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Suzanne et la co-formation

Quelle matinée ! « Aurais-tu quelques minutes demain pour réfléchir à l’organisation de notre événement ? » me demande hier, avec entrain, ma collègue. « Oui, bien sûr, on peut bloquer un petit moment dans la matinée »… Si j’avais su là où cela allait nous mener, j’aurais carrément proposé d’en faire le contenu d’une mise au vert !

L’idée de départ était pourtant simple : organiser une journée de rencontre à destination de stagiaires participant à une même formation, proposée par des opérateurs différents, qui n’ont jamais l’occasion de se croiser ; nourrir cette journée par des interventions extérieures et des échanges de pratiques; en rendre compte au travers d’écrits valorisant à la fois la formation en elle-même, les contenus abordés, les réflexions échangées… Comme souvent, et c’est assez rassurant d’ailleurs, rien que sur les intentions portées par cette journée, nous nous sommes vite emballés : Pourquoi ne pas en faire un événement « public », qui mette en valeur la formation, les secteurs concernés et leurs travailleurs ? Pourquoi ne pas en profiter pour tenter d’initier, entre les participants, un véritable réseau de pratiques, qui perdurerait au-delà de cette journée ? Pourquoi ne pas en faire un moment « politique » qui rende compte des interrogations du terrain et des enjeux quant à l’avenir ? Pourquoi pas, effectivement !

Répondre à la question du « qui », pour « qui », par « qui » nous permit déjà de revenir un temps au concret : Qui organise la journée (les opérateurs de formation, les stagiaires, le pouvoir subsidiant) ? Qui sera invité à participer à la journée (les stagiaires en cours de formation ? tous les stagiaires ayant suivi la formation ces dernières années, d’autres personnes internes et/ou externes à nos organisations…) Combien serons-nous ? Combien voulons-nous être ? Combien pouvons-nous être au maximum ? Quelle va être la place de chacun dans l’organisation concrète de la journée ? Qui choisit les thématiques ? Qui choisit et contacte les intervenants extérieurs ? Sur quels critères (leur expertise, leur appartenance à un secteur de travail en particulier, leur popularité, le caractère plus ou moins innovant de leurs pratiques, leur mixité intergénérationnelle, de genre…)? Quelle place laisser au protocole ?

Aborder la question du « quand » et du « où » fut également un véritable casse-tête s’agissant d’organiser un événement ralliant des participants principalement issus du monde professionnel et provenant de l’ensemble du territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles : Quand ? Dans le cadre des heures de formation déjà fixées ou en dehors ? Dans le cadre professionnel ou à titre privé ? En semaine, en week-end ou en soirée ? En fonction prioritairement de la disponibilité des intervenants ? Où ? Dans un lieu central ? Dans un lieu accessible en transports en communs ? Dans un endroit insolite, qui permet de joindre l’utile à l’agréable ?

Nous en étions déjà là dans notre réflexion lorsqu’il fallut s’attaquer au cœur du sujet à savoir le « comment » ? De prime abord, je n’avais jamais imaginé qu’il était en réalité si compliqué de penser un événement pourtant apparemment si « simple ».

C’est une de mes collègues qui a lancé la première salve. Oui, mais, qu’est-ce que « faire rencontre », « faire réseau », « faire faire rencontre », « faire faire réseau » ? C’est juste mettre les gens ensemble dans un même lieu autour d’un contenu intéressant, leur faire confiance et parier sur le fait qu’ils auront certainement des choses à partager ? Ou c’est de manière pro-active, notamment via une animation particulière des séances plénières et des ateliers, « forcer » les rencontres, les échanges, les partages d’expériences ? Elle a juste repris son souffle et a poursuivi sur sa lancée. Et quelles sont les conditions nécessaires pour favoriser les rencontres et les partages ? Peut-être que l’on doit s’y prendre dès la rédaction de l’invitation, à l’inscription, le jour même dès l’accueil ? Peut-être qu’il va falloir gérer le temps de la journée de telle manière que les vrais échanges soient réellement possibles ? Peut-être qu’il va falloir organiser l’espace dans cette perspective également ? Et être attentif aux suites données à l’événement, si les participants veulent rester en contact ? Peut-être, oui.

Nous sommes revenus un instant sur l’animation des séances plénières et des ateliers…

Quel va être le statut, la posture prise, dans la journée, par les stagiaires en formation qui deviennent tout à coup participants d’un événement, leurs formateurs qui endosseront du coup le rôle d’animateurs, les responsables, les équipes plus larges ? Quel joyeux bazar cela va faire ! Dans les échanges, qui prend la parole (ou pas), à quel titre, au nom de qui… Qui régule les interventions et comment ? Donne-t-on au préalable des consignes à ce sujet ou faisons nous confiance en la sagesse de chacun ?

Faut-il construire ces moments avec les intervenants (auquel cas il serait important de les avoir contactés avant) ou juste s’appuyer sur leur intervention et rebondir ? Plus généralement, dans ce genre d’événement, il nous faut quand même aussi être en phase avec le moment présent, actuel, contemporain, voire exploratoire et créatif dans les contenus abordés, les approches proposées, au regard de ce qui se fait ou de ce qui ne se fait pas encore aujourd’hui sur le terrain, et ça, c’est particulièrement exigeant…

C’est à ce moment précis que j’ai vraiment commencé à paniquer…nous nous mettons peut-être un peu trop la pression pour…une journée ? Mais c’était trop tard, la machine était lancée…

Et c’est là que notre jeune stagiaire, avec sa fausse naïveté, a trouvé qu’il était temps de pousser le questionnement encore un peu plus loin: lorsque plusieurs objectifs occupent ce type de journée et sont en tension (faire se rencontrer les participants, favoriser les échanges, construire un futur réseau de stagiaires, consolider le réseau des opérateurs, valoriser la formation, valoriser le travail de terrain, interpeller le politique…), comment les gérer conjointement, faire en sorte de garder l’équilibre entre ceux-ci, maintenir l’organisation de la journée en tenant compte de chacun d’entre eux ? Au risque que beaucoup sortent déçus d’avoir un peu fait de tout, qui va avoir cette vigilance de maintenir jusqu’à la fin de la journée les visées principales de celle-ci, quitte à paraître un peu autoritaire parfois ? Là on s’est tous regardés, parce qu’aucun d’entre nous n’avait effectivement pensé qu’il faudrait aussi endosser ce rôle en particulier.

C’est alors que tout en douceur, une petite voix s’est intercalée : Et puis, dans ce type d’événement, comment, à un moment, entre l’accueil, les présentations des intervenants, les débats, le café, l’informel, faire « vraiment »
« politique » (ou pas) ? Comment et par qui amener, de manière juste et appropriée, les constats, les interpellations des acteurs des secteurs concernés sans avoir l’air « à côté », sans avoir l’air « convenus », sans avoir l’air
« opportunistes », en s’assurant de pouvoir être entendus et écoutés ? Ne faudrait-il pas aussi préparer ces contenus en amont de l’événement avec les participants et/ou d’autres acteurs de terrain, ce qui rallonge encore le temps de préparation ? Sommes-nous bien dans les délais alors ou faudrait-il postposer l’événement pour qu’il soit bien emmanché ?

Stop. Une petite pause, un bon bol d’air, deux grands cafés, il nous restait encore à traiter de la question des « traces » de la journée. Et c’est reparti…

Quels enjeux pour la production écrite demanda notre secrétaire, pas juste prendre note j’espère ! Disposer au final d’un « objet » joli, intelligent qui laisse entrevoir la palette large et la vitalité des échanges de la journée. Mais pas seulement transcrire de manière littérale, pas un compte-rendu ! Rendre lisible et visible, illustrer, colorer, analyser, se positionner, mettre en questionnement, transcender les contenus dans un débat plus large, rêver… ? Rendre compte de manière à la fois analytique et artistique. D’ailleurs, tant qu’on y est, profitons de l’occasion pour revoir complètement la fonction de « rédacteur » dans ce type d’événement ! Si on parlait de « contributeurs » plutôt ! Quel profil devraient-ils avoir ? Et quel statut ? Externe ? Interne ? Artiste, journaliste indépendant, participant, travailleur à l’interne identifié pour cette tâche, professionnel du secteur intéressé par les contenus abordés dans la journée ? Un peu de tout ?

Par ailleurs, les choix posés pour la récolte des traces et les démarches d’écriture qui s’en suivent doivent-ils être cohérents et représentatifs du reste de l’organisation de la journée, à la fois dans le ton utilisé, l’esprit qui s’en dégage ou encore les formes envisagées ? S’agit-il d’écrits rédigés seuls ou à plusieurs ? Peut-on être novice dans l’exercice ? Si c’est à plusieurs, comment faire co-écrire, co-rédiger, comment accompagner des expériences d’écriture partagées ?

Et puis, quel statut pour la production écrite finale ? Relève- t-elle d’une responsabilité individuelle, collective ? Et quelle diffusion de cette production écrite ? Intime, en cercle connu, dans les secteurs, hors secteurs ? Sous quelle forme ?

N’en jetez plus ! Il était midi ! Tant de chantiers à investir pour débuter ! Nous n’avions pas encore abordé la question de l’évaluation de notre événement, de son financement, de son organisation pratique mais ce n’était pas un souci… enthousiastes, nous avons remis « quelques minutes » pour envisager cette partie de la réflexion demain !