudes archaïques de faiblesse, d’impuissance, d’ignorance, d’incapacité, d’enfants qui n’y arrivent pas (encore). Voire dans une victimisation, renforçant parfois (ou souvent, selon les publics en formation) un sentiment que la vie leur a déjà fait éprouver, parfois même sur le mode de la fatalité. Tandis que cette situation pèse aussi sur les formateurs, qui se sentent souvent démunis pour y répondre…
  • L’école (donc aussi, le plus souvent, la formation des adultes) installe les apprenants dans une attitude passive : il faut attendre les instructions, les savoirs, les consignes du formateur ; il faut commencer et terminer le travail tous ensemble, au signal donné ; il faut exécuter les tâches dans l’ordre assigné, selon la méthode enseignée. On est là aux antipodes d’une appropriation créative, d’une prise d’initiative et d’autonomie… que les formateurs appellent pourtant de leurs vœux chez les apprenants.

Nous sommes tous et toutes, en tant que formateurs et formatrices d’adultes, confrontés à ce modèle dominant. Comment nous en détacher ? … Et si apprendre des apprenants pouvait aussi viser à nous décaler et à nous libérer par rapport à tout cela ?

Mon hypothèse : se distancier du jeu relationnel induit par l’école pour que tout le monde apprenne de tout le monde

Voici ma proposition :

  • Voir la situation de formation, du point de vue de ce que j’appelle le formatage scolaire, comme un jeu relationnel nuisible aux apprentissages des apprenants et générateur d’inconfort, au moins, pour les formateurs. Ce jeu est induit chez tout le monde par des souvenirs et des représentations de l’école, d’une part, et bien souvent aussi par les ressemblances entre les modalités d’organisation pratique des formations et les situations scolaires, d’autre part.
  • Se distancier de ce jeu relationnel. Comme pour tout jeu relationnel, en sortir implique d’en prendre conscience et de modifier son comportement. En effet, tant que je me comporte de la même façon, j’alimente le jeu relationnel dans lequel je suis prise, même si je m’y sens mal ou que je dénonce ses effets négatifs. Il s’agit donc de changer d’attitude : je propose ici d’adopter des comportements qui font ce que les formateurs disent régulièrement aux apprenants – « Utilisez ce que vous avez appris, faites preuve d’esprit critique, réfléchissez de façon autonome à ce que vous faites en formation… » – et qui, la plupart du temps, ne suffit pas. Il s’agit ainsi d’appeler les apprenants eux-mêmes, peu à peu, dans des postures d’adultes. Et de contribuer à faire place, en formation, à un certain esprit, que l’éducation permanente a coutume de nommer émancipation.

Comment faire ? Je répondrais : en adoptant une posture de formateur qui invite tout le monde à apprendre de tout le monde. Et en pratique, quelle est donc cette posture ? La suite de cet article va explorer cette question. Disons tout de suite qu’il ne s’agira pas de la recette complète d’un nouvel art culinaire, mais chacun sait que quelques petits ingrédients bien choisis, qui n’ont parfois l’air de rien, peuvent déjà tout changer. C’est le pari que je fais avec les groupes que je rencontre en formation.
Les points qui suivent ne décrivent pas des comportements radicalement différents l’un de l’autre, mais plutôt des facettes d’une posture de formateur susceptible d’amener tout le monde à apprendre de tout le monde dans un groupe en formation. Pour la présenter ici, je me suis efforcée de distinguer au maximum ces facettes. Il apparait cependant encore – et c’est tant mieux – qu’elles sont interdépendantes. Dans l’esprit de l’éducation permanente, quand on pratique la première piste proposée ci-dessous – le « qu’est-ce que vous en pensez ? » –, on pratique déjà toutes les autres à travers l’attitude que l’on prend vis-à-vis des apprenants. Décrire ces propositions l’une après l’autre vise à permettre au lecteur d’identifier des attitudes et des paroles précises pour concrétiser une telle posture.

Casser l’orientation unique apprenants-formateur et formateur-apprenants

Dans la convention classique et implicite en matière de formation, le formateur sait et les apprenants ne savent pas et viennent chercher le savoir. Du coup, la communication s’installe très facilement selon une seule orientation (à double sens) : du formateur vers les apprenants et des apprenants vers le formateur. Dans cette même convention, la communication entre les apprenants ne fait partie des méthodes d’apprentissage que lors de travaux en sous-groupes, sans le formateur. Résultat : quand un apprenant pose une question, il l’adresse exclusivement au formateur et attend de lui seul une réponse, qui sera pour lui la bonne réponse. Pendant ce temps, les autres apprenants se sentent souvent très peu concernés, quand ils ne se mettent pas carrément en mode veille… Et le groupe ne se met pas à fonctionner comme un collectif, mais reste une juxtaposition d’individus sans lien entre eux dans le processus d’apprentissage.
Pour le formateur qui désire instaurer dans son groupe un climat dans lequel nous travaillons tous, et ensemble, voici deux pistes possibles, parmi d’autres bien sûr, pour casser cette orientation unique de la communication :

  • En tant que formateur, répondre par un « qu’est-ce que vous en pensez  » adressé à tout le groupe quand une question, un problème, une difficulté de compréhension ou autre est soumise au formateur par un apprenant. Que se passe-t-il d’intéressant dans ce cas ?
    • Les premières fois, le formateur a le sentiment de prendre les autres membres du groupe par surprise et il faut à tous les coups que l’apprenant répète sa question, que plus d’un n’a même pas écoutée1… C’est l’occasion d’expliciter que je poserai régulièrement cette question et qu’il ne s’agit nullement de vérifier que tout le monde était bien à l’écoute ni de prendre certains en flagrant délit de rêverie ! La posture du formateur doit être ici sans ambigüité : le seul objectif est que tout le monde profite d’une question intéressante pour mobiliser son expertise et ses apprentissages, et en faire bénéficier les autres.
    • Le groupe peut se mettre à chercher une réponse et parfois même la construire collectivement : à charge pour le formateur de ne pas se limiter à prendre en compte la bonne réponse qu’une première personne fournirait, peut-être même avant que l’ensemble du groupe ait pu se connecter à la question. Pour éviter cela, veiller à ne pas laisser la scène virer à l’interro surprise dans la tête des participants, car une interro surprise, cela stimule des élèves zélés et non des adultes en formation.
    • Celui ou celle qui a posé la question et reçoit une réponse d’un autre apprenant a l’occasion d’entendre reformuler le point d’apprentissage en d’autres mots, peut-être plus proches de son propre langage ; les autres apprenants ont l’occasion de s’approprier une fois encore ce point de matière. Et tout formateur sait que l’on maitrise bien mieux les choses quand on a eu à les expliquer soi-même à d’autres.
    • Comme formateur·rice, je peux vérifier où en sont tous les apprenants de mon groupe sur cette question : est-ce un point qui a été mal compris par plusieurs, ont-ils déjà une certaine aisance pour manier cette question, etc. ?

Il n’est bien sûr pas nécessaire de revenir vers le groupe de cette façon à tout moment, mais si on le fait suffisamment souvent, on observe que les apprenants sont de plus en plus facilement mobilisés par tout ce qui se passe au sein de la séance de formation et qu’ils en viennent à se percevoir mutuellement comme des personnes-ressources potentielles. L’objectif de travailler tous et ensemble se concrétise peu à peu.

  • Au retour d’un apprenant qui a été absent, poser à tout le groupe la question suivante : « Qu’est-ce qu’un·e tel·le qui a été absent·e doit savoir de ce que nous avons fait en son absence pour pouvoir se remettre dans le train  » Ici encore, nous ne faisons pas un test qui ne dirait pas son nom concernant la matière vue et il faut veiller à ce que ce ne soit pas compris dans ce sens par les apprenants. Le propos n’est pas de demander que quelqu’un prenne la parole pour livrer la synthèse intégrale de ce que nous avons fait. Pour ma part, j’interromps d’ailleurs l’apprenant qui se mettrait à fournir une synthèse et je (re)précise que chacun est invité plutôt à amener un élément ou l’autre, un fragment de ce que nous avons travaillé et qui lui est resté à l’esprit, ou qu’il retrouve dans ses notes, ou qui peut compléter ceux que d’autres ont déjà rappelés. Que se passe-t-il d’intéressant dans ce cas ?
    • Chacun est invité à revisiter la matière vue, mais sous un angle particulier : en dégageant l’essentiel, en prenant conscience de ce qu’il a retenu ou de ce qui l’a frappé, en s’efforçant de mettre ses propres souvenirs en lien avec les éléments ramenés par les autres membres du groupe. Notons que c’est un peu ce que nous faisons spontanément, dans la vie réelle, quand nous cherchons à nous remémorer quelque chose que nous avons appris pour le transférer dans une situation nouvelle.
    • Chacun est invité aussi à se mettre à la place de celui ou de celle qui a été absent·e et à mettre ses propres connaissances au service d’un autre apprenant. Dans cet exercice de transfert, il est important que le formateur se retienne de compléter ou de rectifier les apports, même s’il perçoit qu’ils sont insuffisants, car c’est l’apprenant auquel tous s’adressent qui va indiquer lui-même si le transfert est adéquat.
    • L’apprenant fraichement revenu en formation est invité à faire un vrai travail de construction de savoir sur les points vus en son absence : les apports des autres apprenants sont-ils clairs pour lui, cohérents, peut-il voir les liens entre eux ? De cette manière, le formateur vérifie auprès de l’apprenant si c’est compréhensible, suffisant pour lui, s’il a des questions à poser, etc.2
    • Le signal est envoyé clairement à tout le groupe que nous sommes tous dans le même bateau, que nous avançons ensemble et grâce aux apports de tous. Et que nous prendrons soin les uns des autres dans les apprentissages.

Accueillir positivement TOUT ce que les apprenants apportent dans une séquence de formation

Cette posture repose sur l’apriori que tout ce qui se passe en séance de formation est intéressant pour guider le groupe dans ses apprentissages. Ainsi, il s’agit de le démontrer au groupe, en quelque sorte, en faisant quelque chose de constructif avec TOUT ce que les apprenants apportent, même si cela semble au départ inutile, voire nuisible. Ce présupposé que tout est intéressant3 cherche à installer les apprenants dans une situation qui se rapproche le plus possible des situations de communication de la vie, où les échanges et les apprentissages sont multiples et se déroulent sur plusieurs plans en même temps. Prenons deux exemples :

  • Les erreurs : on peut se tromper – tous les formateurs le disent – mais tant que « se tromper » reste commettre une erreur et donner une mauvaise réponse, même sans en être sanctionné, les apprenants ont raison de continuer de penser qu’ils ne peuvent pas se tromper ! Au lieu de cela, accueillir une « erreur », c’est plutôt la voir comme un intéressant chemin pour apprendre : « Quel a été ton raisonnement pour arriver à cette réponse  » Et nous pouvons alors nous mettre à chercher tous ensemble : comment repartir de ce raisonnement pour l’affiner et le faire déboucher sur une réponse plus adéquate, dont l’auteur pourra être certain ?
  • La dimension affective au sens large (émotions, représentations, croyances, humeurs, etc.) : elle est toujours présente et elle influence fortement la réceptivité, la disponibilité, la mémorisation, la créativité, la confiance en soi nécessaire pour sortir de sa zone de confort et se mettre en apprentissage. Avoir l’occasion de prendre conscience de nos états affectifs et de leur impact, en tant qu’adultes en formation, est une étape d’émancipation, qui permet souvent de travailler ensuite sur notre propre engagement dans la formation. À l’inverse, faire abstraction de la dimension affective en formation, en estimant par exemple qu’« on n’est pas là pour ça » ou que « quand même, ce sont des adultes, on ne doit pas s’en occuper comme s’ils étaient des enfants » revient souvent à la faire passer dans la clandestinité : cette dimension affective est bien là, mais le formateur et l’apprenant n’ont plus prise dessus et elle vient parasiter la vie du groupe et les apprentissages.

En accueillant positivement les erreurs et la dimension affective, le formateur envoie à tous les apprenants des signaux importants :

  • Tout cela fait partie de la vie : la formation n’est pas en dehors de la vie. Apprendre, ce n’est pas devenir un singe savant, fournisseur de bonnes réponses automatiques, et je ne deviens pas un simple intellect parce que je suis en formation. Mes croyances, émotions et humeurs du jour, par exemple, soutiennent ou entravent mes capacités d’apprentissage, selon les cas. Apprendre, c’est aussi faire avec tout cela.
  • Considérer ces éléments comme des ingrédients réels de la séance de formation, à prendre en compte pour accompagner l’apprentissage de tous, c’est inviter le groupe à en faire ensemble, chaque fois que cela se présente, quelque chose d’utile à tous.
  • Faire voir à tous que tout apport est accueilli valorise chacun et met en confiance pour oser s’exprimer et s’exposer dans le groupe, pour proposer des réponses et poser des questions, pour contribuer, pour essayer et risquer de se tromper, pour s’exercer librement, et donc pour que chacun apprenne à partir de ce que tous et toutes apportent.

Quelques autres pistes

Les points suivants demanderaient, chacun, le même développement que les points antérieurs, mais je n’ai pas la place de les déployer ici. Ils seront donc évoqués rapidement, en espérant que le lecteur puisse percevoir en quoi ils relèvent de la même posture de formateur et concourent aux mêmes effets d’émancipation des adultes en formation, à partir d’une dynamique dans laquelle tout le monde apprend de tout le monde.
Faire porter une exigence sur la démarche de recherche, et non sur la bonne réponse. Ceci peut se faire en confiant aux apprenants de vraies missions de recherche d’infos, de réponses, de ressources, de prise de contact avec telle personne, etc. Il s’agit de compter sur eux là-dessus, non pas en donnant à tous le même « devoir », comme à l’école, mais en chargeant une fois certains, une fois d’autres de ramener au groupe tels matériaux (et d’en être les responsables pour tous). Il faut bien entendu mettre les apprenants dans de bonnes conditions pour qu’ils puissent trouver (leur assurer la sécurité dans la démarche qu’on leur propose) et qu’ils voient clairement que nous avons besoin de leurs apports. Examiner ces apports avec tout le groupe ensuite et les valoriser au moins comme point de départ précieux pour notre apprentissage, même s’ils sont (très) partiels ou inexacts (voir ci-dessus le traitement des erreurs). Enfin, ne pas dire que ce n’est rien si la mission n’a pas été accomplie, mais délibérer tous ensemble, dans le groupe, pour voir ce que l’on va faire : reporter le travail à plus tard, demander l’aide complémentaire d’autres membres du groupe, etc.
Accueillir toutes les méthodes de travail, comme dans la vie, sans en disqualifier aucune à priori – même celles que l’école considèrerait comme la voie du moindre effort (laisser travailler les autres membres du sous-groupe et profiter de leur production) ou comme irrationnelles (écrire au Roi pour obtenir un logement social), voire comme de la tricherie (recopier l’exercice de son voisin et le faire passer pour le sien) –, mais en faisant remarquer à tout le groupe que, si on les compare, elles n’ont pas toutes la même valeur. On peut les comparer sur au moins trois plans bien distincts :

  • celui de l’efficacité : l’objectif est-il atteint ? Dans les temps ? Est-on sûr du résultat obtenu ?
  • celui de l’émancipation : ma méthode me permet-elle de vérifier que je maitrise tel apprentissage par moi-même ? Me maintient-elle au contraire dans l’incertitude ou dans une dépendance à l’égard de quelqu’un d’autre ?
  • celui du droit et de l’éthique : du côté du droit, ma démarche de travail respecte-t-elle la légalité, les règles établies dans le centre de formation, la charte du groupe par exemple4 ? Du côté de l’éthique, ai-je le sentiment que ma démarche est juste, dans la justice et la justesse, vis-à-vis des autres et de l’intérêt général ?

En faisant cela, je valorise la débrouillardise et la prise d’initiative, tout en soulignant qu’il s’agit aussi de prendre la responsabilité de ses propres choix.
Attendre des apprenants des comportements d’adultes :

  • Premier exemple. J’invite les personnes à bouger comme elles le souhaitent pendant les séances de formation : se lever, s’étirer, rester un moment debout, s’assoir un temps sur une table ou un appui de fenêtre, faire les cent pas pour se dérouiller les jambes… Je leur indique de cette façon que l’important est qu’ils se soucient d’être dans de bonnes conditions, y compris physiquement, pour travailler et non que le local de formation soit peuplé de purs intellects qui font comme s’ils n’avaient pas de corps et, en conséquence, s’engourdissent, s’épuisent et décrochent.
  • Second exemple. Au terme d’un travail en sous-groupes, il s’avère souvent qu’un groupe n’a pas travaillé selon la consigne donnée. Je l’invite alors à partager en plénière ce qu’il a fait d’intéressant en dehors de la consigne. Par là, je fais savoir à tous que toutes les productions en sous-groupes seront prises au sérieux. Mon exigence porte sur le fait que personne n’accepte de travailler bêtement – sur la base d’une consigne mal comprise et, du coup, absurde, par exemple – et que le groupe puisse toujours assumer ce qu’il a décidé de faire. Je montre ainsi qu’il ne s’agit pas d’atteindre une qualité de production que j’aurais prédéterminée et qui demanderait de travailler comme de simples exécutants.

Conclusion

Apprendre des apprenants trouve son véritable intérêt, de mon point de vue, lorsqu’on adopte des pratiques de formation où tout le monde peut apprendre de tout le monde, au sens que l’éducation permanente donne depuis longtemps aux pédagogies actives et à la coconstruction des savoirs.
Les propositions concrètes présentées dans cet article ne sont décidément que des exemples parmi d’autres qui poursuivent le même objectif principal : dessiner les contours d’une posture de formateur qui soit source d’émancipation pour les apprenants, au bénéfice de leur formation elle-même et puis, si possible, de leur vie.
Est-ce cependant réaliste et praticable d’ajouter des séquences du genre de celles qui ont été décrites ici, diront certains lecteurs lucides, au vu du temps limité dont nous disposons pour former les apprenants ? Que l’on se rassure : il n’est pas nécessaire de tout déplier longuement, ni à tout moment. Il s’agit plutôt d’en faire une manière d’être habituelle, mine de rien, en activant systématiquement l’une ou l’autre des attitudes proposées et en vérifiant en permanence que les apprenants se sentent à la fois autorisés à réagir comme des adultes qui ont des compétences et en sécurité pour le faire. Systématiser le « qu’est-ce que vous en pensez ? », par exemple, jusqu’à ce que les apprenants eux-mêmes soient attentifs et donnent spontanément leur point de vue quand l’un d’entre eux pose une question ou propose une réponse. Développer cette posture en tant que formateur ou formatrice peut déjà enclencher, progressivement, un positionnement plus impliqué et plus autonome des apprenants en formation… Voici lancée l’invitation à essayer !