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Royal Boch , 10 ans après la dernière défaïence

Par la Compagnie Maritime

Après une occupation de 5 mois en 2009 suivie d’une reprise chaotique en 2011, les travailleurs, floués, décident de raconter leurs luttes, leurs espoirs déçus et leur quotidien dans le spectacle Royal Boch, la dernière défaïence”, qui fût présenté le 1er mars 2012 à La Louvière, suivi d’une cinquantaine de représentations en Belgique et en France. Dix ans après, comment conjuguer cette lutte exemplaire aux luttes actuelles ? Que bâtir sur les fours refroidis à jamais ? Dans quelle pièce jouent les travailleurs précarisés aujourd’hui ? Qu’est-ce qui a changé en dix ans ? Comment raviver les luttes dans une perspective progressiste ? Plus on (se) laisse faire, plus on perd, non ? Il y a plus que quelques raisons pour publier ici quelques extraits de cette pièce dont l’écriture a été menée par la Compagnie Maritime et qui a été éditée par les Editions du Cerisier… Démarchandiser, dépolluer, démocratiser, on ne le disait pas comme ça à l’époque, mais qu’est-ce que ça aurait été nécessaire…

 

Marie-Thérèse : Et on sera tous repris !
Maria : Tous !
Martine M : Tout le monde va être réembauché !
Inès : C’est louche.
Maria : Ce qui est important, c’est de travailler.
Martine M : Avec le même salaire ?
Inès : Oui.
Marie-Thérèse : Vous avez entendu ce que les permanents on dit.
Martine M : Et pourquoi les délégués n’ont pas pu assister aux réunions entre la curatelle, le repreneur et les permanents ?
Inès : Déjà ça, c’est scandaleux!
Marie-Thérèse : Et on laisserait tomber notre préavis.
Maria : Quoi ?!
Martine M : Cette histoire de préavis c’est bizarre. Brigitte, t’as compris quelque
chose à cette histoire de préavis, toi ?
Inès : Alors explique.
Martine : Il y a des risques ?
Brigitte : Les permanents ont dit : tout ce qu’on risque c’est au minimum deux ans de travail.
Inès : Bon, Brigitte, tu expliques !
Brigitte : C’est simple.
Inès : Ça m’étonnerait.
Brigitte : Si la manufacture s’arrête, le Fonds de fermeture intervient pour payer nos préavis
Tous : Mmm.
Brigitte : Mais comme il y a un repreneur, les syndicats ont décidé que nos préavis soient investis.
Martine : Comment ça ?
Brigitte : Comment, comment…que cet argent, au lieu d’aller dans nos poches et nous au chômage, que cet argent serve à payer les créanciers et à relancer l’activité.
Inès : Et si on ne veut pas ?
Brigitte : Et comment tu expliquerais à l’Onem que tu refuses ton boulot dans les mêmes conditions ?
Marie-Thérèse : Et ça fait combien d’argent, notre préavis ?
Jean-Jacques : Oh, une paille : 750.000 €
Martine : 750.000 € !
Jean-Jacques : Compte un peu le nombre de préavis de plus de 30 ans.
Michel : Et le repreneur, il met combien ?
Jean-Jacques : 250.000 !
Martine M : Seulement 250.000 ! Et la Région wallonne ?
Jean-Jacques : 250.000 ! Plus un prêt de 950.000… Tout ça c’est ce qu’on nous a dit ; faut voir…

Martine : Donc, c’est comme si on recevait notre préavis, mais en fait on ne va pas le recevoir.
Brigitte : C’est ça !
Marie-Thérèse : Oui, mais l’Onem va nous dire qu’on a déjà reçu cet argent-là !
Maria : Et on devra rembourser !
Jean-Jacques : On a posé la question, et les permanents ont sorti un papier de leur poche, signé par le repreneur.
Martine M : Un papier qui dit quoi ?
Jean-Jacques : Qui dit que le repreneur rembourserait à l’Onem, au cas où l’Onem
nous réclamerait les indemnités de chômage.
Martine : On paye pour travailler quoi.
Brigitte : C’est toute notre vie qu’on paye.

 

Scène 12 – Le coeur à l’ouvrage – Le dernier jour


(tels quels projetés sur l’écran
Brigitte : Le coeur qu’on avait à l’ouvrage le premier jour qu’on a retravaillé.
Michel : On a vite déchanté )
Jean-Jacques : Il sait qu’il a acheté vieux, mais il veut que ça tourne nouveau.
Inès : Il ne vient jamais voir comment ça tourne.
Martine : Comme tous les patrons qui sont passés ici. Ils s’indignent des conditions
de travail, jurent qu’ils vont tout changer, et quand ils sont installés, c’est fini.
Martine M : Il a tout à gagner et nous, tout à perdre.
Marie-Thérèse : Faut l’entendre le patron !
Jean-Jacques (avec un bol sur lequel une paire de moustaches sont collées): Bien-
tôt, il y aura cent personnes ici !
Marie-Thérèse : Cent personnes ? Sans personne ! Nada, zéro.
Jean-Jacques (avec le bol ) : Tu n’aurais pas une cigarette ?


Inès : C’est déjà de l’escroquerie !
Jean-Jacques (avec le bol ) : Tu peux me rendre un petit service ?
Michel : Oui, c’est comme ça qu’on travaille avec lui; lui rendre un petit service !
Jean-Jacques (avec le bol ) : Je ne vois plus la flamme dans vos yeux.
Maria : Mais nous on voit bien le fric que tu voles sur notre dos.
Jean-Jacques (avec le bol ) : Mettez plus de bols dans le four.
Brigitte : Mais si on en met plus, ils vont coller !
Jean-Jacques (avec le bol ) : Bande d’incapables !
Martine : C’est le contraire d’un entrepreneur. Il y a un mot pour ça ?
Brigitte : Oui : fossoyeur.
Inès : Il nous traite de voleurs !
Martine : L’usine se démolit de jour en jour, on voit le stock disparaître. Des gens
chargent des camions entiers, sans bordereau, sans papier.
Marie-Thérèse : L’employée l’a dénoncé ça, et elle a été licenciée !
Jean-Jacques : Et nous, on essaye quand même de faire tourner la baraque.
Michel : Et puis il n’y a plus de gaz, plus d’électricité.
Inès : J’emballais des assiettes à lunch avec Angelo. Il m’a dit : demain, tu chômes.
Maria : J’étais à l’emballage, il n’y avait plus de travail.
Martine M : Moi aussi j’étais à l’emballage. On s’est dit : à la prochaine. Mais de-
puis, je n’ai plus jamais mis mes mains sur une assiette.
Michel : Je cherchais des postes de travail pour les gens, je me battais pour qu’on
rouvre le gaz.
Jean-Jacques : Il y a quelques semaines, j’ai dû jeter mon tour de moulage du 3ème
étage. Aujourd’hui j’ai enfin réussi à changer le piston de la machine. Je n’aurai jamais l’occasion de l’essayer.
Martine M : Nous, les ouvriers, on a tenu cette usine en activité pendant 168 ans !
Et lui, le démolisseur, en moins de 18 mois, il a tout vidé, tout volé.
Martine : Oh, il est sûrement dans son droit.
Inès : Et nous, mal protégés par la loi.
Martine : Mais c’est peut-être là qu’il est le problème, non ?
Brigitte : Nos droits à nous, ils sont comme ça, et les droits des patrons, il sont comme ça.

Scène 13 – Le papier blanc…

Martine : C’était complètement fou !
Maria : 3 mois sans être payés !
Inès : Et moi 5 !
Brigitte : Couillon d’patron ! Il ne payait plus nos salaires et il refusait de donner les C4.
Marie-Thérèse : Même la juge du tribunal a dit au repreneur-démolisseur : regardez les ouvriers dans les yeux !
Martine M : On demandait à être licencié; un comble.
Jean-Jacques : Donc on était coincé. Même la ministre de l’emploi était émue…
Inès : Alors on a reçu cette fameuse lettre de l’Onem.
Michel : On doit rembourser les indemnités de chômage.
Brigitte : Vous vous souvenez; notre préavis qu’on devait recevoir mais qu’on a
laissé à l’entreprise.
Martine : L’Onem nous disait : vous l’avez reçu, allez, remboursez !
Martine M : Mais nous on disait : on ne l’a pas reçu, ce n’est pas à nous de rembourser !
Jean-Jacques : Ils répondaient : prouvez-le !
Marie-Thérèse : Alors on a demandé à voir le papier, celui qui avait été signé par le repreneur.
Brigitte : Mais le papier était blanc, tout blanc, comme de la faïence…

Scène 14 – Allez !

(Les comédiens traversent le plateau en interpellant la salle)
Maria : Et toi, n’oublie pas de te battre, tu n’es pas encore pensionné !
Michel : Vous deux, résistez, il n’y a rien qui viendra tout seul!
Martine M : Tu as demandé si le contrôleur avait le droit ? Ils n’ont pas tous les
droits. Tu le sais ? Alors dis-lui !
Jean-Jacques : Il me faut 2 hommes pour donner un coup de main à un copain.
Toi, et toi ? (I m’fôt deûs-omes pou d’nér in coûp d’mangn a in cama. Vous èyèt
vous ?)
Marie-Thérèse : On va dans les écoles pour raconter comment on travaillait à
l’usine. Et comment on s’est battu.
Inès : Eh, ne reste pas tout seul, coupe ta tv, et rejoins les autres. Comment quels
autres ? Mais là, à côté de toi.
Martine : Eh, n’oubliez pas : Royal Boch, c’est nous !
Brigitte : Et vous, qu’est ce que vous attendez ? Allez !