Un trait commun n’aura sans doute pas échappé aux lecteurs parvenus au terme du numéro : la tonalité critique des articles, photographies et autres récits qui en constituent la trame. Toutes ces «créations» cherchent, en effet, chacune à leur manière, à relativiser voire à contrebalancer les récits politico-médiatiques et industriels dominants qui accompagnent la fuite en avant actuelle vers un monde du «tout connecté». Ces «techno-imaginaires», qui font de la numérisation de la société la solution à tous ses maux, reposent pourtant sur des présupposés idéologiques, largement documentés au sein des travaux en sciences sociales. Leur prépondérance rend alors difficilement audibles les résultats de publications scientifiques toujours plus nombreux qui s’attellent à mettre en lumière l’insoutenabilité à la fois psychologique, économique, sociale et écologique de ce déferlement numérique.
En première analyse, il apparait que la crise sanitaire liée au Covid-19 n’a fait que renforcer cette foi irrésistible dans les outils numériques à nous offrir le «meilleur des mondes». A tendre mieux l’oreille, on entend néanmoins s’élever des voix dissidentes qui portent une contre-histoire de la technique.
Ces voix critiques s’inscrivent dans un mouvement technocratique large et multiforme à l’histoire déjà longue. Celles-ci ont certes toujours été minoritaires et discréditées face aux discours sacralisant les technologies, mais elles semblent aujourd’hui se démultiplier dans le débat public parallèlement à la numérisation largement «impensée» de tous les pans de la société. En Belgique francophone, par exemple, la dernière mobilisation en date est celle organisée contre la dématérialisation des services au public par Lire et Ecrire Bruxelles avec de nombreuses associations et citoyens dans le cadre de la Journée internationale de l’alphabétisation ce 8 septembre 2022. D’autres visions du progrès, portées très souvent par les acteurs du monde associatif, cherchent ainsi à se faire entendre pour tempérer la célébration des vertus démocratiques et émancipatrices véhiculées par la technologie et ses mythes.
Pour mieux se repérer dans le foisonnement de ces critiques du numérique, des chercheurs proposent de les organiser en trois grands pôles thématiques : la critique sociale, la critique libérale et la critique écologique. Ce sont autant de motifs des critiques numériques – les types d’injustice qui les animent – que l’on retrouve en filigrane dans les articles, photos et autres récits qui ponctuent ce numéro. J’espère que ces réflexions et témoignages contribueront à nourrir des pratiques (non) numériques alternatives et à susciter – dans une perspective d’éducation permanente – une démocratie technique du numérique qui aiguise l’esprit critique des citoyen.ne.s face à cet environnement sociotechnique de plus en plus complexe.