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Témoignage

Jiyed, artiste fréquentant Globe Aroma, allait accrocher ses peintures dans l’expo « Carte de visite » organisée par la Ville de Bruxelles. Son travail avait été remarqué pour sa pertinence. Dans ses peintures, des bateaux, des naufragés, des migrants.

Il est arrêté le 7 février, dans les locaux de l’association, par la police de la Ville de Bruxelles.

 

Comment peut-on, à la fois, être invité et arrêté , par la même autorité ? Enfermé depuis au centre 127bis, voici son témoignage.

 

10/02/2018
La police a envahi Globe Aroma par surprise et d’une façon sévère. Ils ont obligé tous ceux qui étaient là à mettre leurs mains sur leurs têtes. La police a dit d’une voix très fâchée :
« On va vous fouiller ». Quelques-uns d’entre nous ont reçu des coups pour céder à cet ordre. Après avoir fait le contrôle de nos identités, nous étions à genoux, les mains attachées.

 

Notre unique crime, c’est que nous étions des sans-papiers. On était conduits, les mains attachées, comme des moutons. Comme si on était des voleurs, ou des criminels. A mon avis, être sans papier, c’est pas un crime.

 

On est entrés au poste de police les mains attachées et ils nous ont détachés après 2 heures. Après, ils ont fait entrer chacun d’entre nous dans une pièce, et nous ont demandé d’enlever nos vêtements, à part le caleçon. Ils étaient deux, l’un d’entre eux rigolait comme si j’étais un animal.

 

Après, ils ont pris nos empreintes. Et ils nous ont obligés à signer des papiers de force. Et ils nous ont photographiés de tous les côtés, comme ces terroristes qui ont été arrêtés.

 

La nuit, j’ai pas pu dormir à cause du bruit et des conversations. C’est la 1ère fois que je passe une nuit dans un poste de police depuis mon arrivée en Belgique, ça fait 4 ans. J’ai pleuré la nuit et j’ai pensé à mon frère jumeau, je me suis demandé s’il allait bien et ce que serait son sort sans moi.

 

Le lendemain très tôt, ils m’ont conduit attaché au centre fermé. J’ai rien commis de grave, j’ai juste accepté l’invitation de Globe Aroma pour aller ensemble au vernissage « Carte de Visite » où j’expose mes tableaux. Il fallait être là-bas à 18h, mais j’ai pas pu y être. Globe Aroma, c’est ma petite famille, que j’aime beaucoup car il y a des gens très spéciaux et qui comptent beaucoup pour moi, même si des fois ils sont pas au courant. Je les aime tous sans exception.

 

11/02/2018
Une assistante m’a fait rire car elle m’a demandé si j’avais quelque chose de valeur. Elle m’a dit : « Si tu veux pas le perdre, on peut le garder ici. » Je me demande ce qu’il y a de plus cher que la liberté… Vous venez de me la prendre !

 

On est en train d’attendre pour parler avec un avocat, pour voir ce qui va se passer pour moi et pour mon ami qui est dans l’autre pièce.

 

A Globe Aroma, un policier m’a dit qu’on allait être arrêtés pour quelque temps, et sortir.

 

Pour moi, personnellement, si je n’avais pas un vrai souci à rentrer dans mon pays, je ne serais jamais venu ici. Et ici, ma situation économique est plus mauvaise qu’elle ne l’était dans mon pays natal. J’ai un complexe avec la police : quand j’étais enfant, je jouais au ballon devant la porte d’un voisin qui était policier. Et il m’a tabassé.

 

Le centre est fermé sur nous, complètement. Comme une prison. J’ai remarqué qu’ils nous demandent de rendre le rasoir après l’avoir utilisé. C’est un danger pour nous, ou peut-être c’est nous, le danger. N’ayez pas peur ! Je suis venu ici en Belgique pour me protéger, non pour me faire du mal. Au centre, il y a des gens qui ont l’air sympa.

 

En ce moment même, il y a un rassemblement devant le centre fermé pour nous soutenir moi et mon ami… je leur adresse un grand merci. En tous cas, je suis reconnaissant. Vous ne m’avez pas laissé tout seul. Ce que vous faites dépasse mes remerciements.

 

الحرية, “Al-Hûr- i-ya “, la Liberté.

 

La liberté, c’est ce que je demande. Il y a une différence entre écrire sur la liberté et être privé de liberté. Quand tu le vis, c’est une chose amère.

 

12/02/2018

الإنتهاك “Al-In-Ti-Hak “, “Infraction“.

 

À tout moment, ils peuvent te conduire au centre fermé. Hier, quand il y avait le rassemblement, on nous a fait entrer, moi et mon ami Mounir, à la bibliothèque pour que nos amis ne nous voient pas. Par coïncidence, j’ai vu mon ami Rabia. Je l’ai appelé sur le téléphone, il était en train de pleurer. Je lui ai demandé s’il me voyait, il a répondu que non. Moi, je le vois à travers les vitres mais lui pas. Ici, au centre, les gens ne peuvent ni te voir, ni t’écouter.

 

Aujourd’hui, je dois voir l’assistant social pour comprendre un peu ce qui se passe avec moi, car c’est la première fois que je suis enfermé ici. Mon ami m’a dit que j’ai pas droit à un téléphone avec caméra. Apparemment, ça va dévoiler les horreurs de ce centre.

 

Il y a des personnes qui m’ont montré comment je suis important pour eux : je les aime et je les respecte beaucoup. Il y avait aussi quelques visites : ça a beaucoup de valeur chez moi.

 

Cette vie est bizarre. J’ai toujours voulu raconter les événements choquants autour de moi et là c’est à moi que ça arrive ! A 1000 Bruxelles, plein d’associations me connaissent et surtout Globe Aroma ! C’est là que tout s’est passé, de leur débarquement jusqu’au poste de police.

 

Je me demande, à propos du débarquement à l’association : c’est dans la loi ou pas ? Pourquoi ce genre d’association n’est pas protégée de ce genre de chose ? Que faire pour que ça ne se répète plus ? L’association a-t-elle le droit de porter plainte ? Le gouvernement n’est-il pas censé suivre la loi ?

 

 

 

13/02/2018
Mon avocat m’a appelé ce matin pour demander comment j’allais et j’ai répondu : « Bien », mais je ne vais pas bien. Aujourd’hui ils vont me prendre rendez-vous chez le médecin ; ils veulent s’assurer que je vais voir le docteur bientôt. Ils rigolent et ils notent. On est des numéros pour eux, je sais pas. Peut-être j’ai tort, je suis peut-être pas neutre, ou je vois flou.

 

Je parle à mon frère de façon régulière, mais il me manque beaucoup. Je sais pas expliquer, c’est dur. Nos mains sont liées comme l’eau et les arbres s’ils se séparent. Aussi, mon meilleur ami Brahim me manque beaucoup.

 

Des chaînes belges passent l’actu. Ils parlent de ce qui s’est passé à Globe Aroma, des arrestations sévères des autorités, dangereuses pour les ASBL. C’est une hypocrisie ce qui se passe, le gouvernement finance ces ASBL pour intégrer ces gens dans différentes activités comme le théâtre, des concerts et de la littérature. Si c’est le cas, pourquoi ils ont visé cette ASBL de cette façon ?

 

Est-ce que le migrant va avoir encore confiance en ce lieu ? C’est étrange, des fois on laisse des gens dangereux en liberté, et des gens sans papiers qui sont très actifs, on les chasse d’une ASBL, c’est quoi ?

 

Je reçois une visite dans un moment de Globe Aroma. Mr Brecht et Mme An : je suis très content de leur visite.

 

Il y a un Monsieur par terre. Il pleure d’une façon hystérique. Est-ce qu’il a un problème ? Je ne sais pas, j’espère qu’il va aller mieux.

 

 

 

Nos premiers remerciements vont à Jiyed, pour la confiance qu’il nous a donnée à publier son témoignage. Nous tenons à adresser un remerciement tout particulier à Ali TALEB, pour son engagement dans cette aventure. Enfin merci à Aliette GRIZ et Milady RENOIR, pour leurs conseil