Préambule
Le ministre Koen Geens vient de déposer au Parlement le projet de Code des sociétés et des associations. Mais, ce n’est pas la seule initiative qui a été prise envers les ASBL puisque des dispositions ont modifié le Code de droit économique confirmant que les ASBL doivent être considérées comme des entreprises.
Pour comprendre tout ce remue-ménage, il convient de savoir que, depuis plus de vingt ans, la plupart des ASBL sont considérées comme des entreprises. La loi du 6 avril 2010 relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur (aujourd’hui intégrée dans le Code de droit économique sous le titre IV) définissait déjà l’entreprise comme étant « toute personne physique ou personne morale poursuivant de manière durable un but économique, y compris ses associations ». S’il est vrai que des grandes ASBL se gèrent comme des entreprises, il n’en reste pas moins qu’elles sont (et restent) des entreprises dont l’humain est au centre des préoccupations, non seulement du fait que l’activité est déployée au profit des bénéficiaires mais aussi que le « capital » humain est essentiel pour poursuivre le but désintéressé qu’elle s’est fixé.
Les ASBL vont-elles devenir des sociétés comme certains ont osé l’affirmer ? Que nenni ! Certes les ASBL sont appréhendées de plus en plus comme des entreprises mais en quoi est-ce un « mal » ? Autrement dit, ce n’est pas parce qu’on améliore l’efficience d’une ASBL que celle-ci perd son âme. Au secteur associatif de continuer à valoriser leurs actions en démontrant qu’elles sont réalisées dans la poursuite d’un but désintéressé !
Et peut-on affirmer que les initiatives du ministre Geens ont pour objectif d’asservir les ASBL au profit du dieu « fric ». C’est à notre avis un procès d’intention. Néanmoins, chacun fera son analyse politique, ce qui ne nous empêchera pas d’être vigilants.
Ceci étant, nous allons aborder dans cet article les principales modifications qui se profilent pour les ASBL.
Précisons que le projet de Code des sociétés et des associations est au stade de projet et que des amendements pourront être apportés lors du vote à la Chambre !
L’instauration d’un Code des sociétés et des associations
Plusieurs raisons président à la rédaction d’un Code mais nous en retenons une « essentielle » pour les ASBL : à savoir la suppression de la différence entre acte commercial et acte civil.
La définition de l’ASBL édictée par la loi du 27 juin 1921 précisait qu’une ASBL ne pouvait réaliser des activités commerciales, c’est-à-dire des activités reprises dans le Code de commerce et ce, même si elles étaient poursuivies sans but lucratif (autrement dit, sans but d’enrichissement des membres). C’était une lecture qui était préconisée par la doctrine dont certains de ses partisans allaient même bien plus loin puisqu’ils soutenaient qu’une ASBL ne pouvait dégager des bénéfices. Sachez que, par exemple, diffuser des spectacles, exploiter un centre sportif ou héberger des personnes sont des activités à caractère commercial.
En référence à l’intention du législateur de 1921, j’ai soutenu la thèse « dite libérale » défendue depuis 1985 par le professeur Michel Coipel. Cette position consistait à affirmer : peu importe l’activité, l’essentiel est que les bénéfices soient affectés exclusivement à la réalisation d’un but désintéressé. Et c’est en fait cette thèse que consacre le projet de Koen Geens : il donne une nouvelle définition de l’association qui devrait, selon nous, être encore améliorée en vue de corriger quelques imperfections.
Un texte illisible
Mais le grand reproche à formuler envers ce projet de Code est que le gestionnaire d’ASBL doit voyager dans différents livres du Code (livres 1, 2, 9, 12, 13 et 14) pour « picorer » dans ce fatras de règles ce qui l’intéresse vraiment. Autrement dit, en termes de lisibilité : le pari est complètement raté.
L’inconvénient qui est lié à cette volonté de rassembler les règles qui régissent les personnes morales de droit privé dans un seul Code est que la différence entre la société et l’association paraît plus ténue. A notre avis, c’est dû au fait que les rédacteurs du texte ne mettent pas suffisamment en valeur l’importance de la poursuite d’un but désintéressé. Autrement dit, ce n’est pas parce que des règles de fonctionnement sont identiques ou semblables que l’ASBL ne doit pas se différencier nettement de la société. Certains craignent, à tort ou à raison, que cette situation risque d’augmenter les contentieux entre ASBL et sociétés sur le terrain de la concurrence déloyale. Précisons à ce sujet que ce n’est pas un problème que ces structures soient en concurrence (on est dans une économie capitaliste !) mais bien que les pratiques utilisées soient déloyales.
Les membres
A ce sujet, on regrettera qu’une ASBL puisse dorénavant être constituée par deux membres (au lieu de trois actuellement) et que son conseil d’administration puisse être composé de ces deux mêmes personnes qui se sont auto-désignées comme « administrateurs ». Est aussi supprimée l’obligation qui exigeait que l’AG soit composée d’un nombre de membres supérieur au moins d’une unité du nombre d’administrateurs.
Dans le cas de figure envisagé (deux membres qui sont aussi administrateurs), les membres se donneront, à eux-mêmes, décharge. On ne peut pas dire que l’on a fait un bond significatif sur ce point en matière de bonne gouvernance. Mais rien n’empêche les ASBL d’édicter des règles de bonne gouvernance dans les statuts !
Notons qu’au passage, on rabote le droit des membres puisqu’ils ne sont plus autorisés à consulter que le registre des membres. Auparavant, ils pouvaient exiger la consultation de certains documents (ex. : les PV des A.G. ou des CA) ou accéder, en l’absence d’un commissaire, aux comptes.
L’assemblée générale
Pour l’essentiel, l’AG garde les mêmes compétences. Certes, on en a ajouté formellement d’autres mais elles étaient déjà sous-entendues. Au niveau formel, signalons que la convocation à l’AG devra être envoyée au moins quinze jours à l’avance et qu’elle pourra être envoyée par courriel (sauf si le membre demande à recevoir la convocation par lettre ordinaire).
Le conseil d’administration
Le conseil d’administration est conforté dans sa mission de gestion et de représentation de l’ASBL. Il peut, sous sa responsabilité, déléguer des pouvoirs à des organes institués par les statuts (organe de représentation générale ou organe de gestion journalière) ou à des mandataires.
Le projet instaure trois nouvelles dispositions importantes :
• il édicte des règles en matière de conflit d’intérêt patrimonial (direct ou indirect) qui exigent que l’administrateur déclare la situation à propos de laquelle il a un intérêt différent de celui de l’ASBL, le procès-verbal du CA devant reprendre la déclaration et les explications relatives à cetintérêt opposé.
Notons aussi que dans les grandes associations (c’est-à dire celles qui sont contraintes à tenir une comptabilité en partie double), cette partie du procès-verbal du CA sera reprise, dans son intégralité, dans le rapport de gestion adressé à l’AG ;
• il stipule que, quand une personne morale (ex. une ASBL) est administratrice d’une ASBL, elle devra obligatoirement désigner un représentant permanent, celui-ci ne pouvant alors siéger soit à titre personnel, soit de représentant d’une autre personne morale administratrice ;
• il affirme que les administrateurs encourent une responsabilité solidaire c’est-à-dire que les administrateurs négligents ou insouciants ne peuvent opposer leur négligence ou leur insouciance car ils restent, avec les autres administrateurs, responsables des décisions prises. En fait, les ASBL ont plus besoin d’administrateurs responsables qu’irresponsables ! Pas de panique à ce sujet, il existe des moyens pour se protéger dont la possibilité que l’ASBL souscrive à une RC administrateurs.
D’autres modifications
Des modifications sont apportées dans les réglementations concernant la dissolution. Et, il est instauré un mécanisme de fusion et de scission pour les ASBL ainsi qu’une possibilité de pouvoir se transformer en association internationale sans but lucratif (AISBL) ou en société coopérative agréée comme entreprise sociale. Il est également prévu un processus de transformation d’une AISBL ou d’une société en ASBL.
L’insolvabilité des ASBL
Depuis le 1er mai 2018, les ASBL sont concernées par le livre XX du Code de droit économique qui met en place différents instruments pour éviter la faillite des ASBL. Il n’en reste pas moins que, quand tout est « déglingué », il faudra prononcer la faillite avec une responsabilité aggravée pour les administrateurs dont les comportements peuvent être qualifiés de très gravement fautifs. Une ASBL qui est gravement déficitaire ne démontre pas, de ce fait, que les administrateurs sont gravement fautifs car ils ne sont peut-être même pas fautifs. Par ailleurs une erreur de gestion ne constitue pas une faute si le choix opéré résulte d’une analyse des possibilités offertes, choix qui s’avère a posteriori un mauvais choix !
L’entrée en vigueur
Le Code entrera en vigueur pour les ASBL existantes le 1er janvier 2020. Mais ces ASBL peuvent décider d’en appliquer les dispositions avant cette date en modifiant leurs statuts et ce, en les mettant en conformité avec les dispositions du Code. Dans cette hypothèse, les ASBL sont soumises aux dispositions du Code à dater de la publication des modifications aux Annexes du Moniteur belge. Dès ce moment, ces ASBL se doivent alors de respecter les règles impératives édictées par le Code.
Après le 1er janvier 2020, les ASBL existantes actuellement et qui n’ont pas anticipé la mise en application des dispositions du Code devront mettre leurs statuts en conformité à l’occasion de la première modification de leurs statuts et ce, quoi qu’il arrive, avant le 1er janvier 2024. Faute de ne pas avoir respecté ce prescrit, les administrateurs seront alors personnellement et solidairement responsables des dommages subis par l’ASBL ou par des tiers résultant du non-respect de cette obligation d’être en conformité avec le Code.
Les statuts
Que faudra-t-il faire modifier dans les statuts ? Il faudra à tout le moins vérifier si le but désintéressé ET l’objet (c’est-à-dire la détermination des activités que l’ASBL se propose de réaliser) sont bien précisés dans les statuts. Il faudra aussi déterminer la région linguistique (et non plus l’arrondissement judiciaire). Pour le reste, il conviendra d’adapter les règles au prescrit légal (ex. : un délai de quinze jours pour convoquer l’AG), en sachant que si cela n’est pas fait, les règles impératives du Code trouvent à s’appliquer.
Deux conseils
Il faut veiller à ne jamais insérer l’identité des administrateurs, des représentants généraux et des délégués à la gestion journalière dans les statuts mais dans les dispositions transitoires.
Il est conseillé de ne plus mettre l’adresse exacte du siège social dans les statuts (mais uniquement la région linguis-tique) mais bien dans les dispositions transitoires publiées aux Annexes du Moniteur belge. Cette manière d’opérer permettra au CA de modifier l’adresse du siège social sans, comme c’est le cas actuellement, devoir opérer une modification statutaire.
Conclusions
Les ASBL sont astreintes à plus de règles explicites, ce qui clarifie certaines situations mais le grand problème est la compréhension et la lisibilité (on l’a déjà dit) de tout ce « machin ». La responsabilité des administrateurs ne me semble pas alourdie mais le Code souligne l’existence de cette responsabilité, ce qui risque d’augmenter les contentieux. Certes, envers les « mauvais » administrateurs, le Code se montre plus sévère.
Et pour en revenir à la question de départ, il s’agit d’un lifting mais qui pourrait, si on n’y prend pas garde, altérer l’esprit associatif. En aucun cas, redevenir une association de fait n’est un bon choix car la responsabilité des dirigeants est directement mise en cause sur leur patrimoine personnel.